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Jean-Luc Crucke, ministre wallon du Budget: « Ne nous leurrons pas, sinon nous serons déçus »

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Pour Jean-Luc Crucke (MR), ministre wallon du Budget, c’est d’abord sur la Région wallonne que pèsera la charge, énorme, de la reconstruction. Mais le fédéral devra assumer sa promesse de « ne pas laisser tomber la Wallonie ». « Je rappellerai cette promesse à Alexander De Croo à chaque fois », assure-t-il.

« Il faut que l’Etat fédéral soit solidaire, et pas seulement en envoyant l’armée. Il serait singulier qu’on ait de l’aide de l’Europe, et que le fédéral se limite à de la compassion », a dit votre collègue Christophe Collignon (PS), ministre wallon du Logement. Le gouvernement fédéral en fait-il trop peu face à l’ampleur de la catastrophe?

Lors de la conférence de presse à Namur, le 27 juillet, avec Alexander de Croo, j’ai été limpide sur la question. Ce n’est qu’après avoir chiffré tous les besoins qu’il sera possible d’évoquer le degré de participation à l’effort entre les assurances, l’Europe, le fédéral et la Wallonie. Cela dit, ne nous leurrons pas pour ne pas être déçus: les Wallons sinistrés devront d’abord compter sur la Wallonie pour faire face aux défis qu’il convient d’affronter. Nous nous devons d’être à la hauteur politiquement, techniquement et budgétairement. Pour le fédéral, Alexander a été très clair lors de ses visites dans les zones sinistrées: « Nous ne vous laisserons pas tomber. » Je n’en doute pas. Mais je n’hésiterai pas à rappeler cette promesse à chaque fois que j’en aurai l’occasion. A ce stade, deux milliards d’euros d’aides directes wallonnes sont prévus et des moyens seront dédiés au CPAS par le fédéral. Est-ce suffisant? Non, vous vous en doutez car il faudra repenser fondamentalement plusieurs de nos politiques à l’aune de l’urgence climatique dont cette catastrophe semble être une des premières conséquences. J’ai des contacts avec ma collègue Eva De Bleeker (NDLR: secrétaire d’Etat au Budget, Open VLD) et je pense qu’elle peut me rejoindre sur la nécessité de règles de gouvernance budgétaire plus adaptées au monde d’aujourd’hui.

La charge relative de la dette wallonne aujourd’hui, même avec son augmentation, est moins importante qu’elle ne l’était il y a cinq ou dix ans.

Inévitablement, la dette wallonne et le déficit régional augmenteront. La Wallonie enverra-t-elle bouler la Commission européenne si elle exige de tendre vers les critères du Pacte de stabilité?

Concernant les règles du Pacte de stabilité, nous sommes jusqu’en 2023 sous le régime de la clause de sauvegarde. Et je n’ai pas l’impression que l’on ira vers des règles de gouvernance identiques à celles du passé quand la situation sera stabilisée. A mon sens, ce serait dangereux. D’ailleurs, les récentes déclarations de la Commission – que ce soit par le commissaire Gentiloni ou par la présidente de la Commission – et de la plupart des économistes vont toutes dans le même sens : les règles de gouvernance budgétaires « actuelles » (les fameux « critères de Maastricht « , notamment) seront rediscutées dès l’automne pour les réinterroger face à l’évolution des réalités qui s’imposent à nous. Concernant la dette, je vais être clair. Il faut savoir que la charge relative de la dette aujourd’hui, même avec son augmentation, est moins importante qu’elle ne l’était il y a cinq ou dix ans. Elle est donc moins difficile à supporter pour le budget wallon. Et pour rappel, si nous avons pu faire face à la crise de la Covid, c’est parce que trois grandes dames européennes ont eu le courage et l’audace de casser les codes et de faire évoluer les règles. Merci à Mesdames Van der Leyen, Lagarde et Merkel! La politique monétaire européenne, en permettant de bénéficier d’intérêts extrêmement bas, nous a permis d’injecter énormément d’argent public dans les circuits associatifs et privés pour éviter l’immobilisation de la machine économique. Je suis persuadé qu’après les élections allemandes et française, l’Europe trouvera la même qualité de réponse pour continuer à faire évoluer les critères de Maastricht et permettre la poursuite de l’investissement public qualitatif et durable, en encourageant les réformes structurelles indispensables.

L’intervention du Fonds des calamités, possible dans 202 communes, est entièrement à la charge de la Région depuis la sixième réforme de l’Etat. La logique voudrait pourtant que l’assiette, pour un tel fonds de solidarité, soit la plus large possible… A-t-on commis une erreur en le régionalisant?

Il me semble avoir vécu, au début de la Covid, les mêmes critiques à propos de la régionalisation partielle de la Santé publique. Plus personne ne conteste cependant aujourd’hui qu’en assumant leurs responsabilités, la Flandre et la Wallonie ont placé la Belgique dans les plus hauts taux de vaccination du monde! La régionalisation du Fonds des calamités n’est donc en soi pas forcément un problème ou une erreur. Ce serait oublier un peu facilement que le précédent système était loin d’être exempt de lacunes. C’est à nous, Wallons, de prouver que nous pouvons gérer nos compétences de manière optimale.

Et c’est valable pour l’ensemble de nos politiques, qui doivent aller dans le même sens: redresser durablement notre Wallonie.

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Dans l’autre sens, la Wallonie a souffert des conséquences d’une série de mesures décidées à l’échelon fédéral (sur la protection civile et les zones de secours, par exemple). Le régionaliste que vous êtes prône-t-il leur régionalisation? Et comment faire, dans ce cas, pour éviter que ce mouvement n’entraîne pas des mesures d’économie, sachant que la Région wallonne dispose de moins de moyens?

Une fois de plus, la régionalisation de compétences ne doit pas faire l’objet d’un quelconque fétichisme politique, mais du sens des responsabilités et être conduite par le souci de l’efficacité des services. Un débat, en toute sérénité, devra être engagé sur l’efficacité des procédures liées à l’intervention d’urgence et son éventuelle amélioration. Gardons-nous néanmoins de jeter le bébé avec l’eau du bain! Même si comparaison n’est pas raison, je me souviens des critiques dont le bourgmestre de Tournai, Paul-Olivier Delannois, et moi-même avons souffert lorsque nous avons réformé, en Wallonie picarde, la Zone de secours. Les localismes et les conservateurs de tous bords politiques se tenaient la main pour en dire tout le mal qu’ils en pensaient. Aujourd’hui, tout le monde admet que la réforme fut un succès et que le professionnalisme dont font preuve les hommes et les femmes qui la composent est cité en exemple.

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