L'implantation de Jodoigne de la Haute Ecole Lucia De Brouckère. © HATIM KAGHAT

Haute école Lucia De Bouckère en Brabant wallon: courte échelle pour un mandat?

Laurence Van Ruymbeke
Laurence Van Ruymbeke Journaliste au Vif

La carrière de Mme D., nouvelle directrice pédagogique de la Haute école Lucia De Brouckère, soulève bien des questions. L’implication de la province du Brabant wallon, copouvoir organisateur de l’école, et son lien familial avec l’ex-président du collège provincial Mathieu Michel y seraient-ils pour quelque chose?

La carrière de Mme D. au sein de la Haute Ecole Lucia De Brouckère (HELDB) aura été exemplaire: en dix ans, cette enseignante brabançonne formée en communication est passée d’une charge de 0,2 équivalent temps plein à la direction du département pédagogique. Mme D. travaille pour une institution que la Province du Brabant wallon codirige avec la Cocof, l’exécutif francophone bruxellois: l’école compte un site à Bruxelles et un autre à Jodoigne. Or, cette enseignante est familialement très proche de Mathieu Michel, qui présidait le collège provincial jusqu’à sa nomination comme secrétaire d’Etat fédéral, à l’automne 2020.

Rétroactes. Mme D. entre en septembre 2010 à la haute école comme maître assistante temporaire à durée déterminée (TDD). Sa charge de travail équivaut alors à 0,2 équivalent temps plein (ETP) dans le cours à conférer « communication ». Dans les hautes écoles, les cours ne sont pas attribués en fonction de leur intitulé mais de la catégorie dans laquelle ils sont classés par le pouvoir organisateur et que l’on appelle les cours à conférer. Selon le décret, Mme D. ne peut légalement assumer que des charges associées au cours à conférer « communication », pour lequel les titres nécessaires au professeur sont fixés. Ces titres requis s’appliquent aussi bien pour les engagements dans des emplois vacants que pour des remplacements. Ainsi, lorsqu’un professeur doit être remplacé, il ne peut l’être que par un collègue qui dispose des titres pour le même cours à conférer. Sauf en situation de pénurie, auquel cas l’école doit prouver qu’elle a tout entrepris – en vain – pour trouver le profil recherché.

Le pouvoir organisateur l’a désignée en ne respectant pas l’appel officiel aux candidats.

Lors de l’année 2010-2011, Mme D. engrange 150 jours d’ancienneté. L’ancienneté des TDD se calcule en effet à raison de 150 jours par an pour moins d’un mi-temps et de 300 jours par an – les deux mois d’été ne sont pas pris en compte – pour un mi-temps ou plus. Les temporaires à durée indéterminée (TDI), en revanche, sont engagés pour douze mois qui leur donnent droit à autant d’ancienneté dès qu’ils travaillent au moins à mi-temps.

Un cours à conférer fourre-tout

Au premier semestre 2011, deux appels sont publiés au Moniteur pour des emplois vacants en 2011-2012. Mme D. postule et emporte deux postes: l’un porte sur 0,2 ETP en communication et l’autre, pour 0,1 ETP, sur un « autre cours à conférer ». Il s’agit en réalité d’un cours de « neutralité », qui relève du cours à conférer « pédagogie et méthodologie », pour lequel l’enseignante ne dispose pas des titres requis. La législation permet certes de recourir à l’appellation vague de « autre cours à conférer » mais de manière exceptionnelle et pour des cours très spécifiques. A la HELDB, le cours de neutralité a toujours été classé dans le cours à conférer « pédagogie et méthodologie ». C’est pourtant Mme D. qui l’emporte. « Le pouvoir organisateur l’a désignée en ne respectant pas l’appel officiel aux candidats, analyse une source. Le but était de cacher une charge de 0,1 ETP supplémentaire et d’ensuite la faire glisser discrètement vers le cours à conférer « communication ». »

A la rentrée de septembre 2011, Mme D. se retrouve en charge de 0,4 ETP en « communication »: 0,3 ETP proviennent des deux appels au Moniteur évoqués plus haut et 0,1 en remplacement d’un enseignant devenu directeur de catégorie. Or, ce professeur est nommé dans le cours à conférer « pédagogie et méthodologie », comme en atteste son acte de nomination que Le Vif a consulté: il ne peut donc être remplacé que par un enseignant qui dispose des mêmes titres que lui. Mme D. ne les détient pas. Sur les 0,4 ETP qu’elle occupe alors, 0,2 ETP seraient donc indus. « Les attributions des enseignants dépendent directement de la responsabilité de la direction, affirme André Grenier, directeur d’administration de l’enseignement en Brabant wallon. En sa qualité de copouvoir organisateur, le Brabant wallon n’a jamais dû s’exprimer sur ces décisions ni sur les désignations en tant que telles des enseignants. » Ses représentants n’en ont pas moins participé aux réunions où le sujet était abordé, comme le confirment les rapports de ces réunions.

Le 27 avril 2012, deux postes sont ouverts pour la rentrée suivante: l’un porte sur 0,3 ETP en communication ; l’autre, sur 0,1 ETP, en communication toujours. Le premier est présenté par le pouvoir organisateur comme un deuxième appel. Le décret impose en effet deux appels identiques successifs au Moniteur, pour un même volume et un même cours, avant que le poste soit attribué à durée indéterminée. Or, s’il y avait bien un poste de 0,3 ETP ouvert en 2011, il ne portait pas intégralement sur une charge en communication mais bien sur 0,2 ETP en communication et 0,1 en « autre cours à conférer », soit le cours de neutralité déjà évoqué. Cette charge d’enseignement passe donc d‘un cours à conférer imprécis au cours à conférer « communication ». Le pouvoir organisateur semble ainsi stabiliser le volume de travail de Mme D., alors qu’elle n’y a pas droit.

Les syndicats au front

Au début de l’année académique 2012-2013, la charge de Mme D. atteint un mi-temps: 0,3 ETP qui lui permet de passer à durée indéterminée alors que deux appels successifs pour une même charge n’ont pas été publiés au Moniteur, 0,1 ETP en remplacement d’un directeur qu’elle n’aurait pas le droit de relayer, et 0,1 ETP pour un cours de neutralité pour lequel elle ne dispose pas des titres ad hoc. Sans ces deux derniers cours, l’enseignante n’aurait pu capitaliser que 180 jours d’ancienneté. Au lieu de quoi, avec un mi-temps, elle en obtient 360 cette année-là.

En 2013-2014 et 2014-2015, Mme D. travaille à 0,6 ETP dont deux dixièmes, toujours les mêmes, qu’elle ne pourrait théoriquement pas occuper. Interrogée par Le Vif, Laurence Rayane, cheffe de cabinet de Rudi Vervoort, chargé de l’enseignement au sein de la Cocof, assure: « Après vérification, je vous confirme que tous les dossiers du personnel de la haute école ont été passés au peigne fin entre 2014 et 2019. Jamais le pouvoir organisateur n’a été interpellé par les organisations syndicales sur la situation personnelle de Mme D. Et pour cause: son dossier est tout à fait régulier. » L’attribution des cours relève d’une analyse des dossiers, dont la vérification des titres, par la direction, enchaîne-t-on au cabinet de la députée brabançonne en charge de l’enseignement. « S’il y avait eu erreurs ou irrégularités, celles-ci seraient remontées au sein de la commission de concertation. »

Selon les procès-verbaux des Copaloc (commissions paritaires locales) dont Le Vif a pris connaissance, l’attribution à Mme D. d’un ou des cours auxquels elle ne pouvait prétendre a été évoquée à plusieurs reprises par les syndicats qui ont demandé au pouvoir organisateur de se justifier. « Cette histoire a fait beaucoup de remous, se souvient une ancienne déléguée: on sentait bien que le but était d’attribuer des cours à Mme D. Nous n’avons jamais eu de réponses à nos questions. » Réinterpellée sur la base de ces procès-verbaux, Laurence Rayane n’a plus répondu sur ce point.

Questionné, donc, par les syndicats en 2013, 2014 et 2015, le pouvoir organisateur assure en Copaloc que la Communauté Wallonie-Bruxelles l’a autorisé à attribuer ces cours à Mme D., écrit à l’appui. Malgré des demandes répétées, ce document ne sera jamais transmis aux délégués. Le Vif a contacté la Cocof mais celle-ci n’a pas souhaité répondre, arguant de son devoir de réserve. « La CGSP a demandé cet avis juridique mais n’a toujours rien reçu », peut-on lire dans le PV daté du 3 décembre 2014. « En l’état, on peut affirmer que la procédure d’engagement est régulière, mais qu’un problème se pose quant à la régularité du profil de la personne », reconnaît un membre du pouvoir organisateur cité dans ce rapport.

« Aucun des filtres de contrôle ne semble avoir joué. »© HATIM KAGHAT

Le silence des commissaires

Plus tard encore, comme l’attestent les PV des Copaloc, le pouvoir organisateur affirme qu’il s’en est référé au commissaire du gouvernement pour attribuer ces cours à Mme D. Réclamée par les syndicats, la preuve écrite ne leur en sera jamais fournie. Contactés, les deux derniers commissaires qui ont siégé au conseil d’administration de la HELDB ont évoqué leur devoir de réserve, renvoyant à la Cocof dont on a lu le point de vue ci-dessus. « Aucune réclamation n’a été introduite », insiste André Grenier. Ce qui est exact. Mais il faut se prévaloir d’un intérêt personnel pour le faire. « Ce n’est pas parce que personne ne réclame que c’est légal, rappelle Emmanuel Gourdin, avocat spécialisé en droit de l’enseignement. Les commissaires sont censés faire respecter la légalité. »

A force d’accumuler indûment de l’ancienneté, Mme D. a doublé d’autres agents dans le classement: de ce fait, ils ne sont toujours pas nommés.

Un PV du 21 janvier 2015 revient encore sur le sujet. « La CGSP demande si le pouvoir organisateur a reçu la réponse du commissaire du gouvernement par rapport à la question posée sur le maintien de l’agent dans sa fonction pour cette année académique. La Province du Brabant wallon […] regrette les attaques personnelles qui sont faites. » Le PV n’en dit pas plus mais les représentants de la province sont bien au fait de ce qui se passe, contrairement à ce qui sera dit plus tard. Le syndicat réclame, dans la foulée, que le dossier complet de cette enseignante soit transmis pour avis au commissaire du gouvernement. En attendant, l’intéressée est maintenue dans sa fonction.

Retour à novembre 2014. Des changements interviennent à la direction de la HELDB, débouchant sur un souhait de régulariser la situation de Mme D. « Il y a eu des pressions politiques à l’époque pour que sa charge ne soit pas diminuée, se souvient un membre de la délégation syndicale. » Ce que confirment plusieurs sources. La charge de cours de Mme D. ne diminuera pas. Un appel au Moniteur daté du 29 avril 2015 ouvre de fait 0,1 ETP en communication, ce qui lui permet de conserver son volume d’enseignement. Le remplacement qu’elle effectuait depuis plusieurs années sans les titres ad hoc s’arrête. « Mme D. était intouchable. C’était clair pour tout le monde », résume une autre source.

De septembre 2015 à septembre 2020, Mme D. enseigne à 0,6 ETP. En juin 2017, son cours de neutralité prend fin. Il est repris par un enseignant qui dispose des titres requis pour le cours à conférer « pédagogie et méthodologie ». Une charge en « aide à la réussite » lui est également octroyée. Mais depuis 2020-2021, comme l’affiche le site de la HELDB, Mme D. est enseignante responsable d’un cours de « Techniques de communications écrites et orales 2 ». Jusqu’à l’année précédente, ce cours s’appelait « Correspondance, rapport et communication en langue française » et était classé dans le cours à conférer « langue française » pour lequel il faut un diplôme en langues et lettres romanes, ce qui n’est pas le cas de Mme D. « Le pouvoir a été jusqu’à modifier l’architecture des cours pour elle« , s’indigne-t-on dans la maison.

Plus vite que le temps

Additionnés, les jours d’ancienneté de service calculés pour Mme D. entre septembre 2010 et le 31 décembre 2020 sont au nombre de 3 285. Une partie est liée à des cours auxquels l’enseignante n’avait réglementairement pas accès. Le tableau d’ancienneté du personnel temporaire de la haute école affiche pourtant pour elle un total de 3 574 jours au 31 décembre dernier. Soit un cadeau de 9 mois et 19 jours. Entre janvier et mai 2018, par exemple, son ancienneté grimpe de 286 jours alors que la période n’en compte que 112. En septembre 2018, elle s’en voit attribuer 240, au lieu de 127, soit un « bonus » de 113 jours.

« A force d’accumuler indûment de l’ancienneté, Mme D. a doublé d’autres agents dans le classement: ils ne sont, de ce fait, toujours pas nommés », déplore une source. Selon la liste de la haute école, Mme D. n’était pas nommée au 31 décembre 2020. Elle l’est désormais. C’était une condition pour pouvoir se porter candidate au nouveau collège de direction de la HELDB. Ce dernier a d’ailleurs été élu, sur une liste unique, en février 2021.

Le décret prévoit qu’en cas de vote par liste, et non par candidats, l’appel à candidatures soit enclenché six mois avant la fin du mandat du directeur-président, soit, ici, en août 2020. Or, ce processus n’a été lancé par le conseil d’administration que le 17 décembre. L’appel à candidatures n’a été publié que le 4 janvier, pour un scrutin fixé au 8 février. « Ce n’est pas légal, observe Georges Sironval, ancien directeur-président de haute école. Le processus aurait dû être lancé à la date prévue, d’autant qu’en août, le coronavirus posait moins problème. Ce qui se passe dans cette institution est anormal: aucun des filtres de contrôle ne semble avoir joué. » Le but était-il de permettre à Mme D. d’obtenir entre-temps sa nomination, donc de remplir les conditions pour se présenter à l’élection? Son mandat, qui aurait dû commencer le 1er mars, ne débutera que le 1er mai, ce qui est contraire aux habitudes.

Sur ce point comme sur toutes les interrogations soulevées, il n’a pas été possible d’obtenir d’explication de l’intéressée, de la direction de l’école, des commissaires de gouvernement ni de la Cocof. Troublant silence, auquel s’ajoute une lettre d’avocat parvenue au Vif, au nom de Mme D. Voilà qui en incite certains à se demander si celle-ci ne bénéficierait pas d’un précieux appui du côté de la province du Brabant wallon, sinon en la personne de Mathieu Michel, ancien président du collège provincial, dont, rappelons-le, elle est familialement très proche.

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