Du plexiglas pour séparer les tables au restaurant : un moindre mal pour tenter de rassurer et faire revenir le client. © Philippe Crochet/photonews

Coronavirus: pour les restos, cafés et théâtres, un lever de rideau au risque de se faire hara-kiri

Rideaux de fer ou de velours s’ébranlent. Cafés, restos, théâtres sont libérés. Mais pas délivrés de toute contrainte sanitaire et économique. Dans l’incertitude, chacun jauge ses chances de survivre à l’été.

Si le 3 juin restera le jour de l’annonce d’une libération attendue depuis plus de trois mois, le doute s’est instillé rapidement.  » Si vous êtes autorisé à redémarrer à partir du lundi 8, il est évidemment important que vous puissiez évaluer si cela sera rentable. Beaucoup d’entreprises devront recommencer sans faire de bénéfices et c’est pour cela que le gouvernement devra prévoir des mesures de compensation temporaires. C’est la seule façon de garantir les liquidités nécessaires pour continuer à payer les coûts structurels. Nous estimons que 25 à 40 % des entreprises qui redémarreront craignent déjà la faillite « , explique Christine Mattheeuws, du SNI.

 » Pour moi, un serveur est rentable s’il vend 25 fûts de bière. Or, les clients ne peuvent plus venir au comptoir. Si j’ouvre, je perds à coup sûr « , explique Nadia, gérante d’un petit café de Morlanwelz-Mariemont.  » Ici, je n’ai plus de revenus, mais mes dépenses restent contenues, car j’ai la chance de posséder mes murs, contrairement à la plupart des collègues qui ont un contrat avec une brasserie.  » Le petit café est celui qui risque de souffrir le plus, tandis que les tavernes qui peuvent s’étendre sur de nouveaux espaces de terrasse, et même parfois sur la voie publique avec l’accord des autorités, ont une chance de maintenir la tête hors de l’eau.  » Il s’agit de piloter nos entreprises à vue. Aucune n’est rentable ou perdante à coup sûr. Il faut être créatif, peut-être changer sa carte, passer un arrangement avec un voisin. La diminution de la TVA sans changer les prix et la déduction augmentée des dépenses des clients, c’est un petit coup de pouce bienvenu, mais cela ne rend pas votre établissement rentable « , explique Thierry Neyens, président de la fédération Horeca Wallonie.

Le Carré restera figé

 » C’est pour cela qu’est courageuse la décision des cafés du Carré à Liège de rouvrir plus tard, quand les conditions sanitaires leur permettront de travailler avec une partie de la convivialité qui faisait leur charme. Parce qu’une offre dénuée de lien social, c’est risquer que le public ne revienne pas. Avec l’éventualité d’une deuxième vague et d’un second lockdown, c’est ce qui pourrait arriver de pire. C’est pour cela que nous plaidons pour des serveurs qui puissent employer une visière, pour garder le sourire.  » Le secteur a fait le gros dos durant trois mois. Il reçoit trois mois de dispense de cotisations sociales.  » C’est bien, mais c’est peu, on espérait jusqu’à la fin de l’année. Mais cela permet à la restauration d’ouvrir, de faire revenir le client. Nous voulons qu’il soit à l’aise. Mais nous savons qu’il sera difficile de demander à mettre le masque pour entrer au resto, de le retirer pour manger, de le remettre pour aller aux toilettes ou payer la note. Les traiteurs, les organisateurs de fêtes et autres discothèques ne pourront, eux, pas du tout rouvrir avant fin août.  »

Une offre dénuée de lien social, c’est risquer que le public ne revienne pas.

 » Que vous répondre aujourd’hui alors que tout risque de changer demain ? « , répond, navrée, Nathalie Uffner, patronne du Théâtre de la Toison d’or à Ixelles.  » Notre problème, c’est ce fameux mètre et demi. Appliqué à 360 degrés, cela signifie que notre salle de 220 places ne pourrait accueillir que 80 personnes. Une catastrophe financière. Comme d’autres théâtres, je dépends essentiellement de ma billetterie. Il faut une salle remplie à 70 % pour ne pas perdre d’argent. Certains collègues, mieux subventionnés, voient la vente des billets intervenir pour seulement 22 % de leurs revenus. Moi, je suis condamnée au succès, un four peut me faire mettre la clé sous la porte. Et 80 personnes dans la salle, c’est comme un four.  » La directrice s’interroge : pourquoi pourra-t-on remplir les rangées des avions à plein et devra-t-on laisser un boulevard entre deux places de théâtre ? Parce que le lobby des avions est plus fort que celui des saltimbanques ?

En attendant, Nathalie Uffner a dû bouleverser toute sa saison. Le spectacle de Myriam Leroy, interrompu après deux représentations, ne reviendra qu’en 2021. D’autres créations sont repoussées en 2022.  » Je ne peux pas me permettre un risque si élevé dans ce contexte. A Broadway, les comédies musicales sont à l’arrêt. Bien que le public y coure, elles coûtent trop cher avec l’incertitude d’une deuxième vague. Il faudrait que les pouvoirs publics aident surtout ceux qui en ont le plus besoin. Pour ceux qui sont très subventionnés, perdre la billetterie est dur mais surmontable. Moi, c’est la faillite qui me guette. Après vingt-cinq ans de bonheur avec mon public ?  » Pour les artistes, c’est au mieux le droit-passerelle, au pire rien du tout.  » Il y a des injustices flagrantes. J’entends que l’Onem et le service de la Culture se reparlent. Acceptons-en l’augure.  »

Une vie d’angoisse

 » C’est une vie d’angoisse. On a décidé d’ouvrir la vente de la saison à venir le jour de l’annonce gouvernementale. On offre aux spectateurs une grande souplesse, si un spectacle est annulé, il peut en changer. Mais recommencer en juillet ? Juillet, c’est relâche au théâtre « , réagit Cécile Van Snick, directrice de l’Atelier Jean Vilar à Louvain-la-Neuve.  » Nous offrirons mi-août six jours de représentation en extérieur, avec des barrières Nadar et peu de spectateurs, pour garder le lien avec notre public. Mais mon équipe est-elle en forme ? Ils sont en télétravail, parfois avec des petits enfants à la maison, ils sont épuisés, ils ont droit à des vacances, comment concilier les deux ? Le spectacle de mars, nous avons dû l’annuler, donc le rembourser. Nous sommes arrivés à payer les acteurs grâce notamment… à des spectateurs qui nous ont fait don du montant de leur billet. Mais à la mi-septembre, j’ai un grand spectacle dans un chapiteau en dur. Si le déconfinement s’est assoupli, pas de problème. Mais si je n’ai que 200 places parce que les consignes sont restées identiques, ce n’est pas possible. Il faut jouer avec le risque de perdre, c’est vraiment anxiogène. Une partie de mon public est relativement âgé, reviendra-t-il sans crainte au théâtre ? Les 11 000 lycéens qui assistent au spectacle, pourront-ils revenir ?  » Tous les accords artistiques pour la saison 2020- 2021 étaient signés au mois de mars.  » Je ne change rien à ma saison. Comme centre scénique, ma première mission est de donner du travail aux artistes. Mais si je ne reçois pas d’aides, cela sera difficile.  »

Même inquiétude chez Michael Delaunoy, directeur du Rideau de Bruxelles, qui a décidé également de conserver sa saison telle quelle.  » Il faudra nécessairement des aides directes de la Fédération Wallonie-Bruxelles ou du fédéral pour compenser les spectateurs que nous ne pourrons plus accueillir si les règles de distanciation sont encore en vigueur à la reprise en septembre.  » Les lieux étant occupés en juillet-août par deux spectacles en répétition, le Rideau ne concoctera pas de programme d’été exceptionnel.  » Nos équipes ont droit au repos estival, nos ressources sont limitées.  » Ce virus pourra-t-il devenir un mauvais rêve ?  » Il est entré dans nos vies. L’autre jour, en travaillant sur une scénographie, je me suis pris à réfléchir que l’effet serait totalement différent devant une salle pleine ou quarante personnes. Une mise en scène est toujours circonstancielle.  » Delaunoy ouvre la saison avec un texte de l’anglais Martin Crimp, qu’il décrivait, in tempore non suspecto,  » comme une danse endiablée au bord du précipice « .

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