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Pourquoi se soigner avec des plantes ?

La phytothérapie a le vent en poupe. Sans être la panacée, elle peut soulager de nombreux maux. A condition de bien s’informer, d’éviter l’automédication et de prendre quelques précautions. Car avec les plantes, on peut carrément se… planter !

Au temps du Neandertal, il n’y avait pas de pharmacies. On peut en déduire que, pour soulager ses maux divers, panser ses plaies et soigner ses indigestions provoquées par des steaks de cheval sauvage mal cuits, notre homme préhistorique se servait dans l’ « armoire à pharmacie » qu’il trouvait dans la nature. Hypothèse confirmée récemment par l’archéologue Karen Hardy de l’université autonome de Barcelone. En étudiant la mâchoire d’un Neandertal dont les restes sommeillent dans une grotte dans les Asturies, elle y a détecté des traces de camomille et d’achillée mille-feuille, plantes très amères, consommées pour leur valeur thérapeutique plutôt que pour leur valeur nutritive. L’homme de Neandertal a « inventé » la phytothérapie sans le savoir. Plus tard, les premières civilisations, sumériennes, égyptiennes et chinoises, ont élaboré une pharmacopée à base de plantes, utilisée aussi en Europe. Mais l’Occident a abandonné les plantes au début du XXe siècle avec l’arrivée des molécules de synthèse. La chimie allait désormais tout régler ! Progressivement, les cours d’herboristerie ont disparu des facultés de médecine… La donne change dans les années 1970, grâce à… Maurice Mésségué et aux babas cool. On (re)découvre que si la phytothérapie ne fait pas de miracles, elle peut soulager et réconforter, soigner les petits troubles du sommeil, de la digestion, de la déprime et du mal-être en général. Elle est aussi un bon complément de la médecine allopathique.

Les plantes, du bon et du mauvais Seulement voilà : on ne peut pas mettre toutes les plantes dans le même sac. Les seules dignes de confiance figurent sur des listes officielles de pharmacopée qui recensent toutes les plantes à vocation officinale. Dans le passé, chaque pays possédait sa pharmacopée. Depuis 2004, le Comité sur les plantes médicinales (HMPC : The Committee on Herbal Medicinal Products) édite des monographies des plantes, accompagnées de leur effet thérapeutique pour les médicaments traditionnels vendus dans les Etats membres de l’Union européenne. Depuis la parution de la directive 2004/24/EC, 751 enregistrements de médicaments à base de plantes ont été accordés suivant l’usage traditionnel (utilisés depuis 30 ans dont au moins 15 ans en Europe) et 423 selon un usage bien établi (bibliographie scientifique, essais cliniques…). En Belgique, la Commission pour les médicaments à base de plantes à usage humain de l’Agence fédérale des médicaments et des produits de santé donne le feu vert à la commercialisation, après évaluation d’un dossier succinct. L’évaluation se focalise sur l’usage traditionnel de la plante. Comme tous les médicaments, ceux à base de plantes et les préparations de plantes officielles sont vendus chez nous uniquement en pharmacie. A côté de cela, il y a les compléments alimentaires à base de plantes qui doivent être notifiés auprès du SPF Santé publique et les autres produits à base de plantes vendus n’importe où qui peuvent échapper au contrôle du ministère de la Santé.

Une formation à doses homéopathiques L’autre problème ? Pas assez de médecins formés. Le Dr Philippe Antoine a créé la Société belge de phytothérapie en 1977 (intitulée, aujourd’hui, Société belge de phytothérapie et de nutrithérapie, http://www.sbpn.be). Elle organisait, à l’attention des professions médicales, un enseignement sanctionné par un certificat, reconnu uniquement… par les phytothérapeutes. « Peu à peu, l’intérêt a diminué, les médecins se sont découragés, explique le Dr Antoine. Leurs arguments ? On n’a pas de preuves, ce sont des remèdes de bonne femme, il y a des accidents de l’automédication, c’est trop compliqué pour étudier… » Conclusion ? Il n’y a plus de formations officielles en Belgique, excepté pour les étudiants en pharmacie. Les pharmaciens sont donc les seuls garants des plantes médicinales. S’ils ne peuvent pas traiter les patients, ils peuvent les conseiller et délivrer sans prescription médicale un grand nombre de préparations à base de plantes. « La pharmacognosie, étude de tous les médicaments d’origine naturelle, est enseignée en troisième bac, rapporte Monique Tits, professeur à l’université de Namur et à l’université de Liège. Les étudiants qui optent pour la filière « officine » reçoivent, à Liège, une formation complémentaire de phytothérapie en deuxième master. Nous essayons surtout de développer leur esprit critique en les invitant à lire très attentivement tous les étiquetages et à consulter régulièrement le site de l’HMPC. »

En France, même combat Notre voisin français est confronté au même problème : les formations en facultés de médecine n’existent plus depuis belle lurette. Seuls les pharmaciens apprennent la phytothérapie. C’est la raison pour laquelle le Dr Eric Lorrain a mis sur pied en 2007, avec d’autres confrères, l’Institut européen des substances végétales (IESV), qu’il préside toujours. « Notre institut a une dimension européenne. Il défend les intérêts de la phytothérapie clinique individualisée (PCI). Pour faire simple, la PCI consiste à déterminer le mécanisme des perturbations physiopathologiques du patient et à trouver une solution en fonction des propriétés des plantes et des anomalies rencontrées. La plante doit avoir une action sur les symptômes et sur les mécanismes perturbés. L’IESV fait également la promotion de la phytothérapie auprès du grand public et des professionnels de la santé et organise, à la demande, des formations continues dans tous les pays francophones. Ainsi, pendant cinq ans, j’ai assuré un cycle de formation à Louvain-la-Neuve pour des médecins et des pharmaciens. La phytothérapie est une science qui connaît un développement accéléré depuis une vingtaine d’années. Nos formations insistent sur l’approche scientifique. En France, j’ai l’honneur d’intervenir en tant que chargé d’enseignement sur plusieurs diplômes de troisième cycle de phytothérapie (Clermont-Ferrand/Nantes, Lyon/Marseille) qui officialisent cette formation scientifique. »

Un certain retard de la recherche Si l’efficacité de certaines plantes manque parfois de preuves scientifiques, c’est parce que la recherche fondamentale ne s’y intéresse pas de près. « Cette réticence est purement idéologique, souligne le Dr Philippe Antoine. Les plantes sont beaucoup plus compliquées à étudier qu’une simple molécule. De nombreux facteurs y entrent en ligne de compte. L’analyse est rendue extrêmement complexe grâce, notamment, à la synergie d’action entre les différentes composantes des plantes. » Mais les choses commencent à bouger. Le monde de la phytothérapie a connu sa petite révolution il y a une dizaine d’années avec la mise au point des Extraits de plantes fraîches standardisées (EPS). Ce qui permet de retrouver tous les effets de plantes et ce, de façon reproductible, dans chaque flacon vendu par le pharmacien. Le produit final est constant dans sa qualité. « Le cyprès, par exemple, bénéficie de ce nouveau procédé d’extraction qui permet une meilleure concentration, note le Dr Eric Lorrain. On utilise l’EPS de cyprès dans le traitement de nombreuses affections virales comme les rhumes, la grippe, l’herpès et l’hépatite A. Souvent, il n’y a pas d’équivalent en allopathie. » Aujourd’hui, en France, la recherche est présente partout, notamment à l’Inra (Institut scientifique de recherche agronomique) et à l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale). Beaucoup de recherches se font de façon fondamentale. Il y a des plantes qui suscitent plus d’intérêt que d’autres. Le curcuma, par exemple, est actuellement le plus étudié. On cherche ses applications dans les cancers et dans la maladie d’Alzheimer. On s’intéresse au ginkgo biloba et à ses effets, éventuels, sur l’amélioration de la microcirculation et de l’irrigation cérébrale. Le mucuna et le griffonia sont d’autres « stars » qui captent l’attention des scientifiques. La première agirait sur le Parkinson, la seconde sur l’humeur et le sommeil. « Les extraits standardisés offrent un intérêt énorme, car on peut les mélanger, poursuit le Dr Eric Lorrain. Je vous donne un exemple. Il y a plusieurs types de dépression. Dans certains types, on observe une baisse du niveau de dopamine. Dans d’autres, ce sera la sérotonine qui sera faible. En utilisant le millepertuis, le mucuna et le griffonia, on peut répondre à chaque type de perturbation et personnaliser le traitement. »

Les bonnes indications En consultation, les médecins généralistes sont confrontés dans 70 à 80 % des cas à des « petites » pathologies, autrement dit des troubles fonctionnels. L’efficacité des plantes s’avère souveraine pour soulager les troubles digestifs, les palpitations cardiaques, la paresse de la vésicule biliaire, les maladies infectieuses, tels le rhume, la grippe, l’otite ou l’angine. On peut aussi les utiliser pour renforcer les défenses immunitaires (l’échinacée, l’éleuthérocoque et le shiitaké sont de bons exemples) et prévenir les maladies (les vertus du thym sont démontrés depuis longtemps). « Il y a des plantes riches en tanins, tels la canneberge, le plantain ou le noyer, qui agissent sur les mycoses, les hémorragies ou les diarrhées, souligne le Dr Eric Lorrain. L’alchémille donne de très bons résultats dans le traitement de l’hémorragie utérine. Et le saule blanc qui contient de l’acide salicylique est aussi efficace que l’aspirine. » On commence à utiliser les plantes en cancérologie pour atténuer les effets secondaires des chimiothérapies. Mais il faut être très vigilant car les plantes peuvent interférer avec les molécules chimiques.

Précautions nécessaires La nature offre une variété de plantes infinie et leurs vertus sont très diverses. Mais attention à l’automédication, à des « la cousine de ma voisine dit que… » et à des « consultations » dans des boutiques bio. On s’excuse de rappeler cette évidence : un traitement thérapeutique doit toujours reposer sur un bon diagnostic. D’où l’intérêt de demander l’avis à son médecin traitant. Si l’on souffre de douleurs au ventre, par exemple, il faut d’abord s’assurer qu’aucune pathologie « lourde » ne se cache derrière : une maladie c£liaque, un ulcère, un cancer… De surcroît, il faut savoir que si les plantes sont efficaces, elles peuvent aussi être nocives, voire devenir toxiques dans des préparations différentes (gélules ou tisanes). Enfin, gare aux interactions avec certaines molécules chimiques. Les personnes qui prennent plusieurs médicaments par jour doivent être particulièrement vigilantes.

Pour conclure. Première médecine traditionnelle connue, la phytothérapie fait partie de notre patrimoine culturel. Aujourd’hui, elle est entrée dans une nouvelle dimension. Elle fait appel à des extraits conformes, standardisés et efficaces. Elle est basée sur la science. Dans toute science il y a des règles. Et il faut les respecter.

BARBARA WITKOWSKA

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