Depuis décembre 2015, la convention environnementale sur les pneus n'a pas été renouvelée en Flandre. Et d'autres secteurs sont dans le même cas. © Ton Koene/belgaimage

Écoconsommation : les cotisations de reprise hors des clous ?

Laurence Van Ruymbeke
Laurence Van Ruymbeke Journaliste au Vif

Un acheteur peut refuser de payer sa taxe environnementale si celle-ci n’est plus couverte par une convention environnementale valable, estime la justice. Or, nombre d’entre elles, relatives aux piles, aux pneus ou aux frigos, ont expiré. Test-Achats pourrait saisir la balle au bond.

C’est une petite grenade qu’a dégoupillée le tribunal de commerce de Gand. Dans un jugement rendu en juillet dernier mais révélé il y a peu par L’Echo, celui-ci a en effet reconnu à un acheteur de pneus le droit de ne pas s’acquitter de la cotisation environnementale mentionnée dans sa facture, dès lors que celle-ci n’est plus couverte, en Flandre, par une convention environnementale depuis le 31 décembre 2015. Elargie à d’autres catégories de produits pour lesquels les clients paient une cotisation de reprise, cette décision, si elle faisait jurisprudence, autoriserait par exemple un acheteur de frigo à refuser de s’acquitter de sa cotisation Recupel. Explications.

Depuis le tournant du siècle, les fabricants et importateurs sont tenus de reprendre ou de faire reprendre ces marchandises devenues inutiles ou inutilisables et d’assurer leur recyclage ou leur correcte élimination. Ils peuvent s’en charger eux-mêmes ou s’adresser à un organisme de gestion comme Recytyre (pneus), Bebat (piles), Recupel (petit électro et électro-ménager), Valipac (emballages industriels) ou Valorlub (huiles usagées), moyennant paiement. Bien qu’ils s’en défendent pour la plupart, les producteurs répercutent ce coût via une cotisation de reprise imposée au consommateur final. Ce montant figure d’ailleurs parfois en toutes lettres sur les tickets de caisse de ces achats. Pour un frigo, par exemple, la cotisation s’élève à 10 euros. Pour une pile de moins de 150 grammes, c’est 0,073 euro hors TVA…

Cette obligation de reprise, légalement encadrée, fait en outre l’objet, pour chaque organisme de gestion, soit d’un agrément – imposé par les pouvoirs publics -, soit d’une convention environnementale négociée avec les pouvoirs publics, en l’occurrence les trois Régions du pays. Or, plusieurs de ces conventions, tant en Flandre qu’à Bruxelles et en Wallonie, sont venues à échéance, parfois depuis plusieurs années. Leur renouvellement n’est pas toujours simple tant les points de vue des deux parties sont difficiles à concilier et tant les comportements des consommateurs et la composition des produits évoluent sans cesse. A Bruxelles, sept nouvelles conventions d’application pour les panneaux photovoltaïques, les piles, les véhicules usagés, l’électroménager, les pneus, les batteries électriques et les huiles usagées sont en passe d’être examinées au parlement. Certaines d’entre elles avaient expiré l’an dernier, une autre en 2009.

En Wallonie, les activités de Recupel n’y sont ainsi plus couvertes par une convention depuis décembre 2013 et celles de Bebat, depuis 2015. Confrontée à des négociations difficiles avec les producteurs de déchets, la Région wallonne a inséré dans le droit wallon un nouveau mécanisme applicable aux éco- organismes : la licence. Mais Recupel a contesté la mesure devant les tribunaux ! Des discussions, réflexions ou changements de cadre sont par ailleurs en cours pour les batteries de véhicules électriques, huiles usagées, papiers publicitaires, médicaments et déchets photographiques.

 » Pour les opérateurs de la gestion des déchets, l’absence de convention pose la question de l’insécurité juridique dans les relations commerciales, observe-t-on chez Go4Circle, la fédération de l’économie circulaire. Ce n’est pas durable, même si les Régions couvrent d’une certaine manière cet état de fait.  »

Un trou dans le gruyère

C’est ce point faible qu’a relevé l’entreprise flamande N-Trading, qui a refusé de payer la cotisation environnementale de 21,60 euros – sur une facture totale de 641,80 euros – que lui réclamait un vendeur de pneus. Depuis décembre 2015, la convention environnementale sur les pneus usés n’a en effet pas été renouvelée en Flandre. Le tribunal a suivi le plaignant :  » En percevant des cotisations environnementales, a-t-il dit, le vendeur a agi de façon contraire à la réglementation d’ordre public.  »

D’autres dossiers judiciaires du même genre sont en cours. Ce qui ne s’était pas vu jusqu’à présent, vu la faiblesse des montants en jeu, généralement inférieurs aux frais de justice.

Qu’arriverait-il si tous les consommateurs se piquaient de ne plus payer leur cotisation de reprise ?  » Cela pourrait en effet arriver, reconnaît-on chez Bruxelles-Environnement, du moins tant que les nouvelles conventions n’ont pas été validées par le parlement.  » Soit quelques mois durant lesquels ce vide juridique jette le trouble. Pour se mettre à l’abri, les vendeurs pourraient bien décider de ne plus afficher le montant de la cotisation environnementale sur leurs tickets ou factures.

Les opérateurs sont d’une prudence de sioux lorsqu’on les interroge.  » Nous voulons analyser ce jugement et voir les implications éventuelles avant de nous prononcer à ce sujet « , commente sobrement Martine Vanheers, directrice des affaires publiques chez Bebat, sans convention à Bruxelles depuis 2009 et en Wallonie depuis 2015. Chez Recytyre, concernée par le jugement de Gand puisqu’il porte sur son coeur d’activité, la vente de pneus, on ne commente pas l’affaire.  » Recytyre n’était pas une partie à la procédure « , rappelle son administrateur délégué, Chris Lorquet. A Bruxelles, cette entreprise attend sa nouvelle convention depuis février 2017. Pas de commentaire non plus du côté de Recupel. Hors convention depuis 2013 à Bruxelles et 2017 en Wallonie, cet opérateur affirme continuer à travailler selon le régime des anciennes conventions environnementales.

 » Quoi qu’il en soit, ce n’est évident ni pour nos collègues ni pour nous de gérer ce dossier avec les trois Régions « , sou-pire Catherine Lenaerts, directrice chez Febelauto.

Contacté par Le Vif/L’Express, Test-Achats va examiner le bien-fondé d’une éventuelle action pour récupérer le dommage lié à  » cette situation aberrante, dans un contexte de manque de transparence, y compris dans l’affectation des recettes des opérateurs. Le fonctionnement de ce système et son contrôle par les pouvoirs publics ne doivent-ils pas être revus ?  » interroge Jean-Philippe Ducart, porte-parole de l’association de défense des consommateurs.

Plusieurs des acteurs impliqués dans cette matière, et notamment les pouvoirs publics qui s’arrachent les cheveux lors des négociations de nouvelles conventions, prônent d’ailleurs la réforme totale du système : ils privilégieraient la mise en place d’un agrément pour les opérateurs et la cogestion du dossier par les trois Régions. C’est déjà le cas avec l’accord de coopération interrégional sur la gestion des déchets d’emballages.

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