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Interdiction d’avoir des enfants: le sujet est relancé en Flandre

Muriel Lefevre

Si cela ne dépendait que de John Crombez, on devrait refuser aux parents incompétents le droit d’avoir des enfants, du moins temporairement. C’est ce que le président du sp.a a annoncé une interview à Humo. Tollé assuré.

Certains parents sont-ils inaptes à avoir des enfants ? Le débat sur cette question resurgit de façon sporadique en Flandre. Aujourd’hui, c’est au tour de John Crombez, président du sp.a, de le remettre sur le tapis. Dans une interview accordée au magazine Humo, il souhaite visiblement rouvrir le débat pourtant ultrasensible sur le droit à la parentalité.

« Quand vous entendez des soignants vous parler de bébés en manque parce qu’ils ont reçu trop de substances toxiques par le cordon ombilical, vous n’avez aucun doute. Ces enfants commencent leur vie dans une couveuse et en criant de douleur. Certaines mères toxicomanes donnent naissance à trois enfants ou plus. En tant que société, on ne peut pas continuer à cautionner cela « , dit Crombez qui affirme que la protection de l’enfant « doit primer sur le droit à la parentalité ». « C’est pourquoi nous devons, au moins de façon temporaire, empêcher certaines personnes d’avoir des enfants « , dit-il dans Humo.

Crombez se doute qu’une telle proposition va provoquer de nombreuses objections, en particulier du côté du monde chrétien, mais cela ne devrait pas être une raison pour ne pas ouvrir le débat sur la question dit-il. « L’avortement et l’euthanasie sont possibles aujourd’hui, n’est-ce pas ? Alors pourquoi ne peut-on pas débattre sur ce sujet ? La misère est trop grande. Aucun bon chrétien ne peut rester aveugle à cela. » Loin de revenir sur ses positions, Crombez va encore enfoncer le clou dans l’émission De Ochtend. « Il y explique qu’un juge pour enfants doit avoir la possibilité de prendre des mesures. Selon lui, une telle chose existe déjà aux Pays-Bas, où les tribunaux pour enfants peuvent se prononcer sur la protection de l’enfant à naître. »

Des propos qui vont laisser un goût amer à de nombreux militants et membres du parti. Les propos ne font visiblement pas l’unanimité au sein du parti socialiste flamand. N’étaient-ils pas aux premiers rangs quand il s’agissait de défendre le droit à l’avortement et à l’euthanasie ? Et, suite à une étrange volte-face, on voudrait maintenant restreindre le droit à l’intégrité physique de l’être humain en introduisant la contraception obligatoire ?

Un sujet ultra sensible

Le sujet soulève beaucoup d’objections, surtout éthiques, explique Hans Van Crombrugge, spécialiste des sciences familiales et de l’éducation interviewé par De Morgen. L’une des plus fréquemment citées est que le fait d’exiger une contraception constitue une atteinte à l’intégrité physique des parents. Une autre objection est de savoir où placer la limite. Une telle mesure ne pourrait-elle, par exemple, être élargie et imposée aux retardés ou aux handicapés? Le pédagogue pense cependant qu’on n’en est pas là et que cette sortie est avant tout une astuce politique classique qui veut si on souhaite lancer un sujet de société, on ne doit pas faire dans la dentelle. « Une telle généralisation n’est pas nécessaire. Il est tout à fait possible d’examiner chaque situation séparément et de trouver au cas par cas la solution la plus adéquate. »

Toujours selon Van Crombrugge, la plupart des objections éthiques partent néanmoins de l’hypothèse erronée qu’avoir un enfant est un droit absolu du parent. « Ce n’est pas vrai. Seul le fait d’avoir une éducation est un droit de l’enfant. On utilise trop souvent l’argument de la propriété dans ce genre de discussions. On pense encore aujourd’hui qu’il appartient à l’être humain de décider s’il veut une descendance. Ce qui n’est pas forcément une bonne chose. Je constate cependant que les esprits évoluent sur le sujet. » Le véritable changement viendra , toujours selon lui, cependant d’une tout autre considération. « Le monde est de plus en plus surpeuplé, et, sur base de ce constat, le désir d’avoir un enfant sera de plus en plus mis en opposition avec d’autres intérêts. Que ça nous plaise ou non. »

La sortie passe d’autant moins qu’il a rapidement trouvé une surprenante alliée en la personne de Valerie Van Peel, députée de la N-VA. Elle aussi milite depuis longtemps pour que les droits de l’enfant priment sur le droit d’avoir un enfant. « Ce sujet est encore trop tabou », dit-elle à Belga.

Valerie Van Peel
Valerie Van Peel© Belga

« Tous ceux qui ont déjà rencontré des bébés nés drogués savent qu’il faut faire quelque chose. Nous devons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour éviter que de telles situations pénibles ne perdurent « , déclare Van Peel. Selon elle, certains CPAS le font déjà, notamment dans sa municipalité de Kapellen. « Là-bas, on suggère une contraception temporaire aux toxicomanes qui souhaitent avoir un énième bébé. On ne peut obliger quelqu’un à subir une intervention médicale, comme la pose d’une spirale « , dit encore Van Peel. « Mais cela ne veut pas dire que nous ne devons pas faire tout ce qui est en notre pouvoir pour convaincre le patient. Nous rembourserons l’intervention et, si nécessaire, nous prenons nous-mêmes rendez-vous. Lors de chaque suivi, on relance également le sujet, bien que ce dernier soit encore tabou pour trop nombreux travailleurs sociaux. » Elle souhaite même aller plus loin et suggère de lier la contraception à une éventuelle réduction de peine ou comme condition de libération conditionnelle pour les personnes qui ont été condamnées pour sévices mauvais traitements envers leur enfant.

Au sp.a on souligne pourtant qu’il y a une différence substantielle entre la position de son président et celle de La N-VA. Cette dernière stigmatiserait surtout un groupe et dit en substance que les gens qui sont pauvres ne sont pas capables de s’occuper des enfants. « Bien sûr, pour nous cela est inacceptable « , déclare Gorik Van Holen, le directeur politique du sp.a, qui se distancie des propos de son président tout en précisant que c’est « un cri du coeur personnel sans calculs stratégiques et qui part d’une préoccupation bien réelle. L’aide aux jeunes vulnérables a toujours été au coeur de l’engagement politique de Crombez. »

Crombez espère, pour sa part, que cette polémique permettra de mettre fin à un tabou et d’ouvrir pour de bon le débat. C’est pourquoi il a annoncé qu’il organiserait bientôt une journée d’étude sur le droit à l’enfance. Mais, avant, il aura quelques oignons à peler en interne.

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