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La démocratie n’est plus une fête : « Pas simple de trouver des gens qui veulent figurer sur une liste »

En Flandre, jamais encore, les partis politiques n’ont eu autant de mal à composer les listes électorales que pour les élections locales du mois prochain. Et malgré le vote obligatoire, de moins en moins de personnes votent aux élections locales. La politique municipale a toujours attiré le plus d’attention, mais maintenant, de plus en plus de citoyens décrochent.

« Il n’est pas simple de trouver des gens qui veulent figurer sur une liste », déclare Yves Stofferis, gérant du ‘Lounge & Bistro Breskens’ à Torhout. « L’année dernière, j’ai entamé ma quête de personnes qui voulaient figurer sur notre liste électorale pour les élections communales. Et à mon grand regret, je n’ai pas réussi à finaliser la liste. » Lors des précédentes élections municipales, il y a six ans, l’Open VLD à Torhout a présenté une liste complète à l’électeur. Elle a alors obtenu 6% des voix, soit un siège pour le conseil communal.

« La plupart des 27 personnes qui figuraient sur notre liste à ce moment-là ont abandonné », explique Stofferis. « Ils sont déçus par la politique locale. Trouver de nouveaux candidats n’est pas facile. L’un ne veut pas avouer sa couleur politique, l’autre dit que ce n’est pas compatible avec son travail, un troisième dit que de toute façon il ne peut rien changer. » Fin juin, Stofferis a jeté l’éponge et a démissionné de son poste de président local. Il semblait que l’Open VLD de Torhout ne soumettrait plus de liste, mais Ilja Wostyn, président des jeunes libéraux de Torhout, tente de préparer une liste de dernière minute. « Mais c’est vrai qu’il est plus difficile de trouver des gens », explique son père, Piet Wostyn, fabricant de moutarde, qui a fait ses preuves à l’Open VLD Torhout. « On l’entend et on le voit dans tous les partis. »

Cela vaut certainement pour les socialistes de Torhout. La liste SP.A contient un père et une fille, une mère et sa fille et deux fois un mari et une femme – tant de membres de la famille sur une liste sont souvent un signe qu’il était difficile de trouver des candidats, mais la tête de liste Paul Dieryckx souligne « qu’ils étaient les meilleurs candidats ».

Il n’y a pas qu’à Torhout qu’on assiste à ce phénomène. Bien sûr, les partis qui sont dans le camp perdant ont plus de difficultés que ceux qui baignent dans l’ambiance gagnante, mais on entend presque partout qu’il faut de plus en plus d’efforts pour établir une liste de candidats de valeur. À Londerzeel, où le CD&V est au pouvoir depuis des décennies, la liste a dû être complétée par une mère et sa fille, à Knokke, sp.a et Groen forment un cartel qui cherche encore du monde, Groen Oudsbergen a même posté un message sur Facebook clamant que le département est à la recherche de « gens d’action et d’audacieux », à Courtrai le CD&V a eu du mal à établir une liste digne de ce nom, à Maldegem il n’y a même plus de liste sp.a…

Les partis qui ont des candidats à court terme mettent toutes voiles dehors, car il leur reste dix jours. « Le samedi 15 septembre, les listes électorales doivent être présentées au président du bureau principal communal entre 9h et 12h et entre 13h et 16h », déclare le professeur Herman Matthijs (VUB, Université de Gand), président du Conseil de contestations électorales. On verra alors quels partis participeront aux élections avec quels candidats.

Tant Matthijs que ses collègues Herwig Reynaert (UGent), Johan Ackaert (UHasselt) et Filip De Rynck (UGent), qui suivent de près les élections locales en leur qualité de politologues, confirment de manière indépendante ce que les politiciens de tous les partis sur le terrain disent de manière anonyme : il n’a jamais été aussi difficile de former des listes électorales à part entière. « Il y a deux semaines, un parti est venu pour sonner à la porte, demandant si ma femme voulait être sur la liste, car ils avaient encore trop peu de personnes », explique l’un des professeurs. « Hier, un employé m’a dit qu’un groupe était venu lui demander s’il voulait se porter candidat, car elle cherchait encore des gens » raconte un de ses collègues.

Manque de femmes

Il faut minimum un candidat sur la liste, et il ne peut y avoir plus de candidats sur la liste que ce qu’il y a de conseillers communaux à élire. Le nombre de conseillers communaux dépend alors du nombre d’habitants. Ainsi, Herstappe dont les 88 habitants en font la plus petite commune du pays compte 7 conseillers communaux. Les habitants de Herstappe étaient en effet les seuls en Flandre à ne pas avoir dû voter pour le conseil municipal il y a six ans, car on leur a présenté une liste unique qui a obtenu les sept sièges. Cependant, le 14 octobre, ils devront se rendre aux urnes, car c’est la guéguerre à Herstappe et la liste unique a été annulée.

Il est probable qu’à Zuienkerke, en Flandre occidentale, un village des Polders de 2732 habitants, ils n’aient pas à voter pour les onze conseillers communaux: il n’y a pas de challenger pour la liste Lijst Burgemeester. Le bourgmestre Alain De Vlieghe déclare qu’il le regrette: « Un parti constructif qui aide à élaborer une bonne politique est le bienvenu. » Auparavant, le Vlaams Belang était toujours là, mais avec 9% des voix, il ne pouvait pas gagner de siège au conseil municipal en 2012. L’ancien dirigeant du Vlaams Belang, Kurt Ravyts, regrette aujourd’hui qu’aucun autre parti ne participe: « C’est regrettable pour la démocratie locale. Mais je ne voulais pas devenir le clown du village qui participe chaque fois en vain. » Le 15 septembre, les habitants de Zuienkerke sauront s’ils doivent se rendre aux urnes pour le conseil municipal – de toute manière, ils ne peuvent pas rester chez eux, car le 14 octobre, on vote également pour le conseil provincial.

« Les communes comme Herstappe et Zuienkerke sont trop petites », estime le professeur De Rynck. « Qu’est-ce qu’il y a à décider? Pourquoi les gens se présenteraient-ils? Le conseil municipal ne représente pas grand-chose. Pour ceux qui sont impliqués, un tel mandat peut être agréable et il va caresser l’ego lors des fêtes de famille. Mais pour la société, ce sont des coûts perdus, et pour les habitants de Herstappe ou de Zuienkerke, cela n’a apparemment pas d’importance: les décisions qui les concernent sont prises ailleurs et par d’autres. La démocratie requiert une échelle suffisamment grande. »

Le nombre moyen d’habitants d’une commune flamande est d’environ 21 000. Les villes et communes de 20 000 à 25 000 habitants (par exemple Torhout, mais aussi Bornem, Eeklo, Herent, Maldegem, Scherpenheuvel-Zichem) comptent 27 conseillers communaux. Ce nombre augmente continuellement. Si le nombre d’habitants se situe entre 70 000 et 80 000 (comme à Hasselt, Courtrai, Ostende, Saint-Nicolas), vous aurez déjà 41 conseillers communaux. Le maximum est de 55 conseillers communaux dans les villes de plus de 300 000 habitants, comme Anvers. « Nous avons beaucoup trop de conseillers municipaux », déclare le professeur Matthijs, qui aime se référer aux Pays-Bas: une municipalité de 20 000 à 25 000 habitants compte 19 membres, entre 70 000 et 80 000 habitants 35, et les villes néerlandaises de plus de 200 000 habitants ont 45 sièges au conseil communal, le maximum.

Les partis politiques doivent non seulement trouver beaucoup de gens pour leurs listes électorales, mais il faut également une bonne répartition hommes-femmes. Selon le décret électoral, le premier candidat (la tête de liste) et le second candidat ne peuvent pas être du même sexe et plus important pour la formation de listes: pour la liste complète, le nombre de candidats d’un sexe ne peut être supérieur au nombre de candidats du sexe opposé. En bref, à un candidat près, il faut autant d’hommes et de femmes sur la liste. « Ce n’était déjà pas facile de trouver des candidats masculins, mais trouver des femmes qui veulent figurer sur la liste est encore beaucoup plus difficile », déclare Yves Stofferis, ancien président d’Open VLD Torhout. Une phrase que l’on entend partout.

« Qu’il y ait si peu de femmes qui souhaitent être candidates est sans nul doute l’une des raisons pour lesquelles la composition des listes n’est plus aussi facile », affirme le professeur Reynaert. La politique demeure un monde d’hommes. Bram Wauters (Université de Gand) a enquêté sur les membres des partis politiques. Son livre Wie is nog van de partij? (Qui est encore de la partie?) révèle qu’outre les jeunes et les allochtones les femmes aussi sont sous-représentées. Le professeur Ackaert : « Si les partis ne parviennent pas à impliquer les femmes dans leur travail, il est tout à fait naturel que peu de femmes soient candidates pour figurer sur la liste. »

La politique comme souffre-douleur

La recherche de plus en plus difficile de candidats n’est pas seulement liée à un manque de femmes, mais aussi à un nouveau phénomène: la politique des partis locaux attire moins les gens. Pendant longtemps, le citoyen s’est senti plus impliqué dans la politique communale. Ackaert: « Longtemps, les élections communales étaient les plus populaires. L’effort était généralement très concret: y aura-t-il une piste cyclable dans ma rue? Est-ce que l’aire de jeux du quartier sera enfin rénovée? Et généralement, l’électeur connaît également les candidats sur la liste électorale, car ils vivent littéralement dans le même village. Cela motivait les gens à voter. » Mais aujourd’hui, le désintérêt et parfois même l’aversion que nous avons déjà remarqués pour la politique nationale et européenne affectent également la politique locale.

Hormis la formation difficile de listes, on le voit clairement au nombre croissant de personnes qui ne votent pas aux élections communales alors que le vote est obligatoire. Pendant des décennies, 5 à 6% des électeurs manquaient à l’appel. En 2006, 5,6% des électeurs flamands en droit de voter ne l’ont pas fait. En 2012, 11,7% des électeurs ont manqué à leur devoir, soit le double. Ajoutez à cela les votes blancs et nuls de 3,5% et vous vous retrouvez avec 15% des électeurs flamands qui ne se sont pas prononcés lors des précédentes élections communales.

Les chiffres sont d’ailleurs comparables pour l’ensemble de la Belgique: en 2012, 10,3% n’ont pas voté, 4,7% ont voté blanc ou de manière non valide. Plus d’un million d’électeurs inscrits n’ont donc pas voté aux précédentes élections communales. Le professeur Ackaert: « C’est surtout l’augmentation soudaine du nombre d’absences lors des élections municipales précédentes qui me préoccupe fort. Jusqu’en 2006, le taux de participation aux élections locales était toujours beaucoup plus élevé qu’aux élections législatives, mais en 2012, l’absentéisme atteignait le niveau des élections fédérales de 2010 ».

Il est probable que plusieurs raisons expliquent pourquoi autant d’électeurs n’ont pas voté en 2012. Par exemple, parce que les élections municipales étaient alors dominées par un thème national: la N-VA fera-t-elle une percée locale ou non? De nombreux observateurs s’attendent à ce que les élections municipales du 14 octobre soient également dominées par des thèmes nationaux, à savoir la sécurité et la crise des réfugiés. En outre, la ministre de la Justice de l’époque, Annemie Turtelboom (Open VLD), a déclaré en 2012 que ceux qui n’avaient pas voté pour le conseil communal ne risquaient pas d’être poursuivis. L’actuel ministre de la Justice Koen Geens (CD & V) ne répète pas cette déclaration. À la question de Knack, il souligne qu’il y a un « vote obligatoire » et il ajoute: « les citoyens qui ne votent pas ne seront pas systématiquement poursuivis ».

Les professeurs Ackaert, De Rynck, Matthijs et Reynaert soulignent que l’absentéisme croissant et le fait que les partis politiques ont tant de mal à former des listes électorales complètes révèlent un malaise plus profond: la confiance dans la politique est affectée au niveau local, les élections municipales ne sont plus une fête de la démocratie. Le ver est dans le fruit, les gens se sentent moins concernés par la politique communale. « Cela m’inquiète le plus », déclare Reynaert. « Le monde politique est trop souvent utilisé comme souffre-douleur. Le résultat est que les gens ne veulent plus ou n’osent pas faire le pas vers la politique – et maintenant même vers la politique municipale. Ce n’est pas bon pour notre démocratie. « 

Le fait que les citoyens se sentent moins concernés par la politique communale est un nouveau phénomène chez nous, mais aux Pays-Bas, il est visible depuis un certain temps. Aux Pays-Bas, où il n’y a aucune obligation de voter, depuis des décennies, environ 80% des électeurs votent pour la Seconde Chambre le taux de participation aux élections municipales y diminue depuis les années 1990 et atteint 55% au début de cette année. Dans certaines communes néerlandaises, le taux de participation était inférieur à 50%.

Colosses aux pieds d’argile

Comment se fait-il que la politique municipale n’enthousiasme plus les gens? Le professeur Ackaert renvoie la balle: « Que représente encore la politique communale? Je demande toujours à mes étudiants d’assister à une séance du conseil communal. Ils n’en reviennent pas réjouis. De quoi parle-t-on? De détails. Ils préfèrent voter pour la commande d’un nouveau camion pour le département technique que pour les sujets qui correspondent aux questions et aux problèmes des habitants. En tant que client, l’habitant est satisfait, on l’aide aimablement et rapidement au guichet. Mais est-il également satisfait en tant que citoyen? L’administration communale répond-elle aux souhaits, attentes et craintes de ses citoyens? Comment implique-t-on les citoyens dans les discussions et les politiques? Sur ce plan-là, de nombreux conseils communaux et de collèges d’échevins manquent à leur devoir. Les mandataires locaux doivent balayer devant leur porte. »

« De nombreux partis politiques locaux se réveillent soudainement un an avant les élections », explique Ackaert, « et après la formation de la coalition, ils retombent dans leur hibernation. On constate un appauvrissement du fonctionnement du parti, à long terme on constate une diminution d’activités de groupe telles que les réunions, les bals, les foires au boudin, etc. Comment ces bourgmestres, échevins et conseillers savent-ils ce qui vit dans la commune? »

Le professeur De Rynck partage cet avis: « La plupart des partis locaux sont des instruments électoraux pour leurs partis centraux et généralement il ne s’activent qu’un an avant les élections. En conséquence, les élections locales font de plus en plus partie de la stratégie pour les élections nationales, y compris la question de savoir qui doit être lancé via le niveau local. Les membres et les cotisations ne sont plus importants, car les partis nationaux sont maintenant financés avec l’argent des impôts, basé sur le nombre de votes. Seule une petite partie de cette somme est investie dans les sections locales. »

Herman Matthijs évoque un problème complètement différent: « Il y a trop d’échevins ». Le nombre d’échevins dépend également du nombre d’habitants. Les communes de moins de 1000 habitants peuvent avoir deux échevins, celles qui ont entre 20 000 et 30 000 habitants 5 échevins, entre 50 000 et 100 000 7 et les villes de 200 000 habitants ou plus , le nombre maximum: 9 échevins. Matthijs: « C’est déjà un échevin de moins que par le passé, mais il faudrait encore réduire leur nombre et leur donner un statut et une rémunération décents. Cela pourrait rendre le travail de conseiller municipal et d’échevin à nouveau attractif. Et plus de candidats de valeur feraient le pas vers la politique. »

Ackaert est entièrement d’accord: « Nos collèges comptent certainement trop d’échevins. Une fois, j’ai interviewé près de 200 bourgmestres et la moitié a déclaré: « Il y a trop de monde dans mon collège d’échevins ». Vous devriez voir les compétences de certains échevins. Parfois, il ne s’agit vraiment que d’un titre à mettre sur une carte de visite. Pourquoi faudrait-il un échevin de festivités, par exemple?  » De Rynck: « Il y a en effet trop d’échevins qui ont trop peu de choses à faire. Pourquoi une municipalité de 7 000 habitants a-t-elle un conseil des affaires européennes? La commune flamande moyenne se débrouille avec un bourgmestre et deux échevins. Pour le reste, on peut faire appel à des fonctionnaires. Matthijs: « Le prochain gouvernement flamand devra s’occuper de l’avenir de nos municipalités. Non seulement il y aura du travail à faire sur les fusions, mais aussi sur le nombre de conseillers et d’échevins, leurs statuts et leur rémunération. Mais cela sera-t-il fait un jour? »

Pour contrer le désintérêt croissant pour les élections municipales, presque tous les partis mettent désormais les indépendants sur la liste. Parfois, ils se présentent même à l’électeur sous un nom différent, comme Johan Vande Lanotte (sp.a) à Ostende avec la Stadslijst, Vincent Van Quickenborne (Open VLD) à Courtrai avec Team Burgemeester, Maggie De Block (Open VLD) à Merchtem avec Lijst 1785. « Dans quelle mesure ces initiatives sont-elles fondées? », se demande Ackaert. « S’agit-il de véritables innovations? Et qu’en restera-t-il? » Matthijs: « Le seul objectif de ces listes ouvertes est d’élargir l’électorat, pour être le plus gros parti à la sortie des urnes, car cela vous fait un grand avantage pour la distribution de sièges communaux. »

Le fait qu’en Flandre les formations sur liste soient plus difficiles que jamais et la hausse de l’absentéisme lors des élections municipales ne signifie pas que les gens ne veulent plus s’engager localement, estime Reynaert: « Les citoyens sont toujours engagés politiquement, révèle le nombre très élevé de mouvements de citoyens. La démocratie représentative, dans laquelle nous choisissons des représentants, est de plus en plus complétée par une démocratie directe, par des initiatives de la population ». De Rynck nuance: « Dans certaines villes, nous voyons de bons exemples de ces initiatives citoyennes, mais pas partout. Et il s’agit souvent d’un petit groupe de personnes. Je veux mettre en perspective le battage médiatique autour de la nouvelle société civile. » Ackaert: « En tout état de cause, il est clair que le système de partis traditionnels subit une pression croissante, y compris au niveau municipal. Nos partis politiques s’avèrent de plus en plus des colosses aux pieds d’argile. »

Yves Stofferis, l’ancien président d’Open VLD Torhout, se sent en tout cas encore impliqué dans ce qui se passe dans sa ville:  » Aujourd’hui, je mets le temps et l’énergie que j’investissais en politique dans l’agrandissement de notre bistro. Vais-je voter le 14 octobre? Bien sûr. Je sais même pour qui et je n’ai aucun problème à le dire: au niveau provincial, mon vote ira à l’Open VLD, au conseil municipal à la N-VA. Et maintenant il faut m’excuser, car mes croque-monsieur risquent de brûler. « 

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