© Frédéric Pauwels/Huma

Jean-Denis Lejeune : enquête sur un intouchable

Devant lui, toutes les portes s’ouvrent. Tutoyant les ministres comme les journalistes, Jean-Denis Lejeune dispose d’un carnet d’adresses impressionnant. Et de l’audace du désespoir. Tout lui est-il dû pour autant ?

« Jean-Denis Lejeune ? Je préfère ne pas vous en parler. C’est un sujet tellement sensible… ». Répétée à de multiples reprises, cette réponse muette est éloquente. Qui est donc Jean-Denis Lejeune pour susciter pareil silence ? En 17 ans, depuis la disparition de sa fillette Julie et de Mélissa Russo, cet homme a pris lentement place dans l’espace public et n’a cessé, depuis lors, de repousser les limites de son périmètre. Au point d’être, depuis peu, conseiller communal à Flémalle, de nous affirmer qu’il se présentera aux fédérales de 2014, d’être reçu toutes affaires cessantes dès qu’il agite les médias par le Premier ministre et toute son équipe, de travailler comme attaché au cabinet du secrétaire d’Etat à l’Energie (Melchior Wathelet).

Porteur, à son coeur défendant, d’une histoire personnelle devenue collective, Jean-Denis Lejeune incarne pratiquement à lui seul, aujourd’hui, l’affaire Dutroux. Aucune autre affaire judiciaire n’aura marqué autant les Belges. C’est qu’elle conjugue une série de particularités : son abyssale horreur, les incroyables dysfonctionnements mis au jour dans la foulée, ses rebondissements multiples. Et son inscription dans un contexte de défiance généralisée de la population par rapport aux institutions au sens large.

« Les parents des enfants disparus sont tous devenus des acteurs sociaux. Tandis que les autres parents souhaitent que l’émotion retombe pour tourner la page, Jean-Denis Lejeune a, lui, besoin que cette émotion soit entretenue. Personne n’ose le dire, car il y a beaucoup d’hypocrisie autour de lui. Mais c’est cette professionnalisation d’un drame personnel qui crée le malaise autour de lui », affirme le philosophe politique Edouard Delruelle.
Le Liégeois suscite d’emblée la sympathie. Souriant, généreux, battant, franc et extraverti, il est, par définition, « le » bon père de famille. « Il incarne aussi l’homme qui représente le peuple face aux élites, ajoute Jérôme Jamin, politologue à l’ULg. Sa force, c’est qu’aujourd’hui encore, il maintient l’image du bons sens populaire face à des élites déconnectées de la réalité. »

Devenu carrossier par hasard alors qu’il voulait enseigner l’éducation physique, Jean-Denis Lejeune aime d’ailleurs à répéter que « le monde n’appartient pas qu’aux intellectuels ». Lui joue à la belotte. Longtemps joueur de football – « enfant, il acceptait de jouer au goal juste pour être intégré dans notre équipe », raconte le bourgmestre socialiste de Grâce-Hollogne, Maurice Mottard – il supporte le Standard, comme tant d’autres. Il peint aussi et joue au golf. L’empathie qu’il suscite auprès de nombre de Belges est réelle. « Il a fait de la population sa famille », résume Laurent Goffaux, de l’ASBL Médiantes. Sur les marchés, les gens lui offrent des fleurs. Qui peut en dire autant ?

« Il a regardé où il pouvait faire la différence et il l’a faite, très intelligemment », constate Jean-Benoit Pilet, professeur en sciences politiques à l’ULB. Soutenu par une majorité de la population, l’homme est quasiment intouchable. Il s’en défend. Certains lui reprochent-ils de considérer que tout lui est dû ? Il tombe des nues. « Tout politique qui lui fermerait sa porte est mort, tranche Edouard Delruelle. Du coup, on n’ose pas lui dire non. »

Laurence van Ruymbeke

L’enquête et l’interview de Jean-Denis Lejeune, bien au-delà de sa prochaine rencontre avec Michelle Martin, dans Le Vif/L’Express de cette semaine.

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