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Armes chimiques en Ukraine: « Poutine pourrait être tenté d’en utiliser pour mettre un point final à cette guerre »

Stagiaire Le Vif

Un mois après le début de l’invasion en Ukraine, la menace d’une attaque chimique russe sur le sol ukrainien plane. Au vu de son modus operandi, « Poutine pourrait être tenté de faire usage de telles armes », estiment certains experts.

Ce lundi 21 mars, après l’épisode de la « fuite d’ammoniac » dans une usine d’engrais ukrainienne, le président américain Joe Biden a affirmé que « la Russie envisage d’utiliser des armes chimiques et biologiques », faisant ainsi planer la menace d’une potentielle attaque chimique sur l’Ukraine.

Dix jours plus tôt, la Russie avait annoncé avoir découvert en Ukraine plusieurs laboratoires de recherches sur les armes bactériologiques. Bon nombre d’Occidentaux ont alors craint que Vladimir Poutine ne se serve de cette excuse pour lui-même faire usage d’armes biochimiques. D’autres, comme le président d’Albanie, estiment que ces allégations d’armes visent à servir la propagande russe. Alors, réelle menace ou guerre d’information ?

Qu’est-ce qu’une arme chimique ?

L’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC) définit l’arme chimique comme un « produit chimique utilisé pour provoquer la mort ou d’autres dommages par son action toxique ». Sont également prises en compte dans cette définition les « munitions, dispositifs et autres matériels spécifiquement conçus pour transformer en arme des produits chimiques toxiques ». Le chlore, qui affecte les voies respiratoires, le gaz moutarde, brûlant la peau, le plomb, toxique pour le système nerveux, ou encore le cyanure, qui empêche les cellules de fonctionner, sont autant d’exemples d’armes chimiques. Les gaz lacrymogènes, utilisés par la police pour neutraliser des individus, sont également considérés comme tels.

Jeudi 24 mars, le président ukrainien Volodymyr Zelensky a accusé la Russie d’avoir lancé des « bombes au phosphore » à Roubjiné, près de Lougansk, à l’est du pays. S’embrasant au contact de l’air, ce type de bombes génère énormément de lumière ainsi que d’épaisses fumées. Si le phosphore blanc peut causer d’importantes brûlures, potentiellement mortelles, il n’est pas considéré comme arme chimique et est donc toléré en temps de guerre.

La Russie détient-elle des armes chimiques ?

Si la Russie, comme les 192 autres membres des Nations Unies, a signé la Convention sur l’interdiction des armes chimiques, elle pourrait cependant en disposer. Plusieurs experts avancent que Moscou aurait récupéré l’arsenal chimique de la Syrie, après le désarmement de l’armée de Bachar al-Assad en 2013. Les tentatives d’empoisonnement de Sergueï Skripal, ex-espion russe, en 2018 et d’Alexeï Navalny, opposant russe de Poutine, en 2020 n’ont pas levé les soupçons.

« Entre les discours et la réalité, il y a toujours évidemment des interrogations », avance André Dumoulin, attaché de recherche associé à l’Institut royal supérieur de défense (IRSD). Lors de la guerre froide, les réserves d’armes chimiques américaines et russes se comptaient en tonnes. Pour le spécialiste, « il est donc probable que ces Etats disposent encore de telles armes, sans nécessairement vouloir les utiliser ».

Faut-il craindre que Moscou fasse usage de telles armes ?

Un mois après l’attaque de l’Ukraine par la Russie, l’incertitude demeure. Si le conflit s’enlise et que les pertes russes s’aggravent – l’OTAN estime qu’entre 7 000 et 15 000 soldats russes sont morts dans le conflit en Ukraine -, « Poutine pourrait être tenté de vouloir mettre un point final à cette guerre en usant d’armes chimiques », estime Frédéric Mauro, chercheur associé à l’Iris (Institut des relations internationales et stratégiques) et spécialiste de la Défense européenne.

D’autant plus que, depuis quelques jours, la propagande à l’oeuvre dans les journaux télévisés russes fait état de soi-disant laboratoires chimiques américains en Ukraine. Une information automatiquement rejetée par Ned Price, porte-parole du Département d’Etat américain. « Ce n’est pas la première fois que la Russie invente de telles fausses accusations contre un autre pays », a-t-il rétorqué.

Pour Frédéric Mauro, il s’agit effectivement d’une grande constante dans la manipulation du régime russe. « Compte tenu de ce que l’on a déjà constaté en Syrie, ces allégations pourraient être formulées par le Kremlin pour lui permettre d’accuser les Ukrainiens d’avoir utilisé de telles armes, alors qu’en réalité, ce sont les Russes qui vont les utiliser », explique-t-il. L’armée syrienne avait déjà employé de telles méthodes, accusant l’opposition d’utiliser des armes chimiques, notamment lors du massacre de la Ghouta en 2013.

Ces armes pourraient également ne jamais être utilisées, au vu de la pression internationale, souligne André Dumoulin. « Lors de la guerre du Golfe, les Etats-Unis avaient menacé de faire usage de l’arme nucléaire en Irak, si le régime de Saddam Hussein utilisait des armes chimiques contre les Américains », explique le spécialiste. « Et Saddam Hussein n’a jamais utilisé de telles armes (en partie parce que beaucoup de ses dépôts étaient inopérants) », poursuit-il.

Par le passé, de telles méthodes de dissuasion n’ont toutefois pas toujours été très efficaces, ajoute Frédéric Mauro. En 2012, Barack Obama avait averti le régime syrien d’al-Assad que l’emploi d’armes chimiques constituait une « ligne rouge » et que, si cette dernière était franchie, elle donnerait lieu à une intervention militaire directe. Cette menace n’a pas empêché Bachar al-Assad de bombarder chimiquement des civils dans leur sommeil, le 21 août 2013. « Le fait de fixer une ligne rouge et puis de la laisser franchir est un terrible aveu de faiblesse », estime le spécialiste. « Il vaut mieux laisser Poutine dans l’ambiguïté stratégique », conclut-il.

L’Otan équipe ses forces contre une possible attaque nucléaire, chimique ou biologique en Ukraine

L’Otan va fournir à l’Ukraine des équipements de protection contre les menaces chimiques, biologiques et nucléaires, a annoncé jeudi le secrétaire général de l’Alliance atlantique. L’organisation prévoit également de protéger ses forces déployées sur le flanc oriental contre ces menaces.

Les Alliés se disent« préoccupés » par la possibilité de l’utilisation de telles armes en Ukraine après l’invasion russe et « ont convenu de fournir des équipements pour aider l’Ukraine à se protéger contre les menaces chimiques, biologiques, radiologiques et nucléaires », a expliqué le Norvégien Jens Stoltenberg à l’issue d’un sommet extraordinaire des dirigeants de l’Alliance.

Emma Grégoire

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