© BELGA

Crise du coronavirus: les décisions et l’omniprésence de Sciensano sur le gril

Olivia Lepropre
Olivia Lepropre Journaliste au Vif

Sciensano est omniprésent dans la crise liée au coronavirus. L’institut belge de santé publique est aujourd’hui pointé du doigt pour sa gestion et des décisions jugées  » arbitraires  » et  » opaques « .

L’Académie royale de médecine (ARMB) et l’Académie royale des Sciences, des Lettres et des Beaux-Arts (ARB) émettent de vives critiques à l’égard de l’Institut scientifique de santé publique et de sa gestion de la crise du coronavirus. Omniprésente depuis le début de la crise en Belgique, Sciensano est une institution publique qui assume des missions en matière de santé publique et animale aux niveaux fédéral, régional, communautaire, européen et international. Elle est agréée comme organisme de recherche par la Politique scientifique fédérale. Dans le cadre de sa mission, Sciensano doit être à même « de faire face à toutes sortes de situations d’urgence, potentiellement néfastes pour la santé publique », dont les épidémies, peut-on lire sur le site officiel. Lorsqu’une situation d’urgence sanitaire se présente, Sciensano répond à la demande des autorités sanitaires. L’institut coordonne notamment le Risk Assessment Group (RAG), chargé d’évaluer les risques.

Selon les Académies, la Belgique a pris des décisions dans l’urgence et la précipitation, et aucun plan de crise n’était prêt malgré les avertissements venant de Chine. L’ARMB et l’ARB se montrent aujourd’hui inquiètes pour l’avenir, notamment si une deuxième vague de contaminations devait survenir. La gestion du confinement et du déconfinement ont fait l’objet de « décisions arbitraires et opaques prises par Sciensano », concernant différentes thématiques, et en conséquence soutenues par les autorités publiques de la santé, dénoncent-elles. Elles « demandent que soient clarifiées et revues une série de décisions qui mettent notre pays en danger, en marge de ce que préconisent les autorités sanitaires internationales ». Les deux Académies encouragent Sciensano à collaborer avec elles afin d’assurer la transparence, l’indépendance et la cohérence des décisions. Voici quelques exemples qui posent question :

La question du port du masque. En Belgique, les autorités ont fait volte-face concernant le port du masque par les citoyens. Si au début, on le jugeait inutile, voire contreproductif, il est désormais rendu obligatoire dans certains endroits comme les transports en communs, et « fortement recommandé » ailleurs. Un revirement que pointent du doigt l’ARMB et l’ARB. Elles dénoncent la « négation de l’intérêt des masques pour la population afin d’occulter une pénurie et un manque de prévoyance ».

La question des tests PCR. Les tests effectués pour détecter les personnes infectées sont également dans le viseur. Ici, ce sont notamment les critères de tests, publiés par Sciensano, qui sont pointés du doigt. Comme nous l’analysions il y a plusieurs semaines, la capacité de testing de la Belgique est plus importante que les tests réalisés quotidiennement, car les critères pour accéder au test, mis à jour régulièrement, ne concernent que des cas précis. Les Académies royales pointent des « restrictions » concernant les personnes asymptomatiques ou présymptomatiques ayant été en contact avec une personne contaminée. Or, ces personnes ne présentant pas ou pas encore de symptômes représentent une « source importante de transmission ».

La question des tests sérologiques. Outre les tests PCR, les tests sérologiques, qui détectent la présence d’anticorps, doivent également faire partie de la stratégie de déconfinement. Pour les Académies, ils font eux aussi l’objet « d’incohérences », l’utilisation et le remboursement des tests rapides restant interdits. Une critique qu’émettait également l’ABSyM ce mardi, contredit par la ministre de la Santé Maggie De Block. Un million de ce type de tests a pourtant été commandé. Les Académies déplorent aussi que les études séro-épidémiologiques, « essentielles pour suivre le taux de pénétration du virus » dans le pays, ne peuvent être fiables, car elles se limitent à des initiatives locales et ne sont pas coordonnées.

La question du tracing. Les Académies royales sont également préoccupées par le tracing, « qui n’échappe pas au besoin de précision et d’amélioration ». Didier Viviers, secrétaire perpétuel de l’ARB, s’interroge sur la protection et la confidentialité de la base de données « compte tenu de la quantité d’informations sensibles et non anonymes qu’elle contient, compte tenu également du nombre de personnes qui y ont accès ». Le respect de la vie privée « reste une priorité démocratique, même en période de pandémie », relève le professeur.

Des critiques « injustes » et « incorrectes »

Pour Christian Leonard, directeur général de Sciensano, ces critiques démontrent une « méconnaissance du rôle de Sciensano ». Selon lui, les critiques mélangent des choses qui n’ont rien à voir avec son rôle. « Le déconfinement, c’est le groupe d’experts (ndrl : le GEES), qui s’en occupe. Le remboursement, c’est l’INAMI. Les décisions quant aux définitions de cas et aux tests, c’est le Risk Management Group », précise-t-il sur le plateau de la RTBF. Sciensano ne fait que donner des avis, insiste-t-il. Il estime les reproches « injustes » et « pas correctes ». Pour lui, il n’était pas possible de réagir différemment à cette crise survenue de manière soudaine.

Pas les premières critiques

Ce ne sont pas les premières critiques émises à l’égard de Sciensano depuis le début de cette crise. Lors de la réouverture des écoles, le virologue Marc Wathelet avait également dénoncé dans une lettre ouverte la minimisation de la contagion par les enfants, en pointant notamment la communication de Sciensano sur le sujet, jugée trompeuse. Au milieu de l’épidémie, l’Institut était également pointé du doigt pour ne pas publier les données brutes relatives à l’évolution de l’épidémie, notamment avec les autres professionnels du secteur. Ce qui a finalement été fait après demandes et insistance.

Au Parlement, certains députés posent également des questions sur l’institut et son rôle de premier plan dans la crise. Est-ce vraiment à cet institut à gérer la crise et jouer ce rôle prépondérant, notamment au niveau médiatique ? « L’épidémiologie et les données de santé, les deux piliers de la crise, ce sont deux de nos missions. On a pris cette place parce qu’on nous a demandé de faire un rapport quotidien sur la crise. Il se fait aussi que Steven Van Gucht est devenu porte-parole, parce que c’est un infectiologue réputé, très bon bilingue et pédagogue. Et que Sophie Quoilin est présidente du RAG, mais de façon permanente, pas seulement pendant cette crise. Non, il n’y a pas eu d’interventionnisme dans le chef de Sciensano », justifiait déjà Christian Léonard il y a une dizaine de jours à La Libre.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire