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La grève du silence des experts: « C’est aux politiques de rendre compte de leurs actions »

Muriel Lefevre

La brouille entre les experts et les politiques ne semble pas s’apaiser. Plusieurs experts, dont Marc Van Ranst, Erika Vlieghe et Pierre Van Damme, font une « grève du silence » ce week-end. Pour Wilmès, « les critiques des experts brouillent le message. »

Plusieurs experts flamands de la lutte contre le Covid-19, dont Marc Van Ranst, Erika Vlieghe et Pierre Van Damme, feront une « grève du silence » ce week-end, ont rapporté différents médias vendredi. Marc Van Ranst souligne que l’action n’est pas dirigée contre les médias, mais qu’elle constitue un signal clair envers les responsables politiques.

Les experts estiment en effet que les politiciens compétents refusent trop souvent de donner des interviews sur la politique du coronavirus et qu’ils se cachent trop souvent derrière eux. Plusieurs experts ont ainsi confirmé à Het Nieuwsblad qu’ils ne communiqueront plus avec la presse jusqu’à lundi après-midi. « Il appartient maintenant aux responsables politiques de donner des signaux clairs. Envers nous, mais surtout envers la population. Ils doivent maintenant rendre compte de leurs actions dans les studios de télévision. Pas nous. »

Les experts ont très mal digéré le Conseil national de sécurité, et la communication qui a suivi. L’insatisfaction des experts ne porte pas tant sur ce que Wilmès a communiqué, mais surtout sur ce qu’elle n’a pas communiqué. Elle a fait de cinq un chiffre de référence et a annoncé que, dorénavant, chaque personne est autorisée à avoir cinq contacts rapprochés.

Or, c’est une interprétation vague du rapport Celeval qui stipulait de « de zéro à cinq ». Pire, toujours selon les experts, elle n’a pas réussi à faire comprendre que ces cinq personnes peuvent rapidement devenir moins nombreuses si le code de couleur change et elle ne va rectifier le tir qu’un jour plus tard.

Un baromètre pour la semaine prochaine ?

Le groupe consultatif Celeval doit élaborer pour la semaine prochaine le système de baromètre basé sur des codes couleur pour l’épidémie. Si les valeurs seuils sont dépassées, les mesures deviennent automatiquement plus strictes. Le Premier ministre Sophie Wilmès (MR) a donné l’ordre d’en accélérer la mise en oeuvre. Elle espère qu’il sera prêt la semaine prochaine et qu’il pourra être appliqué immédiatement. Wilmès souhaite également que le système soit applicable au niveau provincial. Il est donc possible que des mesures plus strictes soient introduites dès la semaine prochaine dans les régions fortement touchées, telles que Bruxelles et Liège. Les gouverneurs pourraient également imposer d’autres mesures, telles que la fermeture de certains secteurs.

Des tensions au sein du Celeval

Au sein de Celeval aussi la situation est tendue. Surtout depuis que l’économiste de la santé Lieven Annemans (UGent) a nié que le nombre d’infections augmentait. Les chiffres en hausse ne sont pour lui qu’une conséquence de la politique de test. Vendredi, il a de nouveau nié qu’il y avait une deuxième vague lors de la réunion du Celeval, selon le Standaard qui cite deux sources qui souhaitent rester anonymes. L’avis d’Annemans pèserait également trop selon certain sur l’avis destiné au Conseil de sécurité.

L’insatisfaction des différents experts serait telle qu’ils envisagent fortement de démissionner. L’épidémiologiste Marius Gilbert a déjà claqué la porte, d’autres scientifiques envisagent également de quitter Celeval. « Je me demande souvent ce que je fais là-bas », a ainsi dit Erika Vlieghe au Standaard. Restent Niel Hens et Marc Van Ranst qui pourraient prendre la relève. La question est de savoir s’ils en ont bien envie. En effet, dans la justification de leur silence radio, les experts indiquent qu’ils sont prêts à siéger dans des conseils consultatifs, « de préférence avec des experts qui se basent sur des données scientifiques et non sur de fausses nouvelles ». C’est une pique directe vers Annemans.

Annemans
Annemans

Les experts, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du Celeval, souhaitent désormais se regrouper dans un organe purement scientifique. « Il y a deux options: soit les politiques décident que nous pouvons créer un organe distinct, purement scientifique, et nous donnerons à l’avenir notre point de vue sur le virus, soit nous agissons de notre côté, et nous commençons à communiquer nous-mêmes avec la population pour l’informer correctement. »

Sauf que si les scientifiques quittent le Celeval, l’organe consultatif perd sa légitimité. Il ne restera plus personne des experts médicaux originaux du GEES. Sans compter que les experts peuvent descendre les décisions politiques de l’extérieur. Une chose que souhaitent éviter à tout prix les politiques. Every Pattyn, porte-parole de Wilmès, ne pense pas qu’on en arrivera là. « Ce sont des scénarios apocalyptiques. Il n’y a aucune intention de perdre cette expertise », précise-t-elle dans de Standaard.

Quoi qu’il en soit le sujet devrait être rapidement tranché puisque le dossier sera immédiatement soumis au probable nouveau gouvernement. Les sept partis engagés dans les négociations ont convenu de nommer un commissaire Corona qui sera lui-même flanqué d’un comité scientifique inter- et multidisciplinaire. Les chances qu’il ait la même composition que Celeval sont très faibles.

« Les critiques des experts brouillent le message »

Sophie Wilmès répond aux experts dans l’Echo. « Quand on participe à la prise de décision, expliquer que ce n’est pas une bonne décision, c’est compliqué. Quand on n’a pas participé à la décision, cela reste compliqué parce que ça brouille le message. Nous sommes en démocratie, le débat est sain. Mais si on pouvait utiliser cet espace médiatique pour critiquer, certes, mais aussi pour rappeler les règles sanitaires de base et faire passer les bons messages. Quand le monde politique expose ces règles, il y a du rejet, mais aussi de grandes adhésions. À chaque CNS, on a eu un flot de critiques et un flot de gens qui adhéraient. Les experts ont un capital confiance très important, pourtant ils portent des messages différents, parfois contradictoires. Le politique doit donc pouvoir reprendre son rôle, parfois en décrochage avec les experts. C’est très lourd pour le monde scientifique, je lui suis reconnaissante, même si les avis divergents ont brouillé les messages. Je préférerais qu’on regarde tous dans la même direction et qu’on travaille plus ensemble, qu’on répète tous certaines choses fondamentales ensemble. » (…) « À chaque CNS, on a aussi dit soit que c’est trop dur, soit que c’est trop faible, ou qu’il n’y a rien. C’est faux. La Belgique est un des pays les plus stricts. Certains pays qui nous entourent comme la France ou le Royaume-Uni sont dans des situations plus graves et prennent des mesures qui se rapprochent de celles que nous avons prises il y a longtemps.« 

Sophie Wilmès
Sophie Wilmès© Belga

En ce qui concerne l’absence du baromètre, Wilmès s’en défend, toujours dans l’Echo. « Le rapport du Celeval n’offrait pas de vision. On s’est rendu compte que certaines choses ne fonctionnaient pas. On a reçu un premier draft lundi. Si les choses ne sont pas suffisamment étayées, complétées et font l’objet de discussions, c’est très difficile mercredi d’en faire une construction pour toute la société. Il ne faut pas pour autant jeter la pierre, les membres du Celeval ont travaillé, ils ont fait le maximum. Il y avait une proposition pour le code jaune. On s’est demandé si cela convenait, si c’était assez. On a gardé les principes sous-jacents du code couleur et nous avons dû compléter l’information. Être strict n’est pas une mauvaise décision épidémiologique. Cela le devient si personne ne suit la règle. Il vaut mieux une règle un peu plus souple suivie par une grande partie de la population qu’une règle trop stricte qui fait décrocher les gens. On a parlé d’assouplissement. Si les gens l’ont vu comme une respiration, tant mieux, mais cela ne correspond pas à la réalité. »

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