Bart De Wever © Dino

De Wever donne systématiquement le ton: « Chacun est contraint de participer au débat »

Stavros Kelepouris
Stavros Kelepouris Journaliste pour Knack.be

Aucun autre politicien n’impose sa volonté au débat public comme Bart De Wever. « S’il dit qu’il va acheter deux kilos de tomates chez Lidl, les gens se demanderont encore deux jours plus tard ce que cachent ces tomates », déclare le politologue Carl Devos de l’Université de Gand.

Le dernier week-end des vacances d’été, le président de la N-VA, Bart De Wever, s’est emparé de l’actualité. « Nous devons imposer davantage les vues de la N-VA sur l’enseignement lors de la prochaine législature », dit-il sur sa page Twitter. Comprenez : la N-VA souhaite livrer le ministre de l’Enseignement du prochain gouvernement flamand.

De Wever n’avait pas tout à fait choisi son timing: plusieurs quotidiens – juste avant la nouvelle année scolaire – interrogeaient des experts en enseignement sur leur vision des écoles flamandes. Bien entendu, cela arrangeait le bourgmestre d’Anvers que ces experts lancent l’alerte et cela lui a offert l’opportunité de mettre la position de la N-VA sur l’enseignement en avant : il faut relever la barre et la fine fleur des élèves doit à nouveau pouvoir exceller.

Le cabinet de la ministre de l’Enseignement flamand Hilde Crevits (CD&V) s’est cabré. La patience à l’égard de la N-VA atteint doucement ses limites : depuis quelque temps, la ministre s’indigne de la façon dont la N-VA attire tous les débats autour de l’enseignement. Le fait que les nationalistes flamands présentent toute décision comme une victoire de leur parti suscite le mécontentement.

Pour Carl Devos (UGent), Bart De Wever parvient toujours à réussir le grand écart : peser sur la politique et puis la descendre en flammes. Lors d’un débat de la fédération technologique Agoria en mai, par exemple, il a déclaré que la sortie du nucléaire était irréalisable dans le cadre actuel, sans compromettre l’approvisionnement ou faire exploser le prix de l’énergie. Ainsi, De Wever a tourné deux gouvernements incluant la N-VA en ridicule, le fédéral et le flamand, dont l’un est même dirigé par son parti. Là encore, De Wever s’en est sorti sans effort, et entre-temps il a servi deux publics: ceux qui sont pour la sortie du nucléaire et ceux qui n’y croient pas.

Cette semaine, il a refait le coup en donnant une interview au Volkskrant au sujet de la guerre de la drogue à Anvers, où De Wever accusait ses opposants politiques d’être exposés à la corruption dans le milieu de la drogue. L’article montrait surtout comment six ans de politique anversoise de la N-VA n’avaient pu inverser la vapeur, mais De Wever a réussi à détourner l’attention de sa politique et à laisser le débat se déplacer vers l’infiltration des barons de la drogue dans les milieux politiques.

« C’est fort de sa part », estime Devos, qui l’explique par le charisme spécial et le rayonnement de Bart De Wever. « Quand le sujet l’ennuie, il réussit à focaliser le débat sur ce qu’il veut. On lui attribue également une certaine importance politique, ce qui lui donne beaucoup de résonance. Les autres partis sont obligés de se joindre au débat: ils viennent sur son terrain et doivent jouer son jeu. »

Il est difficile pour les opposants politiques d’en sortir indemnes. Pendant longtemps, le CD&V a été particulièrement agacé par le langage musclé du secrétaire d’État à l’Asile et à la Migration, Theo Francken (N-VA). En ne répondant pas, les démocrates-chrétiens espéraient surtout ne pas donner plus de publicité au discours de Francken dans les médias. Malheureusement pour lui, le CD&V a été bombardé de critiques de personnes qui pensaient que le parti, par son silence, approuvait Francken. Une fois que le CD&V a décidé de répondre, on lui a rétorqué : pourquoi reste-t-il au gouvernement avec la N-VA alors?

À gauche, on prétend parfois que les médias sont trop indulgents pour De Wever. Il y a un fond de vérité, dit Devos. « Le traitons-nous de la même manière que les autres politiciens? La réponse est non. C’est un effet secondaire de la colossale attention médiatique accordée à De Wever. « Je comprends la fascination, car c’est un phénomène très intéressant. Il restera bien sûr bourgmestres d’Anvers, président du plus grand parti et l’une des personnalités les plus influentes – mais la manière de grossir tout ce que fait De Wever est parfois excessive. »

« C’est une prédiction qui finit par se réaliser: quand il parle, on attend tout de suite des mots qui ont beaucoup de sens. S’il dit qu’il va chercher deux kilos de tomates, deux jours plus tard, les gens se demanderont encore ce que cachent ces deux kilos de tomates. »

Une partie de l’explication se retrouve également dans l’ingéniosité communicative exceptionnelle de Bart De Wever. À intervalles réguliers, il réussit à attirer le débat à lui à l’aide d’une petite phrase bien envoyée: « Magnette double Syriza à gauche », avant de se retirer et de voir la réaction et l’écho du milieu politique à ses déclarations.

Il arrive que ce qu’il dit soit d’importance secondaire; ce qui compte, c’est qu’il le dise. L’analyse qu’il ne fallait plus attendre beaucoup de dynamisme de la part du gouvernement fédéral, était déjà un classique quand De Wever est venu raconter à Terzake que le gouvernement Michel avait perdu le dash (la niaque). Pourtant, c’est devenu l’actualité politique des jours suivant – « dash » est devenu la devise politique de l’année.

Sociolinguiste à l’Université de Gand et observateur du débat politique depuis des années, le professeur Jan Blommaert ne partage pas cet avis. Les médias flamands ont brandi l’image de De Wever qui communique avec brio tout au long de la législature, dit-il, mais cette année, cet état de grâce a pris un tournant décisif. « Depuis un an, la N-VA est contrainte d’adopter des positions défensives. Cela a commencé par les déclarations de Jan Jambon sur la Catalogne, où il a été rappelé à l’ordre par l’Europe. Il y a eu l’histoire de Liesbeth Homans et de Tom Meeuws, très importune dans le débat public. Theo Francken aussi a eu un été très agité: pensez à ses déclarations sur le contournement de la Convention européenne des droits de l’homme, qui ont causé d’énormes dégâts. Il y a eu les déclarations à propos de l’Ordre du barreau flamand et récemment le scandale de lingerie, qui n’ont pas été désamorcées correctement. Et je peux citer d’autres exemples. « 

Dans le même temps, Blommaert ne peut nier que peu de gens attirent autant les projecteurs que Bart De Wever. « Mais ne confondez pas attention et approbation. On dit qu’il n’y a pas de mauvaise publicité. Eh bien, ce n’est pas vrai. Pour 25% des électeurs, peu importe ce qui est dit, mais parmi les 75% restants, la résistance à la N-VA s’intensifie. Dans les médias, on voit que la patience s’épuise et que N-VA est rappelée à l’ordre- par exemple lorsque la politique de Jambon et Francken a coûté la vie à la petite Mawda. Lorsque votre politique entraîne des morts, vous avez un problème politique. »

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire