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La Belgique coupée en deux par le report du vote sur l’IVG (revue de presse)

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Le débat, sensible, sur l’interruption volontaire de grossesse témoigne de sensibilités très polarisées dans notre pays. Aperçu par les éditoriaux de plusieurs journaux.

Le report du vote sur l’élargissement de l’Interruption volontaire de grossesse a révélé une Belgique coupée en deux sur le thème éthique. Et globalement indignée par le marchandage politique auquel s’est livré e CD&V, avec l’appui de la N-VA, du CDH et du Vlaams Belang.

« C’est donc bien le marchandage politique qui a emporté le morceau, en prenant nos institutions en otage, s’indigne Anne-Sophie Bailly, rédactrice en chef du Vif/L’Express. Si on n’en attendait pas moins du Belang, cette manoeuvre des trois autres partis laisse avec un goût amer dans la bouche. Celui des lendemains qui déchantent. Car personne ne sort grandi de cette épisode. »

« Malgré le grand troc de jeudi, les négociations politiques pour former un gouvernement sont plus que jamais en mode pause, poursuit-elle. La confiance de la population dans nos institutions en a pris un sacré coup. Les femmes restent reléguées à un statut inférieur, celui d’êtres incapables de prendre pour elles-mêmes les bonnes décisions. Tout cela est indigne du droit des femmes et indigne de notre démocratie. »

Le Soir s’indigne, dans un registre similaire. « Dépénalisation de l’avortement: avec des amis comme ça, la démocratie n’a plus besoin d’ennemi« , titre Béatrice Delvaux, éditorialiste en chef du quotidien. « Que le Vlaams Belang se prête à des manoeuvres qui cassent le pouvoir du Parlement ne surprend personne. Mais que CDH, CD&V et N-VA utilisent des astuces et abusent des institutions pour torpiller le vote d’un texte qui ne les arrange pas, est ignominieux. »

« L’avortement est à l’évidence un enjeu lourd pour la société et donc pour le monde politique, prolonge-t-elle. Et la dépénalisation prévue dans ce texte – sur le pupitre des parlementaires depuis 2016 (!) -, qui prévoit aussi l’allongement de la période autorisée pour avorter et la réduction du délai de réflexion, n’est pas banale. Chacun a donc le droit et le devoir de se prononcer en conscience. Mais après deux reports du vote pour cause d’amendements divers, le respect de la démocratie exigeait qu’on laisse le Parlement trancher. Qu’est-ce donc que cette assemblée d’élus que des partis empêchent de fonctionner de la plus vile des manières ? Il faut se pincer quand on entend la députée CDH Catherine Fonck justifier sa participation à ce déni de démocratie par le fait qu’elle ne pense pas « qu’il existe une majorité dans la population » pour allonger la période pour avorter de 12 à 18 semaines ! Mais, en démocratie, on ne mesure pas la majorité en mettant son petit doigt en l’air pour sentir le sens du vent, mais par un vote des élus du peuple au Parlement, en se comptant, majorité contre opposition. Patrick Dewael, le président de la Chambre, l’a gravement rappelé aux députés ce jeudi. »

La Belgique est coupée en deux, y compris dans les rangs francophones. C’est ce qu’avaient illustré les deux textes forts que Le Vif/L’Express avait publié avant le vote. Sophie Rohonyi, députée fédérale DéFi, clamait : « Le femmes méritent mieux qu’un marchandage politique! ». En retour, Michel De Maegd, député fédéral MR, expliquait longuement pourquoi il ne voterait pas la proposition de loi qui était sur la table.

Francis Van de Woestyne, éditorialiste en chef de La Libre Belgique, reprend davantage des arguments des opposants à la loi, tout en regrettant lui aussi le marchandage. « La proposition de loi qui dépénalise totalement l’avortement contient des dispositions qui, de l’avis de nombreux spécialistes, peuvent heurter les consciences, écrit-il. Faut-il pour cela utiliser ce débat sensible pour retarder, voire empêcher la constitution d’un gouvernement fédéral ? Nous ne le pensons pas. »

« Le débat posé par la proposition permettant l’avortement sans motif médical jusqu’à la moitié de la grossesse est extrêmement délicat car il concerne tant la liberté des femmes à disposer de leur corps que la vie d’êtres en devenir, souligne-t-il. Il serait inconvenant de nier la détresse dans laquelle certaines femmes enceintes se retrouvent, vivant un désespoir familial et psychologique tel qu’elles n’envisagent aucune autre issue que de recourir à une interruption volontaire de grossesse au-delà de l’actuel délai légal de 12 semaines. Quelque 500 femmes belges y ont recours chaque année, en se rendant aux Pays-Bas. Il faut entendre leur désarroi et y répondre. Mais comment, par ailleurs, nier qu’après 18 semaines, 20 semaines d’aménorrhée, le foetus ne soit pas, déjà, un être vivant – vingt centimètres – promis à une existence, brutalement interrompue ? Car l’acte par lequel le personnel soignant est amené à mettre fin à une telle grossesse n’est pas un geste anodin, ni un acte dénué de possibles conséquences psychologiques graves. Faut-il rappeler que, dans les centres prénataux, les médecins donnent vie à des prématurés de 24 semaines et que plus la moitié des pays européens maintiennent le délai d’avortement à 12 semaines? »

« Mais nous vivons en démocratie, conclut-il. Si une majorité d’élus se prononcent en faveur de ce texte, il devra être approuvé. Faire de son rejet une sorte de droit d’entrée dans le prochain gouvernement reviendrait à réduire cet enjeu à un vulgaire objet de marchandage. La Belgique souffre depuis trop longtemps de petits jeux politiques. Le débat parlementaire sur des questions cruciales de société est une chose, la négociation pour la constitution d’un nouveau gouvernement en est une autre. Mélanger les deux contribue à banaliser le premier enjeu et à compliquer la sortie de crise du pays. »

Dans L’Echo, Serge Quoidbach parle d’un « danger démocratique au Parlement »: « Cette saga nous laisse ce goût amer dans la bouche, celui d’une démocratie confisquée où chaque parti se doit de sortir avec un trophée quitte à utiliser arguties et ficelles bon marché, et à endommager ainsi gravement la réputation de nos institutions. Le tout à un moment où les citoyens attendent des actions concrètes pour relancer l’économie du pays et où, ose-t-on encore le dire, ils espèrent encore un gouvernement fédéral après un an et demi d’apoplexie politique dont on voit ici les soubresauts somatiques. C’est leur droit le plus fondamental dans une démocratie digne de ce nom. Et ce droit, hier, a été une nouvelle fois piétiné. »

En Flandre, la tonalité des éditoriaux reflète, là aussi, des sensibilités différentes. On y évoque un « petite question royale » en référence à l’interruption volontaire de régner du roi Baudouin, il y a trente ans, lors de la première adoption d’une loi autorisant l’interruption volontaire de grossesse.

Jan Segers, éditorialiste de Het Laatste Nieuws, parle de Georges-Louis Bouchez comme un « enfant roi », en évoquant l’impact de l’incident à la Chambre sur les négociations gouvernementales. « C’est un malentendu de dire que Trois Rois (comme on les surnome en Flandre, en référence aux rois mages – Ndlr) essayent de former un nouveau gouvernement, souligne-t-il. Il n’y en a que deux. Le troisième est encore un enfant. Un enfant roi, probablement. »

Georges-Louis Bouchez, à 34 ans, est « le prince royal de la politique belge », souligne-t-il. C’est le pendant à droite du jeune président des soialistes flamands, Conner Rousseau (27 ans). « Son MR n’est que le septième petit parti de ce pays, avec un demi-million d’électeurs », rappelle toutefois Jan Segers. Qui insiste sur le côte « joueur » du président libéral, pour qui « chaque jour sans un ricanement à l’encontre d’un autre prti est un jour perdu ». Il devrait, souligne-t-il, mettre davantage son immense talent au service du pays qu’il aime.

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