Cristiano Ronaldo et Fernando Santos lors de la finale de l'Euro 2016. Sorti sur blessure, le capitaine harangue encore ses troupes. © Belgaimage

Football et politique: au Portugal, la douce fièvre antiaustérité

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Avant le début de la Coupe du monde de football, Le Vif/L’Express montre, à travers les trente-deux pays qualifiés, combien le sport roi et la politique sont intimement liés. Deuxième épisode : comment le Portugal se prend à rêver sous l’effet conjugué de la victoire à l’Euro de 2016 et des effets positifs de sa politique antiaustérité.

L’image du  » roi du monde  » claudiquant sur le bord du terrain, lors de la finale de l’Euro de football 2016, restera dans toutes les mémoires. Cristiano Ronaldo, le joueur aux quatre Ballons d’or (bientôt cinq) et au palmarès incomparable en club, que ce soit avec Manchester United ou le Real Madrid, voulait plus que tout offrir enfin à son pays un premier grand titre international. En marquant des buts comme il respire : il en a pris l’habitude. Mais à la 25e minute de ce match décisif contre la France, pays organisateur, ce 10 juillet 2016, CR7 doit sortir sur blessure, matraqué par l’opposition et usé par une longue saison. Avec lui, tout un pays pleure, soudain. Et voit s’envoler tout espoir. A tort…

Car il était écrit que l’homme aux abdominaux d’extraterrestre serait le héros de la compétition. Pas en gonflant les muscles, mais en allant au bout de l’abnégation. Lui, l’ultraindividualiste, prend place au bord du terrain aux côtés du sélectionneur Fernando Santos,  » l’ingénieur  » à l’allure austère. Sans relâche, Cristiano harangue ses coéquipiers, les replace avec de grands gestes, masse les crampes de Raphaël Guerreiro et pousse l’équipe vers l’avant. Cette fougue partagée amène l’improbable remplaçant Eder, joueur de Lille, aujourd’hui exilé au Lokomotiv Moscou, à armer un tir imparable. 1-0, à la 109e minute. Le Portugal est sacré. Miné par d’épuisantes prolongations, tout un pays se libère. Rongé par la crise, il oublie l’austérité.

Relever la tête avec audace

Si les métaphores liant le football et la politique sont innombrables, cette victoire de la Seleção en est une, magnifique. Elle symbolise un tournant pour ce petit pays de dix millions d’âmes aux confins de l’Europe, balayé par l’océan Atlantique, traumatisé par la dictature de Salazar, imprégné d’une culture mélancolique faite de fado et de Saudade, puis mangé par la crise. L’Allemagne démocratique avait profité de sa victoire à la Coupe du monde, en 1954, pour retrouver le concert des nations. La France avait chanté, en 1998, la consécration fugitive d’une harmonie métissée. L’Espagne a surfé trois compétitions durant (Mondial 2010, Euro 2008 et 2012) sur l’euphorie économique et immobilière. Le Portugal, lui, puise dans ce sacre de 2016 des ressources insoupçonnées pour relever la tête. Avec audace.

Le pays, maudit, revient de loin. Il fut l’une des principales victimes de la crise de la dette européenne, au début de la décennie. Entre 2009 et 2015, il sombre, tout simplement. Aux déficits budgétaires sous les 9 % du produit intérieur brut succèdent des coupes drastiques dans les finances, des centaines de millions d’euros économisés dans les soins de santé, une politique de droite dure, menée avec l’appui de la troïka européenne. Le Portugal est exsangue, comme la Grèce. Ce n’est pas un hasard si le sélectionneur Fernando Santos est passé d’une équipe nationale à l’autre, en septembre 2014. Un signe du destin.

Mais là où la Grèce choisit une voie radicale pour protester contre l’austérité, le Portugal opte pour une approche plus créative. En novembre 2015, tandis que la Seleção termine première d’un groupe de qualification relativement aisé devant l’Albanie et le Danemark, une coalition inédite et fragile arrive au pouvoir à Lisbonne. Le Parti socialiste prend la tête d’un gouvernement minoritaire, soutenu de l’extérieur par le Parti communiste (PCP), son rival de toujours, solidement nationaliste et anti-européen, ainsi que par le Bloc de gauche anti-austérité, proche des Grecs de Syriza et des Espagnols de Podemos. Un Premier ministre originaire de Goa, en Inde, Antonio Costa, ménage les susceptibilités et les ego des uns et des autres. C’est l’équivalent politique de Fernando Santos. La jovialité en plus.

Mario Centeno, ministre des Finances, aux côtés de son Premier ministre Antonio Costa. Duo de choc qui a fait sortir le Portugal de la crise.
Mario Centeno, ministre des Finances, aux côtés de son Premier ministre Antonio Costa. Duo de choc qui a fait sortir le Portugal de la crise.© PATRICIA DE MELO MOREIRA/BELGAIMAGE

Le « Cristiano Ronaldo des Finances »

Pour prolonger la métaphore footbalistique, Antonio Costa dispose à ses côtés d’un ministre des Finances à la fois compétent, tranchant et modéré : Mario Centeno. Ce quinquagénaire n’a pas été pour rien baptisé le  » Cristiano Ronaldo des Finances  » par un homme qui sait de quoi il parle : Wolfgang Schäuble. Longtemps bras droit redouté de la chancelière allemande Angela Merkel, c’est lui qui faisait la pluie et le beau temps en Europe durant ces années de crise. Lui qui a fait plier la Grèce radicale de Syriza. Mais la stratégie du Portugal pour sortir de la crise est plus subtile : elle rompt avec l’austérité, en douceur.  » Nous allons tourner cette page de façon responsable « , dit Mario Centeno, à l’antipode de son ancien homologue grec, Yanis Varoufakis. Du coup, c’est lui qui a séduit Schäuble. Et qui l’a dompté.

L’action de ce gouvernement pluriel est digne d’un match de l’équipe nationale, fait de résilience et de patience, marqué par quelques coups de génie techniques. L’équipe d’Antonio Costa n’hésite pas à relever le salaire minimum et les pensions pour relancer la consommation intérieure. A miser sur un renouveau d’industries axées sur la mondialisation : textile, chaussures et automobiles. A ouvrir grand les portes aux touristes et aux étrangers désireux de s’installer au Portugal, grâce à une fiscalité très favorable. Lisbonne est devenue la ville à la mode, remplaçant Barcelone avant même la saga indépendantiste. Et les indicateurs socio-économiques se redressent à la vitesse de l’éclair : déficit budgétaire revenu dans la moyenne européenne, chômage sous les 10 %… Une vision socio-économique devenue, aux yeux de beaucoup, une alternative positive pour l’Europe.

Alors, aujourd’hui, dans la douce fièvre du moment, le Portugal rêve d’un autre impossible exploit lors du Mondial en Russie, l’année prochaine. Revoici venu le temps des conquêtes, digne de l’époque de Magellan. Un empire… Dans la foulée de l’Euro 2016, le Portugal n’a-t-il pas remporté l’Eurovision 2017 avec Salvador Sobral et conquis la tête des Nations unies avec António Guterres ? Depuis le but d’Eder et les gesticulations de Ronaldo, impossible n’est plus un mot portugais…

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