Jacques De Decker en 2017. © BELGA

Jacques De Decker, homme de lettres et de l’être

Thierry Fiorilli
Thierry Fiorilli Journaliste

Jacques De Decker, journaliste, chroniqueur (notamment au Vif/L’Express), écrivain et secrétaire perpétuel de l’Académie de langue et littérature françaises, est mort, dimanche, d’une crise cardiaque. Le dernier impromptu d’un type bien.

Le sourire illuminait son visage. L’expression a dû être créée pour lui. Parce que, quand Jacques De Decker souriait, c’était jusqu’avec les yeux. Et pas juste par élégance, par respect des bonnes manières. Plutôt parce qu’il cherchait toujours la lumière. A force, toutes celles qu’il avait captées, dans les livres, dans les langues, tant au Nord qu’au Sud, dans les salons soyeux comme dans les petits restos de quartier, parmi ceux qu’on désigne comme « les autorités » ou au milieu de ceux qu’on appelle « les anonymes », toutes ces lumières bues et lues l’éclairait, physiquement aussi donc.

Un homme de lettres, Jacques De Decker, mort ce 12 avril, à 74 ans. Journaliste (au Soir, surtout), chroniqueur (au Vif/L’Express notamment, jusqu’en 2018, et dans plusieurs émissions littéraires, tant sur la RTBF que sur RTL-TVI), romancier, biographe, essayiste, critique littéraire et théâtral, traducteur, polyglotte, secrétaire perpétuel de l’Académie de langue et littérature françaises.

Un homme de l’être aussi. Parce que sa soif de culture sans frontières (la française, la néerlandaise, l’anglo-saxonne, l’italienne, l’espagnole) lui permettait de comprendre les communautés, et pas seulement les tribus des arts. D’y distinguer les perles et les travers. Et de s’inspirer des premières pour qu’elles irriguent nos réalités belges.

Ce n’était pas un querelleur, un tempétueux, un poing asséné sur la table. Mais il savait tremper ses mots dans la lave quand il exprimait ses désaccords. Avec les politiques et administrations culturelles francophones belges, toujours à couper les sous en huit ou à s’arranger entre amis (« Le conflit d’intérêts est loin de n'[y] être que menaçant », écrivait-il dans Le Vif/L’Express en décembre 2017), au contraire de leurs homologues flamandes. Avec la presse francophone belge, trop longtemps ignorante des racines et des bourgeons du combat identitaire flamand. Avec le trop peu de fierté des Wallons et des Bruxellois pour leurs artistes. Avec l’affadissement des pages culturelles de nos médias. Avec d’abord ceux qui ont révélé le Kazakhgate, entraînant la disgrâce (et puis le décès, l’année dernière) de son si cher frère, Armand. Avec ensuite ce si cher frère, précisément, quand il lui est apparu que, somme toute, les révélations (du Soir et du Vif/L’Express surtout, ironie du sort) n’étaient pas si infondées.

Sa soif de culture sans frontières (la française, la néerlandaise, l’anglo-saxonne, l’italienne, l’espagnole) lui permettait de comprendre les communautés, et pas seulement les tribus des arts.

C’est le coeur qui a lâché, ce 12 avril. Ce coeur qui lui avait déjà joué des tours, il y a des années. A l’époque, les médecins lui avaient conseillé de nager. Mais allez donc faire vos longueurs dans les piscines publiques, en journée, la semaine, au milieu des écoliers. « Alors, je vais dans les piscines des hôtels, disait-il, sourire aux yeux. J’y suis tranquille. » Ce coeur qui battait la chamade, volontiers, pour celles et ceux qu’il considérait comme talentueux (« Le Focus/Vif, c’est là qu’on trouve les meilleurs articles culturels en Belgique ! », nous répétait-il), pour les femmes, pour la grâce, pour les auteurs fins, pour la culture non réduite au rang de loisir, pour les mots justes, sertis, parfumés, aériens, qui donnent des forces, qui élargissent l’horizon, qui élèvent. Pour la cuisine qui rend meilleur, sans qu’elle arbore pour autant des étoiles sur le torse (il avait sa table à lui, à côté du comptoir, à L’Angolo, une toute petite trattoria rue de l’Arbre Bénit, à Ixelles, où on lui servait des plats qui ne figurent pas au menu officiel). Pour les gens au caractère et au destin diamétralement différents mais dont la musique intérieure fait danser les flammes de l’âme (on pense notamment, pêle-mêle, à Yvon Toussaint, Hugo Claus, Béatrice Delvaux, Jean-François Kahn, Jean Jauniaux, Marina Laurent, Tilde Barboni, Jean-Claude Idée, Botho Strauss, sa compagne Claudia, sa fille Irina…).

Un type bien, Jacques De Decker. Une bibliothèque, une scène de théâtre et une salle de récitals (le titre de sa chronique dans Le Vif/L’Express, c’était Les impromptus, référence à ces compositions musicales libres, improvisées, souvent pour piano) à lui tout seul. Toutes mobiles, donc. Portes grand-ouvertes. Avec des brises, des embellies, des grêles et des clapotis de marée basse.

A tous ses proches, nous adressons, outre nos condoléances, la force et la tendresse puisées dans les éblouissements qu’il nous a permis de partager avec lui.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire