Aux assises de Liège, les avocats de Carine Gilsoul plaideront la provocation. © BELGA IMAGE

Aux assises pour avoir menacé des féministes sur le web

Mélanie Geelkens
Mélanie Geelkens Journaliste, responsable éditoriale du Vif.be

Un procès inédit s’ouvre à Liège ce lundi. Celui de Sami Haenen, un trentenaire qui avait diffusé des propos haineux envers les femmes et les féministes, menaçant de commettre un attentat. Jamais un délit de presse sur internet n’avait été jugé devant une cour d’assises. Avant une correctionnalisation de ce type de faits ?

Le 26 septembre 2020, à Villefontaine (près de Lyon), Victorine Dartois avait raté son bus, après un après-midi shopping avec des amis dans un centre commercial. La jeune fille de 18 ans avait alors décidé de marcher, la maison familiale n’était pas loin, vingt minutes peut-être. Mais elle n’était jamais rentrée. Sur ce court trajet, elle avait croisé un joggeur de 25 ans, père d’un enfant, qui l’avait agressée, qui avait tenté de la violer, puis qui l’avait étranglée et laissée à moitié nue dans un ruisseau.

Lorsque son corps avait été retrouvé, la famille et les amis de Victorine Dartois avaient organisé une marche en son souvenir via les réseaux sociaux. Alors que les messages de soutien affluaient, Sami Haenen, 31 ans, avait lui posté ceci, derrière son écran d’ordinateur à Flémalle : « Personne n’a remarqué que cette fille avait une tenue provocante et le problème il est là (NDLR : elle portait un jeans et un sweat) […] Avant tout un père doit apprendre à sa fille à s’habiller de manière décente et à ne pas sortir seule dehors. »

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Des internautes s’étaient ensuite insurgés de ce commentaire déplacé, ce qui avait semblé galvaniser le Liégeois. Qui s’était montré de plus en plus violent dans ses écrits, puis dans ses vidéos. Il s’était par exemple filmé avec une batte de baseball, déclamant « un message pour toutes les putes qui font les malignes, vous ouvrez vos bouches et moi je vous casse vos têtes ». Sa vidéo avait été vue par plus de 80 000 personnes. Il affirmait que les femmes étaient ses « ennemies » à qui il ferait un jour payer leur « méchanceté ». Il se revendiquait « incel », soit célibataire involontaire, un groupuscule masculiniste extrémiste qui tient les féministes pour responsables de l’échec de leur vie sexuelle et sentimentale. Sami Haenen avait annoncé qu’il pourrait bien devenir le « nouveau Elliot Rodger », du nom d’un Américain qui avait tué six personnes en Californie en 2014 parce qu’il détestait les femmes et encore plus les féministes.

Les Femmes prévoyantes socialistes, dont le mur Facebook avait été le réceptacle de ces propos, avaient fini par alerter la police liégeoise. Au même moment, Interpol avait également repéré ces messages et les avait signalés à la police fédérale. Lorsque les forces de l’ordre avaient débarqué chez lui, le trentenaire sans emploi avait voulu les attaquer avec une batte de baseball.

Sami Haenen a été incarcéré six mois à la prison de Latin, puis libéré sous surveillance électronique en attendant son procès. Ses avocats, maîtres Alexandre Wilmotte et Audrey Lamy, ont dans un premier temps tenté que leur client soit jugé devant un tribunal correctionnel, mais il a finalement été renvoyé aux assises pour incitation à la haine et à la violence par le biais des réseaux sociaux, menace d’attentat et délit de presse. Son procès débute ce lundi et devrait durer trois jours.

Une première : jamais un délit de presse sur le web n’avait été jugé devant une cour d’assises. L’article 150 de la Constitution prévoit en effet, pour des raisons historiques, que les délits de presse ne peuvent être jugés que par un jury populaire. Habituellement, ce genre de prévention n’est pas poursuivi, car mobiliser une cour d’assises pour ce genre de faits est jugé trop compliqué et onéreux. Les avocats des plaignants, pour éviter l’impunité, tentent donc souvent d’épingler d’autres types de préventions (comme le harcèlement dans le monde « réel », par exemple) pour que le dossier puisse malgré tout être jugé devant un tribunal correctionnel.

Depuis plusieurs années, le monde judiciaire souhaite modifier cet article 150 de la Constitution, afin que les délits de presse – au moins ceux constatés sur Internet – puissent être correctionnalisés, comme c’est d’ailleurs le cas pour les délits de presse incitant au racisme et à la xénophobie. Le ministre de la Justice Vincent Van Quickenborne (Open VLD) avait annoncé son intention de réviser cet article, son cabinet travaille sur une proposition qui, pour être adoptée, devrait être votée par au moins deux tiers des parlementaires. « La population réclame du changement, les magistrats montrent – comme on vient de le voir ici à Liège – qu’ils veulent pouvoir sanctionner, et la police est également motivée pour mettre fin à cette impunité de fait », avait expliqué le ministre dans Le Soir, en mars dernier. Sami Haenen risque une peine de prison de cinq ans et 500 euros d’amende.

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