Olivier Mouton

L’air de rien, le roi Philippe prend des risques

Olivier Mouton Journaliste

Son rôle dans la crise et son intervention aux Nations unies témoignent d’une influence qui va au bout de ses prérogatives – voire au-delà…

Depuis des années, au fil de débats sur la dotation royale et sous la pression des nationalistes flamands et/ou d’élus plus ou moins ouvertement républicains, la monarchie perd de son lustre. Même si sa popularité reste grande, singulièrement en Flandre, la famille royale doit régulièrement faire face à des débats compliqués, depuis les facéties du prince Laurent jusqu’à l’âpre débat sur la paternité du roi Albert : « un sale coup pour la monarchie », écrivions-nous alors.

Alors que certains rêvent d’une monarchie purement protocolaire, il est pourtant singulier de voir combien le roi Philippe repousse, l’air de rien, les limites de son rôle. Depuis sept ans sur le trône, l’homme a acquis de l’expérience et s’est forgé une forme de sagesse – alors que l’on craignait à l’époque son caractère impulsif ou son manque de discernement. Mais il se construit un chemin singulier.

Voici cinq ans, nous écrivions que le roi était « sous haute surveillance », des sources haut placées nous disant combien Philippe était désireux de bien faire, mais aussi d’obtenir des prérogatives qui ne lui correspondent pas. « Il a clairement des difficultés à intégrer les limites du pouvoir du Roi, soulignait alors une de nos sources. Il cultive sans le savoir une certaine frustration par rapport à sa fonction de chef de l’Etat telle qu’elle est définie. Il pensait qu’il allait pouvoir déployer un pouvoir de nature politique, ce qui ne peut pas être le cas. »

Les temps ont certes changé, mais la situation délicate dans laquelle se trouve notre pays, sans gouvernement de plein exercice depuis plus d’un an et sans solution depuis les élections du 26 mai 2019, contraint le roi à repousser les limites de son rôle. Il a surpris, voire été critiqué à deux reprises. La première fois lorsqu’il a tenu un discours vigoureux aux autorités de la nation pour demander aux partis de « laisser tomber leurs exclusives »le constitutionnaliste Marc Uyttendaele (ULB) jugeant qu’il avait outrepassé son rôle. La deuxième fois lorsqu’il a déposé avec une certaine brutalité le duo d’informateurs composé de Georges-Louis Bouchez (MR) et de Joachim Coens (CD&V), pour lancer dans l’arène Koen Geens, sans même avoir mis au courant son parti. D’aucuns avaient souligné le rôle joué par Vincent Houssiau, chef cabinet du roi et ancien chef de cabinet du même Koen Geens au fédéral. La Libre revient d’ailleurs ce mardi sur le trio qui conseille le palais.

Il reste bel et bien au roi la prérogative de donner des impulsions pour former un gouvernement fédéral. Il incarne même une stabilité institutionnelle vitale pour le pays. Mais l’incertitude actuelle le contraint à prendre des risques. Son action est outre fragilisée parce qu’elle n’est couverte que par un gouvernement… minoritaire et en affaires courantes – du jamais vu.

Ce mercredi, le roi Philippe prendra la parole devant les Nations unies. C’est la deuxième fois qu’il s’adressera aux grands de ce monde pour évoquer cette fois la nécessité d’empêcher l’utilisation des enfants soldats et l’importance d’agir dans un cadre multilatéral. Rien de scandaleux, que du contraire. En 2018, lors de sa première prise de parole devant l’ONU, le roi avait fait un vibrant plaidoyer pour la paix dans le monde – une opinion consensuelle, a priori. Toujours est-il qu’à l’époque de notre enquête de 2015, certains de nos interlocuteurs s’étonnaient de voir Philippe insister pour prendre la parole… aux Nations unies. Il est donc arrivé à ses fins.

« Ma grande crainte, nous disait-on alors, c’est qu’il rêve de poser un acte pour passer à la postérité, comme Baudouin, sa référence absolue. Je suis convaincu qu’il voudra faire un geste qui lui confère un vrai pouvoir, au-dessus de la mêlée. » Cinq ans plus tard, alors que tout le monde pense que la monarchie n’a plus grand-chose à dire, nous ne sommes peut-être pas au bout de nos surprises. Pour l’instant, la classe politique – y compris les nationalistes et les républicains – reste globalement bienveillante à son égard. Mais si la crise venait à s’aggraver, le ton pourrait changer. Et la monarchie risquerait alors de devenir une cible.

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