Anne-Sophie Bailly

« Et s’ils avaient été noirs? » Le pourquoi de ce choix

Anne-Sophie Bailly Rédactrice en chef

La couverture du Vif de cette semaine « Et s’ils avaient été noirs ? » suscite visiblement un réel émoi qui se manifeste le plus sur les réseaux sociaux. Il nous a donc semblé important de revenir sur la démarche journalistique qui a été la nôtre et de la replacer dans son contexte.

Nous avons commencé à construire ce dossier il y a plusieurs semaines, dans la foulée de la mort de Georges Floyd aux Etats-Unis, ce citoyen noir tué par un policier blanc. Et nous nous sommes posé cette question : certes, la violence de policiers blancs à l’égard des personnes de couleur n’est pas comparable en Belgique et aux Etats-Unis, mais sur le fond, la Belgique est-elle aussi égalitaire qu’elle le dit ?

Pour objectiver les faits, nous nous sommes en particulier penchés sur les postes de pouvoir et d’influence, fonctions clés d’une société. Nous avons épluché la composition des conseils d’administration et de direction des sociétés du Bel 20, examiné la répartition des postes de députés et ministres, de ceux de la magistrature, de la Défense nationale ou encore de nos grandes institutions culturelles… Le constat est limpide: les Afro-descendants se heurtent toujours au plafond de verre. Les chiffres mentionnés à ce sujet dans notre dossier sont éloquents.

Le titre de la couverture renvoie directement au fait que les Afro-descendants, à compétences égales, ont moins de chances que les Blancs de s’en sortir dans la vie, notamment à l’école ou sur le marché de l’emploi. Toutes les études le prouvent. Et les Afro-descendants que nous avons questionnés ont tous eu la même expression : « On doit toujours faire trois ou quatre fois plus nos preuves que les belges blancs ». C’est exactement à cette discrimination que renvoient le titre de la Une ainsi que son illustration.

https://twitter.com/LeVif/status/1301388393566396416LEVIF / L’EXPRESShttps://twitter.com/LeVif

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Nous aurions pu publier une couverture avec les mêmes personnalités présentées dans leur couleur d’origine, blanches donc, et demander : « Où sont les Afro-descendants ? ». Ou : « Pourquoi sont-ils tous blancs ? » Mais nous avons voulu aller plus loin, nous interroger sur les réseaux qui font les lieux de pouvoir aujourd’hui en posant la question inverse : « Si ces personnes avaient été noires, auraient-elles connu un même parcours ? » La question concerne aussi les médias : il n’y a pas de journaliste de couleur dans notre rédaction et c’est un vrai questionnement pour nous.

Les réactions se sont enflammées sur les réseaux sociaux où cette couverture a été abondamment relayée sans texte ni contexte, alimentant l’idée sous-jacente que cette illustration était un nouvel exemple de blackface (une pratique raciste qui consiste à grimer les visages en noir avec l’intention délibérée de stigmatiser une population et de la caricaturer comme dans le cas de père Fouettard). Or, ce que nous avons voulu faire, c’est de l’anti-blackface. Il n’y a pas l’once d’une moquerie de notre part dans cette illustration.

Cette couverture suscite le débat, ce qui prouve que le sujet reste sensible. L’image a pu être ressentie comme blessante par certains, alors que jamais notre intention n’a été de blesser, bien au contraire. Si c’est le cas, nous nous en excusons. Le déluge de réactions que nous avons enregistré confirme en tous cas qu’aborder le sujet de la couleur de peau, ou plus précisément de la relation entre blancs et Afro-descendants rouvre à chaque fois brutalement une plaie, mal, voire non cicatrisée. Et cela, en tant que media et en tant que société, nous devons l’entendre. Car cela prouve que rien n’est réglé. C’est exactement ce que nous avons voulu démontrer avec ce dossier. Le tollé suscité par l’illustration de Une prouve par l’absurde que le contenu du dossier est malheureusement exact et pertinent.

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