Stephane Moreau © BELGA

L’Avenir, très agité juste avant son centenaire

Un conseil d’entreprise extraordinaire des Editions de l’Avenir se tiendra ce mardi 23 octobre. Il y serait question d’un nouveau centre d’impression. Un plan de restructuration est toujours dans l’air. Propriété de Nethys/Publifin, le quotidien bientôt centenaire rejette la férule de Stéphane Moreau et Pol Heyse.

La fenêtre de tir est étroite : dès la fin de cette année, les partis politiques seront de nouveau en campagne électorale pour les législatives de mai 2019. Tentés par l’inaction, donc. Or, dans le cas de Nethys/Publifin, il y a le feu à la maison. Son pôle Telco (Voo, médias écrits) est sur des charbons ardents et se désagrège discrètement à Bruxelles (Be TV) et en Wallonie. Depuis des mois, Telenet et Orange font des offres de rachat par médias interposés, en promettant de laisser à Nethys une minorité de blocage. Les Liégeois ne perdraient pas la face, eux qui ont investi dans le rachat du câble wallon pour empêcher, disaient-ils alors (en 2006), que le flamand Telenet s’en empare. Entre temps, disent-ils aussi, ils ont valorisé cette infrastructure.

Devenu majoritairement américain, Telenet est intéressé par Voo, non par la presse écrite. Le français Orange, lui, est disposé à reprendre Voo, ainsi que L’Avenir, Moustique et les participations minoritaires de Nethys dans les groupes La Provence (copropriété de Bernard Tapie) et Nice-Matin (actionnariat salarié). Dans les journaux méditerranéens, Nethys est tenu de monter progressivement à 49 % si leurs résultats financiers atteignent un niveau suffisant. Vu la mauvaise santé de la presse écrite dans son ensemble, la société liégeoise pourrait théoriquement se dégager, comme le pouvoir politique wallon l’en prie instamment depuis juillet 2017, par le truchement d’une commission d’enquête parlementaire unanime. En effet, l’intercommunale Publifin est sortie de son périmètre légal en se lançant dans des activités sans lien avec l’intérêt communal ou provincial. Selon nos sources, Bernard Tapie aurait invité plusieurs fois Stéphane Moreau, CEO de Nethys, et François Fornieri, patron de Mithra et membre du conseil d’administration de Nethys, dans sa villa de Saint-Tropez, cet été, pour imaginer des scénarios d’accord. Sur la Côte d’Azur et en Provence, comme en bords de Meuse et de Sambre, une clarification est attendue.

Le centenaire du quotidien namurois, le 19 novembre prochain, risque, en effet, d’avoir le goût de la colère. Un conseil d’entreprise extraordinaire des Editions de l’Avenir (EdA) a été convoqué pour ce mardi 23 octobre. Une annonce importante pourrait y être faite. On sait que Nethys a décidé de faire imprimer L’Avenir non pas à Charleroi (Europrinter) mais à Nivelles, dans une imprimerie qui appartient à Rossel, éditeur du Soir, Soir Mag et les quotidiens de Sudpresse notamment. Le format choisi serait une vraie surprise : le même que celui du Soir et des journaux du groupe Sudpresse (La Capitale, La Meuse, La Nouvelle Gazette, La Province, Nord-Eclair). Le format berlinois.

Or, selon un sondage réalisé par Voo à la demande du patron du Pôle Telco de Nethys, Jos Donvil, les lecteurs de L’Avenir préféraient le format tabloïd US d’Europrinter. Les cadres de l’entreprise et les représentants du personnel (Setca, CNE, Société des journalistes et Association des journalistes professionnels) aussi. Mais, à défaut, le choix de l’imprimerie Rossel étant fait, ils s’étaient ralliés au format demi-berlinois, compatible avec ses rotatives. Si le choix du « Berlinois » se confirme mardi prochain, il restera à peine deux mois aux graphistes, journalistes et informaticiens de L’Avenir pour changer leur fusil d’épaule, tout cela, en pleine période de réabonnement.

Suicidaire ? Les maîtres de Nethys n’ont cessé de souffler le chaud et le froid. En juillet 2017, Europrinter avait la cote ; en septembre 2017, c’était Rossel, puis, de nouveau Europrinter en décembre. En janvier 2018, Pol Heyse, président du CA des Editions de l’Avenir, faisait l’annonce d’Europrinter. Le conseil d’entreprise en était avisé en février. Badaboum ! Le comité de direction de Nethys (Stéphane Moreau, Pol Heyse, Bénédicte Bayer et Jos Donvil), doté quasi des pleins pouvoirs dans la configuration actuelle de Publifin, aurait donc changé d’avis, sous réserve d’une annonce différente au conseil d’entreprise.

Les observateurs ne manqueront pas de voir dans ce choix une étape supplémentaire de l’intégration de L’Avenir dans Rossel : d’abord via des régies publicitaires communes, ensuite par une impression au même endroit, enfin par le lancement d’un grand quotidien wallon sous pavillon Rossel, un Sudpresse amélioré, sous la direction, par exemple, de Michel Marteau, un ancien de la presse populaire recruté par Nethys, rejeté à Nice-Matin et qui a fait récemment son entrée au CA de L’Avenir Hebdo (Moustique).

Pour le monde politique, ce nouvel épisode rappellerait le précédent de l’automne 2013, quand Tecteo/Publifin avait foncé sans crier gare sur L’Avenir. On a eu beau crier à la main-mise d’un pouvoir public sur un média, en l’occurrence la Province de Liège et les communes associées, le chien aboie, la caravane passe. De nouveau, le danger d’une perte de pluralisme de la presse francophone se profile. Jusqu’à présent, les journalistes de L’Avenir ont réussi à défendre leur indépendance et une option de proximité avec le public sans perte de qualité, comme l’a montré leur dernière couverture des élections communales.

Comment va se terminer l’aventure de Nethys à Namur ? Le groupe liégeois a racheté l’Avenir à Corelio (De Standaard) au prix fort. Abstraction faite de ses fonds propres (huit millions d’euros à l’époque), l’entreprise namuroise était estimée à 18 millions d’euros ; Rossel en proposait 13 millions. Grand seigneur, Nethys a mis sur la table 25 millions, en laissant tomber la radio Nostalgie et les parts d’Audiopresse, actionnaire de RTL-TVI qui faisaient partie du groupe. Et a repris pour un euro symbolique la société Avenir Advertising (Proximag) dont le déficit cumulé avoisine aujourd’hui les huit millions d’euros, ce qui n’était pas le cas à l’époque. Nethys a fait supporter en partie ce déficit aux EdA, ce qui a plombé les comptes du journal. Au moment où il a été racheté, il générait des bénéfices depuis sept ans.

La situation s’est dégradée à partir de 2016 (Nethys a pris effectivement les rênes en mai 2014). Son Ceo qui avait remis le bateau à flots avec l’aide du personnel et de l’ancien propriétaire, Quentin Gemoets, a été poliment débarqué en mai 2016, avec une prime de consolation. Son successeur, Eric Schonbrodt, l’a suivi sur un constat d’échec, moins de deux ans plus tard, en février 2018. Quant au rédacteur en chef, Thierry Dupiéreux, il a jeté l’éponge en juin dernier, « de commun accord », après avoir subi des interventions déplaisantes de la rue Louvrex, siège de Nethys/Publifin. Il a été remplacé, non par un rédacteur en chef, ce qui aurait nécessité de prendre l’avis de la société des rédacteurs, mais par un directeur des rédactions, Philippe Lawson, qui n’a pas trouvé sa place, selon des courriers convergents adressés par les cadres et le personnel aux responsables de la société.

Même Jos Donvil, le bon soldat flamand, supporterait de moins en moins la tutelle liégeoise exercée par Stéphane Moreau et Pol Heyse. Un détail : le responsable du pôle Telco a débloqué un budget pour la commémoration, le 18 novembre prochain, du centenaire du premier numéro de Vers l’Avenir. Une séance protocolaire était prévue. Selon une source interne, « les invitations sont bloquées depuis des semaines chez Nethys, sans explication ni même réponse aux questions du management et du personnel impliqué dans l’événement ». L’annulation de la réception est envisagée.

Le 8 novembre, la commission des Affaires économiques du Parlement wallon doit entendre des éditeurs de presse, des représentants du personnel des EdA et la secrétaire générale de l’Association des journalistes professionnels dans le cadre d’un débat sur le futur de la presse quotidienne en général, avec un focus particulier sur l’avenir du deuxième groupe de presse francophone : L’Avenir. « Cette convocation énerve visiblement, chez Nethys », rapporte une source. Le bras de fer entre le duo Moreau-Heyse et certains ministres de la majorité wallonne (MR-CDH) est engagé, avec pour toile de fond la vente d’une partie des activités concurrentielles de Nethys (dont Voo et les médias écrits).

Il ne faudra pas attendre cette audition pour prendre la mesure du caractère explosif du dossier, le 23 octobre prochain.

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