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Dossier spécial héritage: comment protéger au mieux son partenaire cohabitant ?

Le Vif

Les couples cohabitants se demandent parfois s’il n’est pas préférable de s’engager dans une cohabitation légale puisque ce statut leur permet d’hériter automatiquement l’un de l’autre. En effet, les cohabitants qui font une déclaration écrite de cohabitation légale devant le fonctionnaire de l’état civil se voient imposer plusieurs obligations contraignantes, notamment la protection du logement familial et la contribution aux charges du ménage. À tout moment, les partenaires peuvent toutefois, de manière unilatérale et sans l’intervention d’un juge, changer de statut. Les droits et devoirs évoqués ne concernent pas les partenaires qui cohabitent de fait.

1. Comment compenser le caractère limité de la protection légale?

Il existe, depuis le 18 mai 2007, des dispositions légales du droit successoral pour les cohabitants légaux, mais elles n’offrent qu’une protection précaire et limitée au logement familial et au mobilier. Ces couples feront donc bien d’étendre cette protection par le biais d’un testament ou d’une convention.

  • 1.1. Le testament

Les cohabitants peuvent établir un testament au bénéfice l’un de l’autre. Sur le plan fiscal, cette possibilité offre des perspectives puisque, dans chacune des trois Régions, les partenaires cohabitants légaux sont assimilés aux couples mariés. En Région flamande, les cohabitants de fait peuvent bénéficier eux aussi d’un tarif successoral avantageux (3-9-27%). Depuis le 1er janvier 2007, il existe par ailleurs, en Région flamande, une exonération des droits de succession sur le logement familial, qui vaut également pour les partenaires cohabitants. En Régions de Bruxelles-Capitale et wallonne, l’exonération du logement familial n’est applicable qu’aux partenaires cohabitants légaux.

L’inconvénient du testament est qu’il peut toujours être révoqué de manière unilatérale. Il faudra en outre tenir compte des enfants d’un premier mariage ou d’une relation antérieure.

  • 1.2. Le contrat

Par une protection contractuelle, les cohabitants légaux lèveront nombre d’incertitudes. Avant tout, un contrat conclu de commun accord n’est pas révocable de manière unilatérale comme le testament.

– Un partenaire peut faire don à l’autre de certains biens. Mais cette possibilité est soumise à quelques restrictions. Les donations entre partenaires cohabitants sont irrévocables (Cassation, 12 décembre 2008). Contrairement aux couples mariés, les cohabitants ne peuvent pas inclure de dispositions contractuelles dans leur contrat de cohabitation.

– Les partenaires cohabitants peuvent régler le sort de leurs biens par le biais d’une convention de cohabitation.

– Ils peuvent également conclure une clause d’accroissement.

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Examinons ces deux dernières possibilités de plus près.

2. La convention de cohabitation

Les partenaires cohabitants peuvent conclure entre eux une convention de cohabitation qui déterminera, par exemple:

– quels biens appartiennent à l’un ou à l’autre, de sorte qu’il n’y aura plus aucun doute à ce sujet ;

– la proportion dans laquelle chaque partenaire contribuera aux charges du ménage (p. ex., en fonction de leurs revenus) ;

– le mode de calcul de la quote-part de chacun dans le remboursement de l’emprunt, s’ils font des travaux à une habitation n’appartenant qu’à l’un d’eux ;

– les droits de l’autre partenaire à la fin de la cohabitation.

Contrairement aux cohabitants de fait, les cohabitants légaux peuvent faire établir leur convention de cohabitation par acte notarié et y faire inclure une clause de participation aux acquêts. Ils peuvent également créer un patrimoine commun interne adjoint, dans lequel ils apportent l’un et/ou l’autre des biens. Cette approche a toutefois une incidence fiscale.

Dans un premier temps, l’administration fiscale avait estimé qu’un tel apport dans un patrimoine commun interne adjoint était possible moyennant un droit d’enregistrement général (de 50 euros actuellement). Elle est ensuite revenue sur sa position. À l’en croire, un « patrimoine commun interne adjoint » entre cohabitants légaux n’est rien d’autre qu’une simple indivision.

– Désormais, l’apport rémunéré d’immobilier dans un patrimoine commun interne adjoint est soumis à un droit de vente (de 12,5% dans les Régions wallonne et de Bruxelles-Capitale, et de 10% en Région flamande).

– Si l’apport a eu lieu à titre gratuit, un droit de donation progressif est dû (de 3 à 27% dans les trois Régions).

– Pour l’apport gratuit de biens mobiliers, un droit de donation linéaire (3,3% en Région wallonne et 3% en Régions de Bruxelles-Capitale et flamande) sera prélevé.

– Toutes les conventions qui n’engendrent pas un transfert de propriété sont soumises au droit linéaire général de 50 euros. Nous songeons en particulier à l’apport d’un bien immobilier appartenant aux deux cohabitants, chacun pour une moitié indivise.

3. La clause d’accroissement

Pour certains biens (p. ex., le logement familial ou des titres), tant les cohabitants de fait que les cohabitants légaux peuvent conclure une convention d’accroissement. Nous nous limitons ici au système de l’accroissement, sans nous étendre sur la tontine. Si les deux approches se ressemblent, elles n’en présentent pas moins quelques différences techniques.

EXEMPLE

Nathan et Nathalie sont des cohabitants légaux. Ils achètent ensemble une maison d’habitation, chacun pour une moitié indivise. Ils n’ont pas d’enfants. Nathan décède. L’usufruit de sa part de la maison d’habitation revient à Nathalie tandis que la nue-propriété en revient à son frère, Paul. Comment Nathan et Nathalie auraient-ils pu éviter un tel scénario?

? À supposer qu’il n’y ait pas eu d’héritiers réservataires en vie (des enfants d’un lit précédent, p. ex.), chacun d’eux aurait pu établir un testament par lequel il aurait légué à l’autre la pleine propriété du logement familial. Comme les cohabitants sont, sur le plan fiscal, assimilés à des époux, cette solution est même avantageuse puisque la moitié appartenant au partenaire défunt est soumise à des droits de succession nuls.

? Nathan et Nathalie auraient aussi bien pu conclure entre eux une convention d’accroissement par laquelle ils seraient convenus que la part du premier partenaire à décéder aurait accru celle du survivant. Grâce à un tel accord, le partenaire survivant n’aurait dû s’acquitter que d’un droit de vente (de 12,5% en Régions de Bruxelles-Capitale et wallonne et de 10% en Région flamande) et non pas de droits de succession.

  • 3.1. L’égalité des chances est requise

La technique de l’accroissement est un contrat aléatoire, ce qui signifie qu’il s’agit d’une convention réciproque dont les effets dépendent d’un événement incertain: qui décédera le premier? Un contrat aléatoire est une convention à titre onéreux, non à titre gratuit. Ce n’est donc pas une donation. Le caractère onéreux se situe dans la probabilité de survie des deux contractants: elle doit être équivalente. La chance comme le risque, et la probabilité de gain et de perte (de vie ou de mort), doivent être les mêmes. Si tel est le cas, les parties acceptent le risque et ne pourront pas introduire de réclamation ultérieurement, si ce risque se révèle défavorable pour l’un d’eux. En principe, l’un ne peut pas intenter contre l’autre une action en responsabilité pour obtenir réparation de son préjudice.

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Lors de l’établissement d’une convention d’accroissement, il faut donc tenir compte du sexe, de l’âge et de l’état de santé des deux parties. Ainsi l’achat d’une résidence secondaire par deux partenaires entre lesquels la différence d’âge est grande peut-il être considéré comme une donation et être soumis à des droits de donation. En ce qui concerne les biens mobiliers, un tel accroissement est même soumis à des droits de succession.

Lorsque les chances sont inégales, l’équilibre peut être rétabli par une obligation naturelle sous-jacente, telle qu’une obligation de soins à charge du partenaire survivant. La plupart des auteurs considèrent qu’une compensation financière peut également équilibrer la situation. À l’achat, le partenaire le plus jeune peut par exemple payer davantage pour sa part indivise. Notons toutefois que l’Administration fiscale flamande a, dans sa position du 8 janvier 2018, décidé qu’une inégalité des chances ne peut pas être compensée par un apport plus important.

  • 3.2. Le droit successoral est mis hors-jeu

Les avantages qui découlent d’une convention d’accroissement ne sont pas considérés comme des donations. Le contrat ne doit pas non plus être établi par acte notarié. Dès que les conditions du contrat sont réalisées, le droit successoral est mis hors-jeu car les règles d’apport et de réduction ne sont pas applicables. Le bien disparaît du patrimoine du premier à décéder sans qu’il y ait la moindre compensation financière. La convention d’accroissement offre donc une grande sécurité au partenaire survivant. Celui-ci est protégé à l’égard d’actions en justice que les héritiers du défunt pourraient intenter à son encontre. De plus, la clause ne peut être abrogée par aucune des deux parties. En principe, on ne peut renoncer à une clause d’accroissement que moyennant un consentement mutuel.

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  • 3.3. Attention, s’il y a des enfants!

Ce sont le plus souvent des cohabitants sans enfants qui recourent à la technique de l’accroissement. Généralement, ils mettent au point un système d’accroissement de la pleine propriété. Le partenaire survivant reçoit alors la pleine propriété de la part du partenaire qui décède le premier. Les héritiers sont totalement mis hors-jeu.

Parfois, cette technique est utilisée pour déshériter les enfants d’une relation ou d’un mariage antérieurs.

Si l’entente avec les enfants est bonne, un accroissement en usufruit peut constituer une piste intéressante. Le partenaire survivant est ainsi assuré de pouvoir occuper jusqu’à sa mort l’habitation achetée conjointement ou d’en percevoir les loyers, sans priver de leur droit successoral les héritiers de l’autre partenaire.

EXEMPLE

Patrick, divorcé, a des enfants. Sa compagne, Catherine, n’a pas d’enfants mais a un frère toujours en vie. Patrick entend acheter une maison avec Catherine et protéger aussi bien ses enfants que sa compagne.

Par le biais d’un accroissement en usufruit, Catherine recevra au décès de Patrick l’usufruit de la moitié de ce dernier dans la maison, tandis que ses enfants en obtiendront la nue-propriété. Le jour où Catherine viendra à décéder, son usufruit s’éteindra. Les enfants obtiendront alors la moitié en pleine propriété, l’autre moitié revenant au frère de Catherine.

  • 3.4. Quelles sont les implications fiscales?

Le décès de l’un des partenaires donnera lieu non pas à des droits de succession mais à un droit d’enregistrement (droit de vente). Pour l’accroissement de biens immobiliers, un droit de vente proportionnel (de 12,5% en Régions wallonne et de Bruxelles-Capitale et de 10% en Région flamande) est en principe dû au moment du décès. Dans sa position du 8 janvier 2018, l’Administration fiscale flamande a accepté les effets fiscaux du contrat d’accroissement.

EXEMPLE

Gilles et Stéphane achètent ensemble une maison à Namur et optent pour un accroissement. Au décès de Gilles, Stéphane reçoit la moitié du bien en pleine propriété. Si l’habitation vaut 100 000 euros au moment du décès, le droit de vente sera de (50 000 euros x 12,5% =) 6 250 euros.

L’accroissement de biens mobiliers n’est soumis à aucune taxation car pour le transfert à titre onéreux de tels biens, la loi ne prévoit pas de droit d’enregistrement.

Selon la circulaire fédérale du 10 avril 2013 et la circulaire flamande du 2 février 2015, une convention d’accroissement ne constitue pas un abus fiscal.

  • 3.5. La sécurité juridique à l’égard des descendants

La clause d’accroissement entre cohabitants peut être utile pour se protéger mutuellement à l’égard de descendants. Les partenaires peuvent, par le biais d’une telle clause, exclure leurs héritiers de l’héritage de leurs biens immobiliers en indivision. Le cas échéant, ils peuvent limiter ce droit successoral à la nue-propriété en optant pour un accroissement limité à l’usufruit. Les deux solutions offrent la sécurité juridique nécessaire.

Cela vaut aussi pour les couples mariés, mais ceux-ci peuvent tout aussi bien se protéger par le biais des dispositions légales du droit successoral (l’usufruit à l’époux survivant) ou de dispositions testamentaires complémentaires (pleine propriété de l’habitation), ou encore de dispositions contractuelles (institutions contractuelles, passation au survivant de la communauté entre époux).

Cette sécurité juridique n’est cependant pas gratuite: actuellement, l’accroissement est souvent plus coûteux sur le plan fiscal (droits d’enregistrement) que la voie testamentaire (droits de succession). Pour réduire cette facture fiscale, on peut opter pour un accroissement avec option combiné à un testament. De cette manière, le cohabitant survivant aura le choix: faire jouer la clause d’accroissement ou y renoncer et invoquer le testament, grâce auquel il bénéficie de droits de succession inférieurs. La clause d’accroissement avec option ne prend effet que si le cohabitant survivant choisit explicitement d’y recourir dans un délai déterminé. L’Administration fiscale accepte ce principe.

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  • 3.6. Une clause d’accroissement est-elle toujours intéressante sous l’angle fiscal?

Lorsqu’il n’est pas nécessaire de rechercher la sécurité juridique à l’égard de descendants, l’intérêt d’une clause d’accroissement s’évalue au cas par cas. Le droit de succession fait l’objet d’un calcul différent dans chaque Région, ce qui ne facilite pas l’exercice. Pour faire simple, les cohabitants (ainsi que les époux, lorsqu’il s’agit d’un bien immobilier autre que le logement familial) peuvent retenir les montants suivants.

– Depuis le 1er janvier 2018, les cohabitants légaux bénéficient en Région wallonne d’une exemption de droits de succession pour le logement familial. Les cohabitants de fait paient jusqu’à 80%. Le droit de vente est également plus élevé en Région wallonne (12,5%). Pour ceux qui habitent en Wallonie, qui y investissent dans l’immobilier et n’optent pas pour une cohabitation légale, la clause d’accroissement est toujours plus intéressante (12,5%, contre au maximum 80%). Pour les biens immobiliers autres que le logement familial, l’accroissement ne devient intéressant pour les cohabitants légaux que si sa valeur dépasse 586 958 euros.

– En Région de Bruxelles-Capitale, les cohabitants bénéficient depuis le 1er janvier 2014, pour l’héritage du logement familial, d’une exonération du droit de succession s’ils optent pour la cohabitation légale. Le droit d’enregistrement en cas d’accroissement s’élève à 12,5%. Pour les biens immobiliers autres que le logement familial, l’accroissement en Région de Bruxelles-Capitale ne s’avère intéressant sur le plan fiscal pour les cohabitants légaux que si la valeur des biens dépasse 595 654 euros.

– En Flandre, un accroissement pour le logement familial n’est plus intéressant puisque l’exonération du droit de succession est possible aussi bien pour les cohabitants de fait que pour les cohabitants légaux. Un testament et une clause d’accroissement assortie d’une option sont plus intéressants. Pour les biens immobiliers, un accroissement n’est intéressant, fiscalement, que pour des investissements supérieurs à 564 706 euros. Les droits de succession sur la moitié (282 353 euros) s’élèvent alors à 28 235,31 euros, ce qui représente une pression fiscale de 10% et correspond au droit d’enregistrement flamand.

  • 3.7. Quand revoir un contrat existant?

Pour les cohabitants non mariés qui ont acquis leur logement familial avec une clause d’accroissement, il sera plus intéressant, sous l’angle fiscal, d’attribuer leurs droits indivis dans ce logement au partenaire survivant par le biais d’un testament. Bien entendu, un testament peut toujours être révoqué unilatéralement.

Qu’en est-il des couples mariés? Les couples mariés sous le régime de la séparation des biens pure et simple peuvent placer leur logement familial indivis sous un statut conjoint particulier avec attribution. Ce faisant, ils neutraliseront les droits de succession. Les époux mariés sous un régime de communauté peuvent envisager la révision de leur contrat de mariage. Moyennant une modification mineure (par le biais d’un partage ou d’une institution contractuelle d’héritier), l’époux survivant pourra hériter du logement familial en exonération d’impôt.

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