Un laboratoire de Bonheiden © Belga

Coronavirus : pourquoi tant de morts en Belgique ?

Celine Bouckaert
Celine Bouckaert Journaliste au Vif

Ce vendredi, la Belgique a dépassé la barre symbolique de 3000 décès liés au coronavirus. Ces dernières 24 heures, 325 décès sont venus alourdir le bilan, le plus sombre résultat enregistré jusqu’à présent. Pourquoi la Belgique affiche-t-elle un taux de mortalité aussi élevé ? Nous avons posé la question à Yves Coppieters, professeur en épidémiologie à l’ULB, et auteur de simulations mathématiques des pics de l’épidémie.

Sur ces 3.019 décès, 57% ont été enregistrés à l’hôpital, 40% en maison de repos, 1% à domicile, 1% dans d’autres institutions (comme Fedasil, par exemple), tandis pour les décès restants, le lieu est inconnu. Pour les chiffres rapportés aujourd’hui, sur les 325 décès 114 ont été enregistrés en maison de repos, et 211 en dehors, principalement dans les maisons de repos.

La Belgique compte largement

Le professeur Coppieters confirme qu’il y a une surmortalité en dehors des hôpitaux. Il précise que les personnes décédées en maison de repos n’ont pas toutes été testées et que l’on n’est donc pas sûr que le Covid-19 soit la cause principale de décès pour toutes ces personnes. « La Belgique notifie en effet très largement les décès. C’est l’un des pays qui compte le plus largement ».

Pour se faire une idée du véritable taux de mortalité, il faut se baser sur le taux de mortalité de l’année dernière pour la population belge en général. « La véritable mortalité en épidémiologie, c’est le nombre de décès sur la population à risque, en l’occurrence sur l’ensemble de la population belge. C’est une mortalité que l’on attend plutôt autour de 1 à 2% (par rapport à mars 2019). C’est le taux de mortalité attendu pour le Covid-19 », prédit le professeur Coppieters.

« Au jour, le jour ce n’est pas cette mortalité-là qu’on calcule. On calcule la mortalité par rapport aux tests positifs, qui elle s’élève à plus de 10% ». Il s’agit là de ce qu’on appelle le taux de létalité, la proportion de décès par rapport aux personnes qui sont testées positives au Covid-19.

Mauvaise gestion

Selon le professeur, la manière de notifier les décès n’est pas la seule explication au nombre de décès élevés en Belgique. Il met également en cause les mesures prises en début d’épidémie. « Plus on prend en charge l’épidémie tôt, plus on dépiste systématiquement, plus on isole rapidement les gens, plus la mortalité diminue. La mortalité un peu lourde en Belgique est malheureusement toujours liée à ce léger retard et à la mauvaise gestion dans le démarrage de l’épidémie ». « , explique-t-il.

La population vieillissante joue également un rôle. Comparer les chiffres à ceux d’une population plus jeune revient à comparer des choses différentes. Pour comparer les données d’un pays à l’autre, il est important de les ajuster au sexe, à l’âge, aux conditions sociales et économiques.

Pour le professeur, le plus urgent, aujourd’hui, c’est de dépister dans les maisons de repos, résidents et soignants, afin de mettre en quarantaine les personnes infectées et de freiner la propagation dans ces milieux fermés.

Simulation mathématique de la courbe de décès cumulés en Belgique
Simulation mathématique de la courbe de décès cumulés en Belgique© Professeur Coppieters et docteur Blonda

Le difficile comptage des morts du coronavirus

Le comptage quotidien des victimes du Covid-19, dont le nombre officiel approche les 100.000 morts, est un exercice délicat, le recueil des données en temps réel n’étant que parcellaire et les méthodes variables selon les pays.

Lieu du décès, façon d’identifier les causes de la mort, délais différents de remontée des informations: plusieurs éléments peuvent avoir de l’impact sur ces décomptes, forcément sous-évalués mais essentiels pour surveiller l’évolution de la pandémie.

Il s’agit d’un vrai « défi statistique », souligne ainsi l’institut français des études démographiques, l’Ined.

Hôpitaux et maisons de retraite

Si l’Espagne et la Corée du Sud comptabilisent tous les décès de personnes testées positives au Covid-19, que ce soit à l’hôpital ou en-dehors, ce n’est pas le cas de tous les pays. Les chiffres iraniens, par exemple, ne semblent inclure que des décès à l’hôpital.

Jusqu’à récemment, les décès en maison de retraite ne figuraient pas non plus dans les chiffres officiels français et britanniques. Ils sont pourtant loin d’être marginaux, puisqu’ils représentent aujourd’hui plus du tiers du bilan en France.

Aux Etats-Unis, les décès pris en compte varient d’un Etat à l’autre: l’Etat de New York inclut les maisons de retraite, la Californie non.

Même en Italie, qui affiche officiellement le bilan le plus lourd dans le monde (plus de 18.000 morts), les décès en maison de retraite ne sont pas tous recensés. Si un gros foyer épidémique est détecté dans un établissement, des tests sont réalisés et les décès comptabilisés, mais si un établissement est moins touché, il est vraisemblable que ce ne sera pas le cas, explique la Protection civile.

Covid-19 ou une autre maladie ?

Si certains pays, comme la Corée du Sud, l’Italie, l’Espagne et le Royaume-Uni, incluent dans leurs chiffres toutes les personnes ayant été testées positives au coronavirus, même celles décédées des complications d’une maladie préexistante, d’autres pays sont plus sélectifs.

En Iran, sont exclus des bilans les patients testés positifs mais décédant d’une autre « maladie respiratoire grave ».

Aux Etats-Unis se multiplient des témoignages de personnes dont les proches sont morts, officiellement de pneumonie, avant que les tests ne soient disponibles ou à un moment où ils étaient difficiles à obtenir.

– Manque de tests et délais –

Pendant une épidémie, « la remontée et le traitement des informations, même accélérés, se font avec quelques jours de décalage et ne couvrent pas tous les décès. Il faut plusieurs semaines ou plusieurs mois pour pouvoir décompter précisément tous les morts », estiment Gilles Pison et France Meslé, démographes à l’Ined, sur le site The Conversation.

Aux Etats-Unis, même en l’absence de test, les certificats de décès doivent mentionner si le Covid-19 est la cause « probable » de la mort, mais ces certificats mettent du temps à remonter et ne peuvent être pris en compte pour les bilans en temps réel.

En Espagne, les registres d’état-civil et le nombre d’enterrements font apparaître une surmortalité bien supérieure à celle qui devrait découler du bilan officiel du Covid-19.

Par manque de tests, l’Espagne réalise très peu de dépistages post-mortem. Ainsi, si une personne n’a pas été dépistée avant de mourir, elle n’est pas comptabilisée par les autorités sanitaires. Les données judiciaires, moins restrictives, laissent entrevoir un bilan bien supérieur: par exemple, le tribunal supérieur de Castille-La Manche a enregistré en mars 1.921 actes de décès « dont la cause est due au Covid ou à une suspicion de Covid », soit près de trois fois plus que les 708 morts (positifs au Covid-19) recensés au 31 mars par les autorités sanitaires.

Autre illustration: à Bergame, en Lombardie, ont été recensés, au cours de la première quinzaine de mars, 108 morts de plus (+193%) qu’un an plus tôt… mais seulement 31 décès liés au Covid-19.

Chine et Iran accusées de mentir

Parfois, la sincérité même des chiffres publiés est remise en cause.

En Iran, les bilans officiels ont été contestés, notamment au début de l’épidémie, par des responsables provinciaux et des parlementaires. Même l’agence officielle Irna a parfois diffusé des chiffres plus élevés que ceux des autorités, bilans ensuite démentis par le gouvernement. A l’extérieur du pays, Washington, notamment, a reproché à Téhéran de maquiller ses chiffres.

Concernant la Chine, berceau de l’épidémie, un rapport confidentiel des renseignements américains, cité par l’agence Bloomberg, a accusé Pékin d’avoir intentionnellement sous-évalué son bilan. Ses chiffres ont également été mis en doute par plusieurs responsables iraniens, mais le porte-parole du ministère de la Santé a été contraint à corriger ses propos après avoir qualifié le bilan chinois de « plaisanterie de mauvais goût ».

AFP

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