" Le failli n'est pas celui qui a échoué mais celui qui a osé ", déclare Etienne de Callataÿ. © BELGAIMAGE

Etienne de Callataÿ: « Les faillites ne me font pas peur » (entretien)

Thierry Denoël
Thierry Denoël Journaliste au Vif

Changer notre regard sur les faillites, pas facile en Belgique. Pourtant, une entreprise qui dépose le bilan, ce n’est pas forcément une mauvaise nouvelle, pour l’économiste Etienne de Callataÿ.

Avec le moratoire et les divers reports de charges, difficile de diagnostiquer la santé des entreprises. Mais on annonce une explosion des faillites. Dangereux ?

Il ne faut pas avoir peur des faillites. Ce sont les pertes d’emplois qui doivent mobiliser toute l’attention. Toutes les faillites n’impliquent pas de lourdes pertes d’emplois. Ces dernières ne sont pas dues qu’aux faillites : il peut s’agir de restructuration. Pourtant, les politiques ont peur des faillites, car leur importance demeure un indicateur d’échec ou de réussite de leur action. Mais c’est faux. Car le nombre de faillites dépend d’abord du nombre de créations d’entreprises : ce serait donc plutôt un signe de bonne santé de l’entrepreneuriat et de l’économie.

Il ne faut donc pas s’inquiéter ?

Pas pour le nombre de faillites, non. Vous savez, et je vais être cynique, il y avait même trop peu de faillites ces dernières années, avec les taux d’intérêts très bas qui permettaient à des entreprises fonctionnant cahin-caha de garder la tête hors de l’eau. Ces entreprises  » zombies « , c’est mauvais pour l’économie car cela monopolise des ressources et empêche les entreprises performantes de grandir aussi vite qu’elles le pourraient. On parle beaucoup de pénurie de main-d’oeuvre, mais, avec un nombre de faillites en hausse, cela pourrait se résoudre partiellement car il y aura des réallocations de main-d’oeuvre.

La faillite de l’un peut faire le bonheur de l’autre ?

Tout à fait. Imaginez un restaurateur qui doit fermer son établissement alors qu’il a acheté une cuisine professionnelle à 100 000 euros, dont les deux tiers grâce à un emprunt qu’il rembourse toujours. Il doit faire aveu de faillite et va trouver une repreneur mais qui rachètera sa cuisine à bas prix. Pour le premier, c’est un drame, bien sûr. Pour le second, c’est une opportunité de se lancer à des conditions avantageuses. D’un point de vue économique, la faillite ne fait pas forcément disparaître l’activité. Au contraire, elle peut parfois même l’encourager.

La mentalité négative sur les faillites est-elle en train de changer ?

La loi a été adaptée, il y a deux ans. Mais le droit belge, hérité du code Napoléon, conserve un regard négatif sur les faillis, ne fût-ce qu’au niveau du vocabulaire. On parle toujours de  » faire aveu de faillite « , comme on soutire des aveux d’un criminel. Des études ont montré que les organismes prêteurs s’en méfient aussi. Dans les comités de crédit des banques, on écarte trop souvent les demandes d’entrepreneurs qui ont déjà dû déposer le bilan. Or, celui qui a fait faillite a statistiquement moins de chance de recommencer, car il aura tiré les leçons de son expérience. Dans d’autres pays, la mentalité est différente : le failli n’est pas celui qui a échoué mais celui a osé. Il faut inviter de grands chefs d’entreprise à parler de leurs échecs, c’est édifiant.

Les mesures prises jusqu’ici, notamment le moratoire sur les faillites, ont-elles été judicieuses ?

Le moratoire était une bonne chose. Il ne fallait pas le maintenir trop longtemps car cela retarde le problème et crée de l’incertitude. Or, l’économie déteste l’incertitude. Reporter le problème à demain, c’est risquer de le voir grossir. Il faut accepter le processus de réallocation permanente des ressources, avec parfois des moments d’accélération et une montée du chômage. Demain, les réallocations devraient aller à des activités comme l’isolation des maisons, un secteur prometteur et pourvoyeur d’emplois pas trop qualifiés.

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