Plus grand, plus gros, l’être humain est en train de muter…

Le Vif

Plus grand, plus gros, plus précoce sexuellement mais moins fertile, de plus en plus vieux mais en mauvaise santé… L’être humain est décidément en train de muter, et à une vitesse qui n’a rien à voir avec l’évolution darwinienne. Explications.

L’Homo Sapiens a fait son apparition en Afrique, il y a 200 000 ans. Se contentant, au début, d’une grotte pour s’abriter, d’une peau de bête pour se vêtir et de quelques baies et racines pour se nourrir. Depuis lors, que de chemin parcouru ! Imaginatif et créatif, l’Homo Sapiens occidental a inventé des tours en béton, des jeans slim, des pizzas, des supermarchés, des cartes de crédit, des voyages low cost, des anxiolytiques et des boissons énergisantes. Las. Nous savons aujourd’hui qu’il faut relativiser les succès du « progrès » et du rendement. Réchauffement, pollution, déforestation, élevage-abattage de masse, telles sont les conséquences collatérales de notre expansion vorace. Et l’homme, dans tout ça ? Jean-François Bouvet, biologiste et essayiste, s’est posé la question : « Peut-on envisager un seul instant que ce que nous infligeons à notre environnement soit sans effet sur nous ? » Après une longue enquête aux quatre coins du monde, il nous livre les réponses dans son dernier ouvrage, Mutants. Interview.

Le Vif/L’Express : Peut-on s’attendre à des changements importants de notre espèce sur le plan génétique ?

Jean-François Bouvet : Ce qui est sûr, c’est que la sélection naturelle chère à Darwin continue à opérer dans notre espèce. Entre autres, par le biais de la plus ou moins grande résistance aux maladies, au paludisme, par exemple. Mais le fait le plus marquant est que certaines substances que nous ajoutons à notre environnement s’avèrent capables de modifier sur plusieurs générations la manière dont s’expriment les gènes. On parle d’effets transgénérationnels. Non seulement l’individu est concerné mais aussi sa descendance, même si elle n’a pas été exposée au produit ! C’est par exemple le cas avec un pesticide, la vinclozoline, dont on a pu montrer qu’elle modifiait l’expression des gènes dans le cerveau des rats sur plusieurs générations.

L’homme devient de plus en plus grand. Quels sont les facteurs qui favorisent sa croissance ?

Un cas emblématique de l’importance du facteur alimentaire est celui des deux Corées : mal nourris, les adolescents nord-coréens mesurent quelque vingt centimètres de moins que ceux de Corée du Sud, pourtant voisins sur le plan génétique ! Dans les pays en développement, l’amélioration de l’alimentation joue encore un rôle crucial dans le gain de taille moyenne d’une génération à l’autre. En revanche, dans nos pays européens, c’est certainement l’allongement des études et le recul corrélatif des travaux de force au moment de l’adolescence qui est le facteur essentiel. Ceux-ci sont effectivement préjudiciables à la croissance.

Quelles sont les pistes pour expliquer l’obésité ?

Entre autres, l’action de pesticides comme l’atrazine, utilisée aux Etats-Unis comme herbicide dans la culture du maïs, ou encore celle des antibiotiques qui, en agissant sur le microbiote intestinal peuvent avoir une action sur le stockage des graisses par l’organisme… Mais on invoque aussi la sédentarité, le manque d’activité physique dans les sociétés développées.

Selon vous, la fertilité est en danger. Comment l’expliquer ?

On peut invoquer des facteurs sociétaux. En France, par exemple, le projet d’enfant intervient de plus en plus tard. En Belgique aussi, j’imagine. Or, la fertilité féminine diminue avec le temps. Mais on peut aussi s’inquiéter d’une dégradation de la qualité du sperme. Toujours en France, la concentration de spermatozoïdes dans le sperme a diminué d’environ un tiers entre 1989 et 2005. Soit en une quinzaine d’années seulement. Et une étude vient de montrer que les régions les plus touchées par cette dégradation du sperme sont celles où l’utilisation des pesticides est la plus massive. La France appartient d’ailleurs au trio de tête des pays européens les plus gourmands en pesticides à l’hectare cultivé, les deux autres étant la Belgique et les Pays-Bas.

Les perturbateurs endocriniens que peuvent être les pesticides rendraient les hommes de moins en moins « mâles ». Pourquoi ?

Comme leur nom l’indique, les perturbateurs endocriniens perturbent le système hormonal, et en particulier celui des hormones sexuelles. Et certains pesticides se comportent comme des anti-hormones mâles. En outre, certains d’entre eux apparaissent cancérogènes. C’est le cas par exemple du chlordécone qui a été longtemps utilisé aux Antilles françaises pour lutter contre un insecte ravageur des bananiers. L’usage de ce pesticide est associé à un net accroissement du risque de cancer de la prostate.

Une procréation nouvelle est possible. En théorie, les femmes pourront faire des bébés toutes seules. Comment ?

Vous pensez, comme tout le monde, que pour faire un bébé, il faut forcément une femme à l’origine de l’ovocyte et un homme pour produire les spermatozoïdes. Et ce, qu’il y ait rapport sexuel, insémination artificielle ou fécondation in vitro. Et bien non, justement. Imaginons un couple homosexuel de femmes. La première pourra fournir un ovocyte et la seconde… les spermatozoïdes. Comment ? Par le prodige des cellules souches « pluripotentes » dites iPS (induced pluripotent stem cells), mises au point par Shinya Yamanaka, Prix Nobel de médecine en 2012. Je m’explique. Il est possible d’obtenir des cellules iPS par dédifférenciation de cellules de la peau. Et ces cellules souches sont aptes, en principe, à donner tous les types cellulaires… spermatozoïdes compris. L’embryon qui résultera de la fécondation pourra être implanté chez l’une des deux femmes. Lesquelles auront fait un bébé toutes seules. Chez la souris, on a d’ores et déjà réussi à obtenir des spermatozoïdes à partir de cellules souches. A l’avenir, les hommes risquent donc de ne plus être indispensables à la production de spermatozoïdes.

Entretien : Barbara Witkowska

Mutants. A quoi ressemblerons-nous demain ?, par Jean-François Bouvet, aux éd. Flammarion, 222p.

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