Les élevages industriels font peu de cas du bien-être animal © FORGET PATRICK/PHOTO NEWS

Végétariens: leurs trois grands arguments sont-ils valides ?

Soraya Ghali
Soraya Ghali Journaliste au Vif

Pourquoi se convertir ? Les militants végétariens, végétaliens et vegans ont affuté leur argumentaire. Décryptage.

1. « Et si c’était nous, les bêtes ? »

Essais et réquisitoires emplissent les rayonnages des librairies. Celui de l’Américain Jonathan Safran Foer, Faut-il manger les animaux ? (traduit en français en 2011, éd. de l’Olivier), enquête en partie clandestine sur l’élevage industriel, a été un détonateur. D’autres ont suivi. Parmi les derniers en date, le manifeste vegan La cause des animaux. Pour un destin commun (récemment réédité chez Buchet/Chastel), de la philosophe Florence Burgat, et Bon appétit ! Quand l’industrie de la viande nous mène en barquette (Presses de la Cité), d’une journaliste d’investigation, Anne de Loisy, bilan sans concession de la filière industrielle de la viande. Plus que les enjeux écologiques ou alimentaires, c’est le refus de la maltraitance animale qui suscite le plus d’adhésions au veganisme. « Nous vivons une prise de conscience collective éthique vis-à-vis de la souffrance animale. Ce n’est pas juste un effet de mode, c’est une lame de fond », souligne Fabrice Derzelle, de l’association Végétik. Elle reste la motivation première de 80 % des végétariens, selon la revue Cahiers antispécistes. « Un seul principe guide mes choix alimentaires : là où ce n’est absolument pas nécessaire, il ne faut pas tuer les animaux pour les manger. Or, aujourd’hui et ici, il n’y a aucune nécessité, nous avons tout à fait les moyens de nous nourrir autrement « , témoigne Yvan Vancleynenbreugel, végétarien belge quadragénaire.

Un argument, implacable, qui se fait de plus en plus entendre. Car l’élevage intensif a considérablement dégradé la condition animale au cours des dernières décennies. Ainsi, selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), 60 milliards d’animaux terrestres (dont 265 millions en Belgique) sont abattus chaque année pour satisfaire la consommation humaine. Toujours d’après la FAO, en Belgique, 85 % des poulets de chair proviennent d’élevages industriels et n’ont jamais vu la lumière du jour et 95 % des porcs sont élevés sur caillebotis, en bâtiments. On leur meule les dents et coupe la queue sans anesthésie.

Selon l’association de défense des animaux Gaia, 4 millions d’entre eux sont castrés à vif quelques jours après leur naissance pour « prévenir le risque d’apparition d’une odeur désagréable lors de la cuisson de la viande ». Ces réalités, difficiles à réfuter, entraînent un véritable trouble chez l’omnivore. Quiconque a pu prendre connaissance des conditions dans lesquelles porcs, veaux ou volailles sont élevés, ne peut qu’admettre que la situation pose des interrogations d’ordre éthique. C’est que la question animale est sérieuse. Longtemps occultée par la pensée occidentale, elle devient un champ de réflexion à part entière et mobilise des intellectuels, des artistes, des scientifiques, que les vegans ne se privent pas de citer. Ainsi, la plupart des philosophes contemporains, de Matthieu Ricard à Michel Onfray, convergent pour accorder à l’animal des droits minimaux, notamment celui de ne pas souffrir inutilement pour les besoins de l’homme.

 MAGASIN 100 % végan. Une démarche également testée par les supermarchés.
MAGASIN 100 % végan. Une démarche également testée par les supermarchés. © EDUARDO BOTELLA/BELGAIMAGE

Chez les végétariens, on porte le débat plus loin. En réalité, la plupart des « no meat » sont très influencés par l’antispécisme, concept clé du mouvement vegan qui dénonce la hiérarchisation des espèces et la supériorité de l’homme sur l’animal. On parle aussi d' »abolitionnistes » pour les désigner. « Des végétariens qui ne sont pas spécistes, ça n’existe pas ! Tous espèrent un jour franchir le pas vers le veganisme », explique Fabrice Derzelle. Parmi eux, des stars et non des moindres : Paul McCartney, Moby, Joaquin Phoenix…

Leur bible ? L’essai du philosophe australien Peter Singer, La libération animale, sorti en 1974 et réédité en 2012, Petite Bibliothèque Payot). Leur film culte ? Le docu choc Terriens (« Earthlings » de Shaun Monson), sur la cruauté des hommes envers les animaux. Leur argument, enfin ? Pourquoi une suprématie humaine ? Au cours des siècles, les esclaves, les indigènes, les femmes, les enfants ont fait leur entrée dans « le cercle de la compassion », l’heure n’est-elle pas venue d’y faire entrer l’animal ? En clair, ils assimilent la distinction entre les espèces à une forme de racisme, n’hésitant pas à comparer la condition animale à l’esclavage des Noirs ou à la condition féminine. Le raisonnement est évidemment critiquable. Pourtant, écrit Renan Larue, chercheur à l’université de Montréal et auteur d’une Histoire engagée de la pensée végétarienne (PUF, 2014), l’antispécisme pose une question essentielle : est-ce que les différences, bien réelles, qui existent entre un être humain et un animal justifient une telle différence de traitement ? Il permet en tout cas de réfléchir aux liens entre espèces.

Mais leur lutte contre l’élevage industriel et en faveur de la fermeture des abattoirs peut conduire des vegans à des dérapages dans tous les sens : « Je suis contre le viol », déclare une vegane, parlant de « l’insémination artificielle des vaches laitières », parce qu’utilisées pour produire du lait et ses dérivés. Pour eux, l’industrie alimentaire a tout d’un « univers concentrationnaire » et d’un « génocide », une véritable « Shoah dans l’assiette ». Des comparaisons fréquentes que l’on peut lire sur les sites et les forums végétaliens. On y évoque même pour les animaux de batterie « un éternel Treblinka », en référence au camp d’extermination créé en Pologne occupée par les nazis durant la Seconde Guerre mondiale, l’expression servant de titre à un ouvrage très discuté de l’historien américain Charles Patterson.

2. « Une alimentation sans viande est meilleure pour la santé »

L’argument qui consiste à considérer l’animal comme un semblable faisant controverse, la plupart des végétariens non anglo-saxons évitent de le brandir. L’association Végétik recommande ainsi à ses membres de « rester discrets par rapport à notre adhésion aux mouvements abolitionniste et antispéciste ». Leur « combat » est décrit comme « long et d’avant-garde » et « a peu de chance d’être accueilli avec ferveur avant des dizaines d’années ». Par stratégie donc, les « no meat » mettent davantage en avant les bénéfices d’un régime végétarien sur la santé humaine. Renforcé par les scandales sanitaires à répétition, le plaidoyer provégé bénéficie d’ailleurs d’un intérêt accru.

Mais peut-on se passer de viande, de poisson et de volaille sans risquer sa santé ? En principe, oui : les acides aminés, nécessaires à nos muscles, et le fer, contenus dans les protéines, sont identiques dans les règnes végétal et animal, bien qu’en moindre proportion dans les végétaux et moins bien absorbés par l’organisme. Et à condition de posséder des connaissances nutritionnelles suffisamment solides pour correctement associer céréales et légumineuses. Il s’agit autant que possible de compenser ou de supplémenter : un des deux omégas 3, le DHA, qui intervient dans l’architecture du cerveau, n’existe que dans les produits carnés. Il en va de même de la vitamine D, de la vitamine A et de la vitamine B12, indispensables au bon fonctionnement du système nerveux ainsi qu’à la fabrication des globules rouges, inexistantes dans les végétaux. Etre végétarien, et plus encore végétalien improvisé, disent les nutritionnistes, c’est courir le risque de se tromper et de souffrir de carences, en acides animés et en fer notamment. « Certains pensent même revenir à une nourriture naturelle. Or, pas du tout », avertit Nicolas Guggenbühl, diététicien nutritionniste et professeur à l’institut Paul Lambin, à Bruxelles. Ainsi pour compenser le beurre ou la crème, des végétaliens utilisent de l’huile de coco… tout aussi néfaste que l’huile de palme, ou recourent aux fritures, augmentant leur consommation en graisses saturées.

Une fois le menu étudié et les carences compensées, le végétarisme est-il meilleur pour la santé ? La situation n’est pas très claire. Les végétariens exposent, études à l’appui, qu’il permet de préserver sa propre santé. A commencer par celle de l’Association américaine de Diététique (2009) qui affirme que le régime végétarien est une alimentation appropriée. Ses travaux ont montré des bénéfices contre l’hypertension artérielle et contre le mauvais cholestérol, mais aussi contre l’obésité. Les végétariens ont surtout un indice de masse corporelle (IMC) moins élevé et comptent moins de cas de diabète de type 2. « Il s’agit d’une association véritablement indépendante et qui réunit plus de 70 000 nutritionnistes. Chez nous, les liens entre l’Etat, les régions, le lobby de la viande et l’industrie agroalimentaire sont très forts », commente Fabrice Derzelle. Et de citer encore l’étude menée par des chercheurs d’Oxford (Grande-Bretagne) publiée dans l’American Journal of Clinical Nutrition : les végétariens auraient une espérance de vie supérieure aux omnivores de l’ordre de deux à trois ans.

Pour Nicolas Guggenbühl, le verdict est sans appel : « Ces recherches sont menées en comparaison avec une alimentation occidentale dont nous savons qu’elle est déséquilibrée et qu’elle contient des produits animaux. » Autrement dit : « Ces études sont biaisées. » Le diététicien nutritionniste belge reconnaît que des recherches menées par l’université de Loma Linda (Californie) auprès de 73 000 membres de la communauté religieuse de l’Eglise adventiste du septième jour, où le végétarisme est prôné, ont montré des effets positifs sur l’espérance de vie. Mais cet échantillon, à l’image fréquente des végétariens, adopte un mode vie plus sain, sans tabac ni alcool, ce qui est un facteur plus notable encore de longévité.

Les vertus du végétarisme face aux cancers font aussi l’objet de débats. Les études sur ce point divergent et se contredisent. D’ailleurs, l’enquête de l’université de Loma Linda ne montre pas de protection particulière contre le cancer.

CONTRE NATURE L'insémination artificielle des vaches laitières est régulièrement dénoncée par les végans.
CONTRE NATURE L’insémination artificielle des vaches laitières est régulièrement dénoncée par les végans. © SEBASTIEN JARRY/BELGAIMAGE

3. « La viande pollue »

Là où les végétariens, végétaliens et vegans se montrent les plus convaincants, c’est sur l’argument écologique. Le discours sur la protection de l’environnement achève en effet de disqualifier la viande : l’élevage est une puissante source de gaz à effet de serre. Un argument fort et largement accepté, pourtant rarement à l’origine du changement alimentaire. Tous l’affirment haut et fort, comme les experts internationaux : « Lorsqu’une famille de quatre personnes mange un steak, affirme par exemple La Vérité sur la viande (éd. Les Arènes), ouvrage collectif réunissant une vingtaine de scientifiques, politiques et journalistes spécialisés, cela équivaut à peu près en termes d’énergie à conduire une voiture pendant trois heures en laissant toutes les lumières allumées chez soi. »

Le rapport 2013 de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) indique, lui, que l’élevage prélève 8 % de la consommation mondiale d’eau, produit 14,5 % des gaz à effet de serre – davantage que les transports – et 39 % du méthane, un gaz plus réchauffant que le C02, émis notamment par les bovins durant leur digestion. Dans son rapport 2006, la FAO concluait : « Le secteur de l’élevage a des impacts environnementaux si profonds et d’une telle ampleur qu’il devrait être considéré comme l’un des principaux centres de préoccupation des politiques environnementales. »

Ajoutons-y les dernières projections de la FAO : « Alors que la population mondiale atteindra 9,1 milliards en 2050, la production annuelle en viande devra augmenter de plus de 200 millions de tonnes pour atteindre 470 millions de tonnes. » Il faudra donc produire quasiment le double, une folie ! Non pas que cela soit impossible. Seulement, les humains aussi finiront dès lors en rôti. Etuvés par le dérèglement climatique.

Une solution pour alléger le poids de l’élevage sur la planète existe pourtant, bel et bien : que les humains consomment moins de steaks, de faux-filets, de nuggets de poulet, de tranches de jambon et de bavettes. Selon les calculs de l’ONU datant de 2014, pour que tout le monde ait la possibilité manger de la viande et donc consommer des protéines animales, il faudra limiter la consommation carnée à 35 kilos par personne et par an, soit moins de 100 grammes par jour. Ce qui équivaut à réduire par deux, voire plus notre consommation actuelle. Ce qui suppose aussi une révolution des esprits. Dans les faits, elle a déjà commencé.

Le régime carnivore

En 2013, le Belge a avalé en moyenne 85 kilos de viande (50 kilos sans les os, soit 962 grammes par semaine). Une diminution de 13 % en huit ans. Une consommation qui s’inscrit dans la moyenne de l’OCDE. A la fin de sa vie, le Belge aura mangé le tiers d’un cheval, 5 boeufs et veaux, 5 chèvres et moutons, 24 lapins et têtes de gibier, 42 porcs, 43 dindes et autres volailles (hors poulet), 789 poissons et 891poulets. Soit deux fois plus que ses grands-parents et trois fois plus que ses arrière-grands-parents. ?

S. G.

Source : SPF Economie 2014.

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