A Liège, François Fornieri s'est installé partout où une place comptait. Y compris dans les tribunes VIP du Standard. © PHOTO NEWS

Fornieri, l’homme qui aurait « vendu de la neige à un Esquimau » (portrait)

Mélanie Geelkens
Mélanie Geelkens Journaliste, responsable éditoriale du Vif.be

François Fornieri a toujours eu l’ambition ostentatoire. A côté de la success story qu’il aimait vanter dans les médias, l’ex-patron de Mithra a connu plusieurs démêlés.

C’est un gros véhicule tout- terrain, noir. Reconnaissable par sa plaque d’immatriculation: MITHRA. Il n’est pas rare de croiser l’imposant véhicule à Grâce-Hollogne, vers la cité du Badwa tout en briques rouges où François Fornieri a grandi. Mais ce n’est habituellement pas lui qui conduit. Sans doute préfère-t-il sa Ferrari (il ne possède, paraît-il, pas qu’un seul bolide de luxe), immatriculée FFO. Ses initiales.

La discrétion n’a jamais été son genre. L’entrepreneur liégeois a eu l’ambition ostentatoire. « Mithra deviendra ce que j’ai prévu: une multinationale », déclarait-il à L’Echo en mai 2011. La société qu’il a cofondée douze ans plus tôt n’est alors qu’une PME de 29 équivalents temps plein, qui commercialise essentiellement des produits pharmaceutiques génériques, mais qu’importe: l’homme a de l’appétit, des projets, de l’argent. Que tout le monde le sache!

La presse, d’abord. Ses huit premières années d’existence, cette spin-off de l’université de Liège fait profil médiatique bas. François Fornieri – Francesco de son vrai prénom, qu’il préfère franciser – est ingénieur industriel chimiste. Il rêvait d’université, lui l’élève brillant qui, durant son enfance, oeuvrait à ne pas paraître trop studieux pour ne pas être rejeté des gamins du quartier. Mais le minerval était trop élevé ; ce sera la haute école provinciale. Puis la firme pharmaceutique Sanofi, comme délégué commercial, et ensuite Schering. Qui le licencie, en 1998. Sans revenus, marié et père de deux filles, il entame des cours d’entrepreunariat tout en devenant « homme à tout faire ». Dans Sudpresse, il racontera avoir même nettoyé des cimetières pour boucler ses fins de mois.

Ne montrer que les meilleurs côtés. Quitte à embellir.

Puis vint la rencontre avec Jean-Michel Foidart, médecin liégeois réputé dans le domaine de la gynécologie. Dans une rue de Nice, par hasard. « On s’est retrouvés sur une idée commune », dira le scientifique dans Le Soir, en 2012. La spin-off Mithra est fondée en 1999 par les deux hommes, à une époque où l’entrepreunariat et la recherche se mélangeaient encore fort peu. Le recteur de l’université de Liège, à l’époque, conseilla même au professeur de ne pas aller « souiller sa toge dans cette boue ».

Les pouvoirs publics enchantés

En 2007, après huit ans de discrète existence, Mithra passe à l’offensive médiatique. François Fornieri et son responsable communication d’alors, Eric Poskin, abreuvent régulièrement la presse d’informations toujours plus enthousiastes. Sur tel blockbuster annoncé, tel investissement prometteur, tel contrat juteux signé en Thaïlande, au Brésil ou en Birmanie. Ainsi se construit la légende d’une firme qui, tant en matière de chiffre d’affaires que d’emplois créés, ressemble en fait à tant d’autres PME.

Cette soif médiatique sera canalisée dès 2015 par l’entrée en Bourse de la société, qui l’oblige à se plier à une communication réglementée. Mais, entre-temps, à force de faire parler de lui, François Fornieri a poursuivi sa conquête. Des pouvoirs publics, trop heureux de prendre l’entreprise pour témoin du renouveau politique wallon tant espéré. La Région, toutes majorités confondues, ainsi que ses différents outils financiers, n’hésiteront jamais à soutenir ses projets. Du microcosme liégeois, ensuite: celui qui fut élu manager de l’année 2011 s’est installé partout où une place comptait. Dans les tribunes VIP du Standard (faute d’avoir une loge), au conseil d’administration de Meusinvest (qui soutient le projet entrepreneurial depuis ses débuts et dont Mithra est devenu actionnaire), au Cercle de Wallonie (mais il a également été membre de ceux de Lorraine, du Gaulois, du Lac et du Waux-Hall à Spa), à l’Union wallonne des entreprises, au Grand Liège…

Rien n’est trop beau pour, in fine, captiver Liège. En 2013, le patron rachète l’hôtel de Bocholtz dans l’hyper centre-ville, une demeure historique estimée à 1,4 million d’euros, qu’il ambitionne de transformer en « maison internationale » et d’y inviter, un jour, Bill Gates! Rien n’est trop fou pour quelqu’un qui, si tout était permis, aurait bien fait l’acquisition des… pyramides d’Egypte. Ou du Taj Mahal. Le dirigeant investit dans différentes sociétés (Imperia, Protection Unit, Marianne Belgique…) et sponsorise à tour de bras. Le Standard de Liège, un festival de jazz, une course à pied féminine… « Si ça continue, la Ville finira par s’appeler Mithra! », ironise alors un haut placé.

Salaire: 850 000 euros par an

Son ostentation fit parfois ricaner. « C’est l’archétype du nouveau riche, entend-on çà et là. Le gars qui s’achète une grosse bagnole, quelques oeuvres et change de femme pour une petite jeune. » Mais même ceux qui l’apprécient peu lui reconnaissent un bagout, une tchatche, une faculté de persuasion indiscutables. « Il vendrait de la neige à un Esquimau! » En 2015, lorsque la société entre en Bourse et embauche 48,8 équivalents temps plein, le CEO reçoit un salaire annuel de 850 000 euros (700 000 euros de fixe, 150 000 de variable). Plus de 70 000 euros par mois.

Le gamin qui ne partait en vacances en Italie qu’une fois tous les dix ans avec ses frères et soeurs est devenu collectionneur d’art contemporain. Mais il continue à ne jurer que par le Parrain. Adepte des costumes parfaitement taillés mais n’hésitant pas à retrousser ses manches pour se battre, lors d’une fête du personnel, avec un collaborateur soupçonné d’avoir dragué sa femme, selon un ancien employé. Qui se souvient d’un dirigeant autant chaleureux que capable de débarquer dans un laboratoire à l’improviste en éructant. Ou de demander aux travailleurs de faire semblant de produire, alors que rien ne sortait encore des lignes de l’usine de Flémalle, parce que la télévision venait en reportage.

Ne montrer que les meilleurs côtés. Quitte à embellir. Celui qui aimait tant voir son nom dans les journaux et magazines n’avait pas hésité, en 2015, à faire interdire temporairement, par voie de justice, la parution du trimestriel Médor, qui publiait une investigation trop critique à son goût (et qui finira par recevoir le prix Belfius pour la presse écrite). Cet article dévoilait notamment que Mithra, en vue de son introduction sur Euronext, n’avait pas déclaré à la FSMA (le gendarme boursier) une procédure judiciaire l’opposant à la société Contrel Europe concernant la commercialisation d’un stérilet hormonal. Ce litige se conclut par un arrangement à l’amiable.

Du litige commercial au chemin vicinal

Des accrocs judiciaires, il y en eut d’autres. En 2014, la firme et son CEO furent visés par une enquête pénale pour violation des règles liées à la publicité pour les médicaments. Tablettes, billets pour les matchs du Standard, voyage au Brésil et d’autres avantages auraient été accordés à des médecins prescripteurs des pilules distribuées par Mithra. Certains chefs d’accusation se soldèrent par un non-lieu, d’autres par une transaction proposée par le parquet, d’environ 40 000 euros. Une action en justice pour diffamation avait aussi été intentée contre l’ancien porte-parole, Eric Poskin. Ce dernier a été blanchi en première instance et en appel.

Des litiges commerciaux furent également portés devant les tribunaux. Organon/Merck a réclamé 2,7 millions d’euros à la société liégeoise pour violation présumée d’un brevet du médicament générique Heria. Elle a été condamnée en 2015, mais a fait appel. L’affaire est toujours pendante. En 2015, Mithra Pays-Bas a poursuivi un partenaire, HRA, pour rupture abusive d’un contrat lié à la commercialisation d’une contraception d’urgence. L’issue éventuelle n’a jamais été communiquée.

Puis il y eut les « petites » affaires. Personnelles. En 2016, François Fornieri avait fait placer devant le Bocholtz un chapiteau et une enseigne, sans se soucier des procédures liées à un bâtiment classé. Il avait été contraint de démonter le premier et de payer une amende pour la seconde. La même année, il avait installé une imposante sculpture d’Arne Quinze devant ce même bâtiment, sur un espace qui… appartenait en fait au domaine public. Sans aucunement en informer la Ville. Un accord avait été trouvé, l’oeuvre avait pu rester mais le patron l’avait finalement démontée en 2019, pour l’installer dans son jardin, à Rocourt.

Vaste jardin qui se serait également approprié de l’espace public sans autorisation. Au printemps dernier, un promeneur avait constaté qu’un chemin vicinal était devenu impraticable, barré d’une haute grille. Une information judiciaire a été ouverte ; d’autres infractions urbanistiques auraient été constatées sur sa propriété.

Mais ce fut finalement son implication dans les affaires Nethys qui eut raison de son poste chez Mithra. Inculpé entre autres pour abus de biens sociaux, incarcéré aux prisons de Lantin puis de Marche, il avait été remplacé par un CEO ad interim. Il est désormais également inculpé dans un autre dossier de délit d’initié lié à l’entrée en bourse de Mithra. Il faudrait sans doute un miracle pour que la FSMA lui reconnaisse à nouveau sa compétence et son honorabilité, afin qu’il puisse à nouveau diriger une entreprise cotée. Aujourd’hui, Mithra emploie 292 personnes et possède des filiales en France, en Allemagne, aux Pays-Bas et au Brésil. Si, un jour, elle devient la multinationale annoncée dans la presse il y a pile dix ans, François Fornieri ne sera probablement plus aux premières loges pour s’en réjouir.

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