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Covid: pourquoi le MR prend le risque de s’isoler sur les fêtes de Noël (analyse)

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Les libéraux francophones sont en pointe dans la demande d’un assouplissement des mesures en vue de la fin d’année. Plusieurs facteurs expliquent cette fronde politique face aux partenaires de la majorité.

En Flandre, certains se demandent si le MR du gouvernement d’Alexander De Croo n’est pas l’équivalent de ce qu’était la N-VA au sein du gouvernement de Charles Michel. L’attitude des libéraux francophones, qui sont en pointe pour demander une évaluation des mesures et un assouplissement lors du Comité de concertation du 18 décembre, a interpellé plus d’un analyste, au nord du pays, depuis ce week-end.

Cette attitude de franc-tireur a singulièrement irrité le Premier ministre, Alexander De Croo (pourtant un libéral), et le ministre de la Santé, Frank Vandenbroucke (SP.A), qui plaident tous deux pour une fermeté dans la gestion de la crise de la Covid, au moins jusque mi-janvier. Ce week-end, Ecolo a exprimé sa volonté de respecter les règles et, ce lundi, le PS a fermé la porte à un élargissement de la bulle sociale pour Noël, tout en se disant ouvert à une discussion sur la réouverture des métiers de contact.

Sans citer explicitement le MR, mais on sait de qui il parle, Ahmed Laaouej, chef de file PS à la Chambre, avance dans un entretien au Vif/L’Express: « Certains ne sont pas loin d’une forme de populisme ».

Pourquoi le MR prend-il le risque de s’isoler politiquement au sein de la majorité? Et s’agit-il d’un risque calculé?

1 La volonté d’exister politiquement

Le MR est-il l’équivalent de la N-VA dans le gouvernement Michel? La question est intéressante et la réponse est globalement positive. Alors qu’il dominait les gouvernements Michel et Wilmès de la tête et des épaules, le parti libéral se retrouve désormais dans une situation bien moins confortable: plus de Premier ministre, moins de ministres, des compétences moins directement en phase avec la crise sanitaire (sauf son volet économique)… Le tout au sein d’une coalition plutôt marquée au centre-gauche, avec les socialistes et les écologistes. Autrement dit, pour exister, les troupes de Georges-Louis Bouchez doivent se distinguer, comme c’était le cas pour la N-VA au sein d’une majorité Michel qui était, par contre, plus homogène sur le plan politique. Une différence de taille, toutefois, entre MR et N-VA: alors que les nationalistes flamands ont tout intérêt à démontrer que l’Etat fédéral ne fonctionne pas, les libéraux francophones y sont attachés et… ils sont en outre présents à tous les niveaux de pouvoir (sauf la Région bruxelloise).

2 L’attitude « disruptive » de Bouchez et sa « fragiliation »

Depuis la formation gouvernementale, on sait que le président du MR, Georges-Louis Bouchez, a l’habitude de faire des « coups » et de communiquer à outrance. Cela avait d’ailleurs failli lui coûter cher. A peine le gouvernement De Croo formé, il avait dû faire face à une fronde en interne en raison de son casting manqué (l’arrivée de Mathieu Michel et le parachtuage manqué de Denis Ducarme au gouvernement wallon). Depuis, il a promis de travailler davantage en équipe au sein du parti et… cela s’avère exact dans la séquence qui nous intéresse. Après le Comité de concertation de la fin novembre, ce sont les anciens ministres Denis Ducarme et Marie-Christine Marghem qui sont sortis du bois les premiers. Cette fois, c’est le très reyndersien Pierre-Yves Jeholet, ministre-président francophone, qui est monté au front. D’une pierre deux coups: Bouchze ne s’expose pas directement et il fédère en interne. Mais cela reste « disruptif ».

3 Un bras de fer sur le fond avec les socialistes

L’énervement au sein du MR après le dernier Comité de concertation reposait sur deux reproches faits aux socialistes, en particulier le SP.A Frank Vandenbroucke: l’approche trop « luthérienne » consistant à sévir pour obtenir le respect des mesures et l’utilisation trop secrète des expertises pour la justifier. Sur le fond, les libéraux considèrent que l’on devrait davantage faire confiance à la responsabilité individuelle des citoyens, comme le faisait Sophie Wilmès quand elle était Première ministre, et être davantage transparent sur la méthode. Depuis, la réplique socialiste a été pugnace: sans le relâchement trop rapide après la première vague, on n’en serait pas où nous sommes aujourd’hui. Sur la forme, il s’agit, au fond, de se faire respecter.

4 Un double électorat à choyer

Forcément, les considérations de positionnement ne sont pas absentes de ce jeu d’échecs. Le MR est particulièrement attentif au sort des classes moyennes et des indépendants: ceux-ci ont été outrés par les déclarations de Vandenbroucke sur la fermetures des commerces non-essentiels et sont durement touchés par le confinement, ils fort partie de cette base à choyer par leur ministre fédéral de tutelle, David Clarinval (MR). En ce qui concerne Noël, c’est le public des familles qui est en coeur de cible, une domaine sur lequel le MR est en conséquence directe avec le CDH qui plaide pour sa part en faveur de la fermeté.

L’attitude du MR est un quitte ou double misant sur la lassitude de la population et reste globalement mesurée: en réclamant une évaluation le 18 décembre, qui ne mange pas de pain, le MR sait qu’il pourrait obtenir gain de cause sur un des sujets (visiblement, les métiers de contact), et revendiquer cette « victoire » à la Pyrrhus. A moyen terme, par contre, cela risque de tendre à nouveau ses relations avec ses partenaires de majorité.

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