Samuel Di Giovanni, François Fornieri et Luciano D'Onofrio. © BELGA IMAGE/ GETTY IMAGE

Fornieri et Di Giovanni: des « indices sérieux » de délit boursier et de blanchiment

David Leloup
David Leloup Journaliste

Le rapport de la CTIF concernant les transactions suspectes de François Fornieri (Mithra) et Samuel Di Giovanni (Protection Unit) est corsé. La cellule antiblanchiment conclut qu’il existe « des indices sérieux de blanchiment de capitaux provenant d’un délit boursier ».

Arrêtés à leur domicile au petit matin, interrogés toute la journée, puis présentés devant le juge d’instruction financier Frédéric Frenay qui les a inculpés pour délit d’initié: François Fornieri et Samuel Di Giovanni se souviendront longtemps de ce mercredi 28 avril 2021… Délit d’initié? Une infraction financière commise par une personne qui utilise des informations privilégiées qu’elle détient pour faire des opérations boursières profitables. Privé de liberté et mis sur le gril en même temps que Fornieri et Di Giovanni, leur ami et partenaire en affaires Luciano D’Onofrio, ex-homme fort du Standard de Liège et actuel directeur sportif de l’Antwerp FC, n’a pas, lui, été présenté devant le juge Frenay. Les enquêteurs ne disposaient pas de suffisamment de « biscuits » pour l’inculper. Il a donc été relaxé. Mais l’enquête le concernant se poursuit…

Le Vif a pu consulter en exclusivité le rapport d’enquête de la Cellule de traitement des informations financières (CTIF) en cause de François Fornieri et Samuel Di Giovanni. Ce rapport analyse en détail les transactions financières suspectes réalisées par les deux hommes et dénoncées à la CTIF par les banques Belfius et BNB Paribas Fortis, légalement obligées de le faire en vertu de la loi belge antiblanchiment. Transmis le 11 avril 2019 par le président de la CTIF, Philippe de Koster, au procureur du Roi de Bruxelles, Jean-Marc Meilleur, le rapport conclut qu’il existe « des indices sérieux de blanchiment de capitaux provenant d’un délit boursier ». Il sera ensuite transféré, pour des raisons de compétence territoriale, au parquet de Liège qui ouvrira, après examen, une instruction judiciaire à l’automne 2019. C’est dans le cadre de ce dossier 54/19 que Fornieri, Di Giovanni et D’Onofrio ont été arrêtés et cuisinés. Ils restent bien entendu présumés innocents. Pour l’heure, voici les faits matériels à l’origine de leurs nouveaux ennuis judiciaires.

L’achat des titres à bas prix

Lundi 31 décembre 2018, quelques heures avant de fêter le réveillon du Nouvel An, François Fornieri vire 887 234 euros de son compte privé Belfius vers celui de Samuel Di Giovanni chez BNP Paribas Fortis. A peine les fonds arrivés sur son compte, Di Giovanni transfère 535 000 euros vers un autre de ses comptes qu’il vient d’ouvrir, un mois plus tôt, chez Belfius. Le 4 janvier 2019, il répète l’opération, mais cette fois pour un montant de 275 000 euros. Au total, donc, 810 000 euros des 887 234 euros de François Fornieri se retrouvent, en l’espace de quatre jours, sur le nouveau compte Belfius de Di Giovanni. Qui achète illico des titres Mithra: 25 641 actions le 4 janvier au prix de 20,107 euros le titre, et 13 414 actions le 8 janvier à 21,195 euros pièce. Bilan des opérations: 39 055 actions acquises par Di Giovanni en l’espace de huit jours pour un total de 804 147 euros provenant directement de François Fornieri.

L’annonce d’un « blockbuster »

Le lundi 7 janvier 2019, Mithra annonce officiellement le lancement d’un nouveau « blockbuster potentiel »: le PeriNesta. Un « blockbuster » est un médicament générant plus d’un milliard de dollars de chiffre d’affaires annuel. Le PeriNesta est un projet de médicament destiné à soulager les bouffées de chaleur et les sueurs nocturnes que connaissent la majorité des femmes ménopausées à la suite de la chute, dans l’organisme, des deux hormones sexuelles responsables des cycles des règles: l’oestrogène et la progestérone. Ces symptômes apparaissent lors de la périménopause, qui « débute environ trois ans avant la ménopause et prend fin un an après les dernières règles », rappelle le communiqué. « L’entrée de Mithra sur le marché de la périménopause représente une nouvelle opportunité commerciale majeure », enchérit François Fornieri, alors CEO de Mithra (il fera un pas de côté suite à son incarcération préventive, en janvier 2021, dans le cadre de l’affaire Nethys). « Le marché actuel potentiel est estimé à au moins 18 millions de patientes annuellement pour les Etats-Unis et quelques marchés européens (France, Royaume-Uni, Allemagne) », appuie le communiqué. Résultat, les investisseurs salivent. Et l’action s’envole.

« Les investissements de Samuel Di Giovanni dans des actions de Mithra Pharmaceuticals (avec des fonds provenant de Francesco Fornieri) sont étonnement proches de la communication de la société au sujet de son nouveau produit pharmaceutique », souligne la CTIF. Qui pointe en outre que « la valeur boursière de ces actions a augmenté de manière significative à partir du 4 janvier 2019 », jour où Di Giovanni achète les deux tiers de ses titres Mithra.

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La vente de titres avec plus-value

« En date du 5 mars 2019, Samuel Di Giovanni a vendu 1 890 actions Mithra Pharmaceuticals à un cours de 26,236 euros/action pour un montant de 49 132,90 euros. Il a ainsi réalisé un bénéfice d’au moins 5 euros par action, ce qui correspond donc à minimum 9 450 euros de bénéfice », révèle la CTIF dans son rapport d’enquête. En effet, le CEO de Protection Unit ayant acheté ses actions à 20,107 et 21,195 euros, il a réalisé des plus-values respectives de 6,129 et 5,041 euros. « En ce qui concerne les actions encore en sa possession (37 165 actions), la plus-value est de l’ordre d’environ 185 000 euros », ajoute la CTIF en se basant sur une même plus-value théorique de 5 euros par titre. Au total donc, deux mois seulement après son investissement, Di Giovanni avait déjà virtuellement gagné près de 200 000 euros…

Pour la CTIF, « la présomption est grande que les investissements observés ci-dessus aient été effectués pour le compte de Francesco (NDLR: son vrai prénom) Fornieri, ce dernier disposant manifestement d’informations privilégiées » . Le CEO de Mithra savait en effet à l’avance ce que la société allait annoncer publiquement le 7 janvier 2019. « Les plus-values réalisées seraient dès lors le résultat d’un délit boursier », poursuit la CTIF. Qui ajoute: « La revente d’une partie des actions en réalisant une plus-value constituerait dès lors le blanchiment de capitaux provenant d’un délit boursier. » La plus-value de 9 450 euros réalisée le 5 mars 2019 par Di Giovanni, en transformant des actions « salement » acquises en argent liquide « neutre », serait donc une opération de blanchiment.

La « face cachée » de Di Giovanni

Le rapport de la CTIF dévoile aussi la « face cachée » de Samuel Di Giovanni, généralement présenté comme un self-made man bosseur et intègre, ayant réussi à la force du poignet: « Samuel Di Giovanni est connu des services de police belges pour différents faits. Il est notamment connu pour des infractions en matière de travail (travail au noir, travailleurs étrangers…), fraude à la TVA… » Les dossiers pointés par la CTIF pour les infractions en matière de travail datent de 2009, 2010 et 2017. Le dossier de fraude à la TVA a, lui, été ouvert en 2009. La CTIF, qui se documente dans différentes bases de données, souligne que « Francesco Fornieri et Samuel Di Giovanni se connaissent bien » et qu' »ils apparaissent par ailleurs ensemble dans une information policière de 2018. »

L’alibi des parts de société

Lorsque Le Vif a révélé, en janvier 2020, l’existence d’une instruction judiciaire ouverte pour délit d’initié à l’encontre de François Fornieri, ce dernier a dénoncé une « chasse à l’homme » orchestrée par la justice liégeoise. Il a justifié les 887 234 euros versés à Di Giovanni comme étant un rachat de parts de deux sociétés fondées par ce dernier: 687 234 euros pour acquérir 207 actions de Protection Unit, et 200 000 euros pour obtenir 1 230 actions de Just4Eat.

Mais les enquêteurs ne sont pas convaincus par ces explications et suspectent que les conventions produites pour justifier ces transferts de fonds seraient des faux en écriture. En effet, les prix payés pour ces actions surestimeraient largement la valeur réelle des deux sociétés. Et les 687 234 euros payés pour les actions Protection Unit auraient dû arriver sur le compte de la société DGS-4 Management de Di Giovanni (société vendeuse des parts selon la convention) et non pas sur le compte privé du garde du corps de D’Onofrio. De plus, des échanges privés via messagerie entre Fornieri et Di Giovanni seraient de nature à accréditer la thèse du délit d’initié. Enfin, le banquier de Samuel Di Giovanni aurait lui aussi profité des mêmes informations privilégiées pour acheter, au même moment, des actions Mithra… sous le nom de sa femme. Ces éléments expliqueraient pourquoi les deux hommes ont été inculpés.

D’Onofrio: 1,4 million dans Mithra

Luciano D’Onofrio est lui aussi suspecté de délit d’initié et de blanchiment lors de l’achat d’actions Mithra, pour 1,4 million d’euros, entre septembre 2014 et juin 2018. Quatre transactions financières réalisées par l’ex-homme fort du Standard de Liège interpellent particulièrement les enquêteurs, alertés une fois de plus par la CTIF.

Tout d’abord, un virement réalisé le 3 juin 2015, moins de quatre semaines avant l’entrée en Bourse de Mithra (le 29 juin 2015). Ce jour-là, D’Onofrio vire 500 000 euros de son compte privé BNB Paribas Fortis vers le compte privé de Fornieri dans la même banque, avec pour communication: « Suivant convention d’augmentation de capital de la SA Mithra ». Fornieri est déjà le premier actionnaire de Mithra. Il semble donc vendre une partie de ses actions à D’Onofrio, avec lequel il aurait signé une convention. Mais à quel prix par action et à quelles conditions?

« Cela ressemble fort au mécanisme des « actions grises » utilisé juste avant une introduction en Bourse », commente un ancien trader dégoûté par certaines pratiques dont il a été le témoin. « Le principe est de vendre de gré à gré, à un prix sous-évalué, des actions dont on sait à l’avance qu’elles vont prendre de la valeur dès l’introduction en Bourse, explique-t-il. Pour connaître le prix de cession des actions, il faudrait consulter les transactions archivées chez Swift ou Euroclear. Certaines conditions sont généralement liées à ce « cadeau », comme l’obligation pour l’investisseur de réinvestir une partie du bénéfice réalisé dans le capital de la société cotée, pour la renforcer. C’est un jeu gagnant-gagnant pour les deux partenaires, mais illégal car il dope artificiellement le cours de Bourse. »

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Un deal pour 800 000 euros?

François Fornieri aurait-il « acheté » auprès de son ami Luciano des investissements futurs dans le capital de Mithra pour soutenir son développement? Rien ne permet à ce stade de l’affirmer. Ce sera à la justice de faire toute la lumière sur cette opération. Ce qui est sûr, c’est que neuf mois plus tôt, le 11 septembre 2014, D’Onofrio avait déjà viré (via le compte de sa société Podium.be) 100 208,80 euros à Fornieri « suivant convention de cession d’actions SA Mithra ». Ce qui est sûr également, c’est que D’Onofrio a acheté des actions Mithra en 2017 et 2018 pour un total de quelque 800 000 euros. Des acquisitions de titres pour 449 996 euros le 30 juin 2017 et pour 349 972 euros le 5 juin 2018, réalisées via un compte épargne chez CBC Banque. Le 30 juin 2017, l’action Mithra était cotée à 9,3 euros et le 5 juin 2018 à 32,4 euros. Le titre a véritablement amorcé son envol en janvier 2018 et dépassera régulièrement la barre des 36 euros – ses sommets historiques – durant l’été 2018, avant de chuter à l’automne sous le seuil des 30 euros qu’il ne refranchira plus depuis. En mars 2019, D’Onofrio détenait 65 639 actions Mithra valorisées à 1,73 million d’euros.

Les quatre virements de d’Onofrio

· 11 septembre 2014: virement de 100 208,80 euros à Fornieri (« cession d’actions »)

· 3 juin 2015: virement de 500 000 euros à Fornieri (« augmentation de capital »)

· 30 juin 2017: achat d’actions en Bourse pour 449 996 euros

· 5 juin 2018: achat d’actions en Bourse pour 349 972 euros

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