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Que se cache-t-il derrière nos terreurs nocturnes ?

Muriel Lefevre

Dans cette époque parfois anxiogène, que signifient vraiment les rêves horribles qui surgissent aux heures les plus sombres de la nuit, se demande The Guardian.

On a tous déjà eu un rêve tenace qui nous poursuit une fois réveillé. Un songe à ce point intense et entêtant qu’il vous hante des heures, voire des jours, durant. Techniquement, la seule chose qui le distingue d’un cauchemar, c’est qu’il ne réveille pas le dormeur. Zadra, psychologue, a lu plus de 10 000 comptes rendus de rêves pour son travail au Centre de recherche avancée en médecine du sommeil de l’Université de Montréal. L’étendue de ces recherches et la récurrence de certaines thématiques, comme celle d’une mort imminente, ne l’a pourtant pas empêché d’être durablement troublé par le choc ressenti lorsqu’il a lui-même vécu un tel rêve. C’est surprenant quand on y pense. L’époque dans laquelle nous vivons étant particulièrement anxiogènes cela n’a rien d’étrange que l’anxiété s’infiltre aussi dans notre sommeil.

L’anxiété en quelques chiffres :

Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), la dépression et les troubles liés à l’anxiété coûtent un milliard de dollars par an à l’économie mondiale. On a aussi constaté une augmentation de 50 % du nombre de personnes souffrant de dépression ou d’anxiété entre 1990 et 2013. Rien qu’aux États-Unis, les troubles liés à l’anxiété touchent 6,8 millions d’adultes.

En réalité, la plupart de nos rêves contiennent des éléments qui sont source d’anxiété. On estime qu’environ un tiers des rêves contiennent des « malheurs ». Et même que 80% des rêves des hommes et 77% des rêves des femmes comportent au moins un « élément négatif » tels que de la tristesse, de la colère, de la confusion ou encore de l’appréhension. A contrario, seuls 53 % des rêves des hommes et des femmes auraient au minimum un élément positif, comme les interactions amicales, la bonne fortune, le succès et le bonheur.

Mark Blagrove, professeur de psychologie à l’Université de Swansea et directeur d’un laboratoire du sommeil, a mesuré la « détresse liée au cauchemar ». Pour lui, l’anxiété rend non seulement les rêves plus négatifs, mais elle renforce également l’effet de ceux-ci. Par ailleurs, le stress diurne peut entraîner une privation de sommeil et des réveils nocturnes plus réguliers. Un état des choses qui peut à son tour entraîner une augmentation du nombre de rêves dont nous nous souvenons.

Que se cache-t-il derrière nos terreurs nocturnes ?
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Selon Isabelle Arnulf, neuroscientifique et présidente de la Société française pour la recherche sur le sommeil et la médecine du sommeil, il est normal d’avoir des rêves anxieux. Ce n’est pas pour rien que le mot le plus souvent prononcé dans son sommeil est « non ». Bien que la recherche ait démontré que les personnes qui ont vécu un traumatisme ont des rêves liés à ce dernier, les personnes anxieuses de nature n’ont pas forcément plus de rêves chargés d’angoisses. C’est que la corrélation entre l’anxiété au réveil et les rêves anxiogènes est complexe.

Ont-ils une fonction ?

Arnulf pense que les rêves ont une fonction. Ses recherches ont mis au jour le fait que les étudiants qui avaient des rêves anxieux la nuit précédant l’examen ont obtenu les meilleures notes. « Quoiqu’il se soit passé dans leur cerveau la nuit précédente, cela a donné un gain cognitif par rapport aux autres élèves « , dit-elle dans The Guardian. Cela concorde avec ce qu’on appelle la théorie qui veut que le rêve serve de « simulateur de menace ». Une théorie selon laquelle les gens répètent des situations effrayantes dans leurs rêves pour les préparer à les affronter dans la vie éveillée.

Le Cauchemar de John Henry Fuseli
Le Cauchemar de John Henry Fuseli© Wikipedia

Une théorie attrayante, mais qui n’explique pas pourquoi l’on rêve encore d’examens que l’on a passés depuis longtemps. De quoi laisser sceptique David Bell, psychanalyste à l’Institut de psychanalyse. Pour lui, les rêves qui suivent des traumatismes graves sont souvent récurrents et non déguisés, ce qui suggère que « si les rêves anxiogènes sont une tentative pour nous préparer, il est remarquable à quel point celle-ci échoue constamment ». Il ajoute encore que Freud croyait qu’il pouvait y avoir une sorte de défaut, de bug, ce qui signifie que « l’on finit par répéter, encore et encore, le même événement traumatique ». Bien sûr, il n’y a pas que les rêves traumatisants qui se répètent tout au long de nos nuits. D’autres rêves, plus « normaux », reviennent aussi régulièrement. D’une part, nos rêves communiquent souvent nos préoccupations inconscientes. D’autre part, il est aussi possible, comme le dit Blagrove du laboratoire du sommeil de Swansea, qu’il n’y ait juste aucune fonction adaptative à un rêve: « Nous rêvons simplement que de telles choses arrivent parce que de telles choses ont traversé notre esprit durant la journée et y restent quand nous dormons… Ces rêves ne nous sont d’aucune utilité. C’est juste notre cerveau qui ne s’éteint pas complètement. »

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Pour Zadra, par contre, certains mauvais rêves ont un impact durable. « Quelles que soient les fonctions des rêves, elle devient effective quand a lieu le rêve. Cela se joue probablement plus aux niveaux corticaux, en dehors de notre conscience immédiate, au moment où notre cerveau essaie de relier les préoccupations actuelles aux expériences passées afin de voir quels souvenirs sont pertinents pour les événements récents ». Notre capacité à nous souvenir de nos rêves « n’a par contre aucune incidence » sur leur fonction, dit-il encore. La plupart d’entre nous avons une heure et demie à deux heures de sommeil paradoxal par nuit – la phase au cours de laquelle les rêves se produisent le plus souvent – mais « nous ne nous souvenons que d’une très petite partie de nos rêves ». Or si le souvenir de nos rêves était vraiment important, il y a des chances pour que nous nous souvenions d’un plus grand nombre d’entre eux.

Pour tous ceux que ce genre de rêves inquiètent et qui ne cherchent pas à connaître leur signification, il existe quelque chose comme la thérapie de répétition d’images. Celle-ci forme les rêveurs à réécrire leurs rêves pour les rendre inoffensifs. La seule véritable clé est en effet d’arriver au bout du rêve. Le réveil interrompt un bon processus mental, en dormant plus profondément, vos rêves devraient devenir plus supportables et, qui sait, peut-être même utiles.

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