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L’autre affaire De Decker

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Armand De Decker, Jean-François Etienne des Rosaies, l’Ordre de Malte, l’entourage de Didier Reynders : certains des protagonistes du Kazakhgate sont aussi impliqués dans la tentative, manquée, d’élever, en 2014, l’industriel George Forrest au rang de baron. La commission d’enquête parlementaire osera-t-elle s’en saisir ?

Le 15 avril 2014 n’était pas un jour comme les autres, au royaume de Belgique. Philippe, roi depuis quelque mois, fête ses 54 ans. Son premier anniversaire sur le trône. Pour le célébrer en fanfare ou pour surprendre les observateurs de la monarchie, le souverain choisit ce jour-là de publier, pour la première fois de son règne, sa liste des faveurs nobiliaires et des distinctions honorifiques accordées sur proposition du ministre des Affaires étrangères, Didier Reynders. Traditionnellement, son prédécesseur de père le faisait autour du 21 juillet.

Sans le savoir, le roi Philippe tire alors un tout petit bout de ficelle rattaché au sale paquet de noeuds du Kazakhgate.

Remontons-en le fil.

Un nom dans la litanie attire alors l’attention des chroniqueurs royaux : l’industriel belgo-congolais George Forrest est élevé au rang de grand officier de la Couronne. Une promotion pour le millionnaire, déjà commandeur de l’Ordre de Léopold ? Non. L’homme d’affaires visait un titre de baron, plus prestigieux, et semble-t-il plus susceptible d’impressionner certains interlocuteurs commerciaux, industriels et financiers. Ses connexions avec le Mouvement réformateur sont bien connues. Ainsi à l’époque, le directeur général de la fondation George Forrest est Olivier Alsteens, si proche du clan Michel qu’il a quitté la direction de la fondation pour prendre celle du service com du MR, après une brève mission de consultance auprès de Charles Michel, alors informateur royal, puis coformateur.

Et la commission d’avis sur les concessions de faveurs nobiliaires et les distinctions honorifiques de grade élevé, chargée de proposer des récipiendaires au cabinet du ministre des Affaires étrangères, et ensuite à celui du Roi, recèle elle aussi des noms bien connus de la galaxie libérale en général, et reyndersienne en particulier. Olivier Alsteens y avait d’ailleurs siégé entre 2004 et 2012. Il n’est, nous a-t-il affirmé, pas intervenu dans le dossier de son employeur de l’époque. Mais lorsqu’est instruite la candidature Forrest à l’automne 2013, on trouve parmi les douze membres nommés par le SPF Affaires étrangères l’alors gouverneur MR de la Province de Liège Michel Foret, l’avocat d’affaires (et baron) liégeois Didier Matray, ancien du cabinet Jean Gol, ainsi que le grand patron (et baron) Luc Bertrand, désigné commissaire général d’Europalia Turquie par Didier Reynders, dont le cabinet aux Affaires étrangères est dirigé par Alexia Bertrand, fille de. Autant dire trois proches.

Ceux-là, nous confirment plusieurs sources, ont poussé pour que le « vice-roi du Katanga », premier employeur privé en RDC, très actif également dans l’humanitaire, accède à sa baronnie.

Bref, c’était tout ficelé, pour George Forrest. Mais il y avait un noeud. Et les fines lames du MR n’ont pas pu le trancher.

En effet, « les aspects plus sulfureux du personnage ont fait froncer les sourcils » de certains membres de la commission d’avis, faisaient remarquer, en avril 2014, nos confrères de L’Echo. George Forrest a bâti une partie de sa fortune sur le secteur de l’armement – rappelez-vous, en 2005, l’affaire de la licence à New Lachaussée pour la Tanzanie -, ce qui lui a été reproché par une membre en particulier de la commission d’avis, la baronne Martine de Bassompierre, veuve Jonet. « Et parce que ça ne passait pas pour le titre de baron, on a dû se rabattre sur l’Ordre de la Couronne, et la baronne l’a accepté », explique un témoin de premier plan. C’est ainsi, donc, que Didier Reynders a proposé au roi Philippe de nommer George Forrest grand officier de l’Ordre de la Couronne plutôt que baron.

Et alors ? Quel est le rapport avec le Kazakhgate ? Tirons encore un peu le fil…

Fin 2013, les courriers du « conseiller cheval » de Nicolas Sarkozy, Jean-François Etienne des Rosaies, impliquant notamment Armand De Decker, Didier Reynders, puis l’Ordre de Malte, ont déjà fait les gros titres des journaux, notamment du Canard enchaîné, de Médiapart et du Vif/L’Express. Chacun se défend alors comme il peut, c’est-à-dire en taxant de fausseté et de mensonge les accusations de des Rosaies. Beaucoup se verront pourtant confirmées par les faits dans les mois qui suivront.

Entre 2013 et 2014, c’est un total de quelque 95 000 euros qu’aura versé le groupe Forrest sur le compte de Jean-François Etienne des Rosaies. En juin 2015, l’avocat de des Rosaies affirme à nos confrères français de Médiapart qu’il s’était agi d’aider à l’anoblissement de George Forrest, via ses contacts belges. « Ces sommes ont bien été allouées à monsieur des Rosaies, mais pour de tout autres prestations », conteste George Forrest, par la voix de son porte-parole Henry de Harenne, par ailleurs chef de groupe MR au conseil communal de Woluwe-saint-Lambert.

Il n’empêche que, spontanément ou pas, le Français a travaillé à favoriser cette vaine tentative d’anoblissement. Avec d’autres personnes et organisations citées elles aussi dans le sac de noeuds kazakh.

Il y a Armand De Decker, tout d’abord. Le bourgmestre d’Uccle, le 4 novembre 2013, adresse au président du Conseil de noblesse, avec copie au ministre des Affaires étrangères Didier Reynders, une dithyrambique lettre de recommandation de trois pages en faveur de George Forrest, publiée sur levif.be le 16 décembre dernier. « George Forrest a découvert cette lettre au moment de sa publication sur le site du Vif/L’Express », déclare Henry de Harenne.

Il y a l’Ordre de Malte, ensuite, dont le grand chancelier, le Français Jean-Pierre Mazery, qui envoie à son « cher ami » Didier Reynders, le 20 novembre 2013, une missive tout aussi louangeuse, mais plus courte, que celle d’Armand De Decker. « Il me paraît que Monsieur Forrest mérite pleinement la reconnaissance aussi bien de l’Ordre que de la Belgique et du Congo », écrit-il dans une lettre, elle aussi consultable sur le site Internet du Vif/ L’Express. Le représentant de l’Ordre de Malte auprès du gouvernement belge, André Querton, nie pourtant avoir participé à ce lobbying.

Il y a Jean-Claude Fontinoy, enfin. Un des plus proches amis de Didier Reynders, président de la SNCB et employé dans son cabinet, qui a encore été en contact avec Jean-François Etienne des Rosaies, notamment pour l’introduire dans certains milieux belges.

De Decker, le grand chancelier de l’Ordre de Malte, et Jean-Claude Fontinoy ont-ils agi à l’initiative de Jean François Etienne des Rosaies, à un moment où son nom, pourtant, sentait déjà la poudre brûlée ? C’est ce que des courriers, envoyés par ce dernier en décembre 2013 et janvier 2014, et publiés le 9 décembre 2016 par la RTBF, laissent à croire. Il s’y réjouit, devant son interlocuteur, le grand chancelier Mazery, de « l’estime et des liens qui le lient tout particulièrement à Jean-Claude Fontinoy, homme lige auprès de Didier Reynders ». Il y déplore les rôles, néfastes à la cause de Forrest, joués par André Querton et par le baron Bernard de Gerlache, vice-président d’Order of Malta Belgium International Aid, un des organes de l’Ordre en Belgique. Il y signale la sanction, infligée par Didier Reynders, à Charles Ghislain, ambassadeur de Belgique auprès du Vatican, siège de l’Ordre, pour avoir « tenu des propos outranciers » à l’égard de des Rosaies. L’ambassadeur aurait-il maladroitement déconseillé au ministre et à son entourage de fréquenter un personnage qui les avait déjà fait citer dans un scandale d’Etat ? Il ne semble pas délirant de le penser.

Et alors ? Quel rapport avec la baronne de Bassompierre ? Tirons encore, une dernière fois, sur le fil…

Martine de Bassompierre est la veuve du baron Jacques Jonet. Décédé en 2007, il était le prédécesseur d’André Querton comme représentant de l’Ordre de Malte en Belgique. Sa baronne de veuve est aujourd’hui, avec le baron Bernard de Gerlache, l’autre vice-présidente d’Order of Malta Belgium International Aid. Et l’on prête à son défunt mari une longue amitié avec Armand De Decker. A-t-on voulu ainsi convaincre, via le vieil ami ministre d’Etat et via le grand patron d’un ordre hospitalier millénaire, la dernière récalcitrante de la commission d’avis sur les faveurs nobiliaires ? Il ne semble pas non plus délirant de le penser.

La baronne n’a donc, selon nos sources, que cédé sur le titre de grand officier de l’Ordre de la Couronne. Elle n’a en tout cas pas voulu répondre aux sollicitations du Vif/L’Express. C’est son droit. Mais elle, comme aucun des autres protagonistes, ne pourra pas se soustraire à celles de la commission d’enquête parlementaire sur le Kazakhgate, qui entamera vraiment ses travaux le 11 janvier. Et certains commissaires sont tentés de mettre la question de l’anoblissement raté de George Forrest à son menu…

« Je suis ouvert à la question. Dès lors que les mêmes protagonistes y ont été impliqués, longtemps après les premières révélations, je pense qu’il faudra en discuter », lance Dirk Van der Maelen (SP.A), président de la commission d’enquête. David Clarinval (MR), n’est « pas non plus fermé a priori, car c’est vrai que certains éléments ont de quoi interpeller ». Mais il tempère. « Attention, toutefois, de ne pas trop disperser les travaux de la commission. Surtout qu’au bout du compte, George Forrest n’a pas obtenu ce qu’il réclamait ».

On est prudent, donc, au MR. Il y a de quoi.

Car ce n’est pas une ficelle, finalement, que nous avons remonté. C’est une mèche. Et ce n’est pas une bobine, au bout de la mèche. C’est un détonateur. Y a-t-il une bombe à l’autre bout du fil ?

Droit de réponse de George FORREST

Le jeudi 5 janvier 2017, le magazine Le Vif / L’Express a publié, dans sa version papier, un article intitulé « Kazakhgate, l’autre affaire De Decker « , rédigé par Monsieur Nicolas DE DECKER (ci-dessous « le journaliste »). L’article est annoncé en couverture du magazine par le titre, aussi trompeur que racoleur, « George Forrest, Armand De Decker et le Kazakhgate « .

Depuis le vendredi 6 janvier 2017, le même article est également publié sur le site internet de Le Vif / L’Express sous le titre « L’autre affaire De Decker  » (ci-dessus).

L’article suggère un lien entre l’affaire que l’on désigne désormais communément le « Kazakhgate » et des lettres favorables à un anoblissement de Monsieur GEORGE ARTHUR FORREST (ci-dessous « M. FORREST »).

Par conséquent, et en application des dispositions de la Loi du 23 juin 1961 relative au droit de réponse, M. FORREST, gravement mis en cause, entend exercer son droit de réponse par l’insertion de la présente dans les pages de votre périodique et de votre site Internet.

Le lien sous-entendu entre le « Kazakhgate » et M. FORREST n’a en effet aucun sens et la chronologie des événements qui y sont exposés ne tient pas la route. Les faits attribués au « Kazakhgate » (2011) précèdent de plus de deux ans ceux avancés par le journaliste pour ce qui concerne les lettres en faveur d’un anoblissement (fin 2013-2014).

Par ailleurs, M. FORREST nie catégoriquement tout lien avec cette affaire du « Kazakhgate », n’ayant strictement rien à voir, ni avec le Kazakhstan, ni avec la législation belge en matière de transaction pénale, ni avec les hommes d’affaires cités dans ce dossier.

Enfin, M. FORREST n’a jamais sollicité d’anoblissement. Il n’a jamais mandaté, et encore moins rémunéré qui que ce soit afin d’intercéder en sa faveur à cette fin. La lettre publiée par Le Vif / L’Express en décembre, dont M. FORREST a découvert le contenu à cette occasion, est une initiative qui appartient à son auteur.

Le raisonnement du journaliste ne se base donc que sur le fait que des noms de personnalités cités dans le « Kazakhgate » apparaissent également dans le cadre d’initiatives, étrangères à M. FORREST, prises dans le contexte de l’envisagement de son anoblissement. À aucun moment le journaliste n’évoque d’autres liens. Et pour cause : il n’y en a aucun.

Enfin, affirmer, comme le fait le journaliste, que M. Forrest « a bâti une partie de sa fortune sur le secteur de l’armement » relève de l’acharnement. La seule société de M. Forrest ayant un lien avec le secteur de l’armement, mais également active dans le civil, est l’entreprise liégeoise New Lachaussée. M. Forrest tient à rappeler qu’il a repris cette société en 1989, alors qu’elle était en grande difficulté financière, à la demande des autorités wallonnes de l’époque. M. Forrest a toujours tout fait, notamment injecté du capital frais à plusieurs reprises, afin de préserver l’emploi et l’expertise de cette société liégeoise. Il s’est par ailleurs toujours engagé, aussi bien vis-à-vis des syndicats que des autorités wallonnes, à ne pas vendre cette société n’importe comment et à n’importe qui, ce qu’il aurait pu faire depuis longtemps, afin de préserver l’emploi et le savoir-faire belge de l’entreprise.

En conclusion, il est regrettable que cet article, feignant de détricoter un sac de noeuds en prétendant en remonter le fil, noie finalement les lecteurs dans un flot d’anecdotes et de noms, manifestement destiné à jeter le trouble sur de prétendus liens entre l’affaire du Kazakhgate et M. Forrest, liens qu’une analyse attentive de l’article ne permet nullement d’apercevoir.

Cet article comporte par ailleurs plusieurs allusions lapidaires aux activités de M. FORREST et de ses sociétés, sinon destinées à écorner leur image au passage, de nature à nuire à sa réputation et à lui occasionner un grave préjudice, de sorte qu’il n’exclut aucune suite judiciaire à l’encontre de Le Vif / L’Express.

Il paraît impératif d’amener ces précisions à vos lecteurs et de vous demander de procéder à l’insertion du présent droit de réponse à l’article incriminé, tant dans sa version papier que dans sa version électronique, dans les délais et conditions de la loi.

George Arthur FORREST

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