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Les bienfaits d’une vie sans lumières artificielles

Muriel Lefevre

Linda Geddes a décidé de vivre des semaines à la lumière naturelle, loin des ampoules et des écrans. Son expérience lui a permis de découvrir une évidence. Une chose très simple qui va transformer son sommeil, ses émotions et même ses capacités cognitives.

Bien que nous passions un tiers de notre vie à dormir, ou tout du moins à essayer, notre sommeil semble de plus en plus menacé par un monde qui vit H24 dans la lumière artificielle. Nous sommes nombreux à ne pas dormir les 7 à 9 heures recommandées et beaucoup d’entre nous ont du mal à se lever le matin. Or ce n’est pas seulement le nombre d’heures qui flanche, c’est aussi la qualité. Des études démontrent que certaines lumières, et en particulier la lumière bleue des écrans, avaient tendance à perturber notre horloge biologique.

Vit-on vraiment mieux sans lumières artificielles ?

Linda Geddes, journaliste de la BBC, s’est demandé ce qu’il se passait si nous éteignions les lumières. Est-ce réaliste ? Est-ce que cela améliorerait notre sommeil ? Y aurait-il encore d’autres avantages?

Pour ne pas trop se faciliter la tâche, elle a commencé l’expérience en hiver. Pour se faire, elle s’est fait aider par Derk-Jan Dijk et Nayantara Santhi, deux chercheurs sur le sommeil à l’Université du Surrey. Elle va réduire l’exposition à la lumière artificielle le soir et augmenter tant son exposition à la lumière naturelle en journée. Et ce qu’elle va découvrir va révolutionner ses habitudes de vie. Elle va se rendre compte que des gestes simples peuvent transformer son sommeil, ses émotions et même ses capacités cognitives.

Depuis des millénaires, les humains ont vécu de manière synchronisée avec le cycle naturel de soleil qui se partage entre lumière et obscurité. Cela ne signifie cependant pas que tout le monde s’endormait dès le coucher du soleil. Des recherches ont démontré que même dans les sociétés préindustrielles ou dans les tribus reculées, on restait à discuter avec d’autres au coin du feu. La seule différence c’est qu’ils avaient tendance à se « caler » davantage au rythme du soleil en se couchant et en se levant plus tôt. « Dans les sociétés modernes, du moins en semaine, nous ne dormons pas en harmonie avec notre horloge biologique », explique Dijk. « Nous allons dormir plus tard à cause de l’exposition à la lumière, mais nous devons tout de même nous lever tôt pour aller travailler et donc nous réveiller de force, contre l’avis de notre horloge biologique, avec un réveil. » précise-t-il encore.

Pourquoi ?

La lumière nous permet de voir, mais elle affecte aussi de nombreux autres systèmes corporels. « Outre la vision, la lumière a un puissant effet non visuel sur notre corps et notre esprit. Et c’est une chose qu’on ne doit pas oublier lorsque nous restons à l’intérieur toute la journée ou quand nous allumons les lumières jusque tard dans la nuit », explique Santhi. « La lumière met la mélatonine, notre hormone de l’obscurité qui crée la nuit biologique, en veilleuse. La lumière stimule également nos sens. C’est comme boire un double expresso. Ce n’est donc pas une bonne idée lorsqu’on souhaite dormir. Enfin la lumière stimule également les régions du cerveau qui régulent l’humeur. Il est donc important d’évoluer dans un environnement qui donne suffisamment de lumière le jour et pas trop la nuit » explique encore van Dijk.

Linda Geddes va éteindre les lumières dès 18 heures, mais passer son ordinateur en mode veille dès le coucher du soleil. Pendant la première semaine, elle essaye de maximiser son exposition à la lumière du jour en déplaçant son bureau près de la fenêtre, en sortant à l’heure du déjeuner et en essayant de faire son sport en extérieur. La deuxième semaine sera consacrée à minimiser son exposition à la lumière artificielle après 18h00, en utilisant à la place de la lumière des bougies ou un éclairage rouge sombre. Par la suite, elle va combiner les deux. Entre chaque semaine test, elle s’octroie une semaine normale. Des semaines qui vont servir de référent. Tout le long, elle porte une montre intelligente qui mesure l’exposition à la lumière, son activité et son sommeil. Elle va aussi prendre des notes où elle confie ses états d’âme et passer des tests cognitifs. L’idée est de voir si ces changements d’exposition à la lumière modifient le « timing » de l’horloge biologique. Ou autrement dit de voir si les avantages décrits dans plusieurs études se vérifiaient dans la vie réelle et donc dans des conditions variables.

La première chose qu’elle comprend rapidement, c’est qu’on n’a pas d’excuse pour ne pas sortir dehors. « Il n’y a pas de mauvais temps, il n’y a que des vêtements pas adaptés », lui dit un de ses amis. « Une fois dehors, on se rend rapidement compte qu’il fait moins moche que ce que l’on pensait et que ce n’est pas si terrible » dit-elle. Et c’est un des premiers enseignements: la nécessité de prendre l’air ou tout du moins de s’exposer à la lumière du jour. Même avec un ciel plombé par les nuages, la luminosité peut atteindre les 1000 lux. Les journées sans nuages pouvant, elles, atteindre les 100.000 lux. Assise sur son banc en hiver (l’expérience a eu lieu au mois de décembre), Linda atteint, ce jour-là, les 73.000 lux. Elle rentre dans son bureau et regarde à nouveau son appareil : à peine 120 lux. Moins que les 500 relevés juste après le coucher du soleil. Horrifiée, elle se poste à un autre bureau et se rapproche de la fenêtre. Mieux, mais tout de même pas terrible : elle atteint péniblement les 720 lux. Malgré tous ces efforts pour s’exposer davantage à la lumière naturelle – sa moyenne en journée normale était de 128 lux – Linda ne va atteindre qu’une moyenne de 397 lux entre 7:30 et 18:00 durant les jours où elle tente de s’exposer un maximum. Malgré cette faible augmentation, le corps de Linda va commencer à libérer la mélatonine environ 1,5 heure plus tôt pendant la semaine ou elle s’expose plus à la lumière du jour et deux heures plus tôt lorsqu’elle évitait la lumière du soir. De quoi montrer que même les petits efforts se révèlent payants.

Il semble que dormir avec les rideaux ouverts serait également bon pour l’endormissement, car la lumière de la nuit a une influence favorable sur l’horloge biologique. Sauf qu’en milieux urbains, il ne fait jamais vraiment noir ce qui influence à son tour le sommeil. La solution pourrait être de tout de même fermer les rideaux et d’installer une lumière qui imite le coucher du soleil.

La seconde chose, c’est que les obligations sociales perturbent l’expérience. « Les gens ont des obligations sociales et il leur est très difficile dans ces cas-là d’entendre les signes que leur envoie leur horloge biologique », explique Mariana Figueiro, directrice du Lighting Research Center à Troy, New York. « Nous combattons constamment notre physiologie. » Et lorsque Linda demande à ses amis de baisser les lumières lorsqu’elle se rend chez eux elle se sent comme une végane à un barbecue. Preuve que les changements de moeurs ne sont pas pour tout de suite. Pour contourner le problème, elle se voit donc contrainte de limiter les sorties ou d’inviter les gens chez elle pour des dîners aux chandelles.

Une bonne solution pour remettre d’aplomb son horloge naturelle serait le camping. « C’est un moyen simple de nous retirer de cet environnement d’éclairage moderne et d’avoir accès à la lumière naturelle », explique M. Wright.

L’importance de la lumière du jour

La lumière du jour joue donc un rôle essentiel. Mais quid de la lumière directe à l’intérieur ? Mauvaise nouvelle : avoir une fenêtre ou s’en approcher ne signifie pas nécessairement que vous allez avoir une bonne lumière du jour. « Si vous êtes à plus de 1 ou deux mètres de la fenêtre, vous perdez de la lumière du jour, sans parler des collègues qui tirent les stores. » explique Figueiro auteur d’une étude dans des entreprises américaines.

Cette même étude a aussi montré que ceux qui ont reçu un stimulus élevé se sont endormis plus vite et ont dormi plus longtemps. Lorsque la journaliste corrèle son sommeil avec la quantité de lumière à laquelle elle était exposée pendant la journée, un modèle intéressant a néanmoins émergé. Les jours les plus lumineux, elle s’est couchée plus tôt. Et pour chaque augmentation de 100 lux de l’exposition moyenne à la lumière du jour, elle a obtenu 10 minutes de sommeil en plus. L’étude montre aussi que la lumière du jour affecte également l’humeur. Les employés qui ont été exposés à une lumière intense au matin se sont sentis moins dépressifs. Des résultats que la journaliste a là aussi pu vérifier dans les faits. Elle se sentait significativement de meilleure humeur lors des semaines où elle s’exposait davantage à la lumière du jour. Elle avait aussi tendance à être nettement moins négative dans la soirée. Elle se sentait aussi plus alerte. S’éclairer à la bougie le soir détendait aussi significativement l’atmosphère.

Surtout le matin

L’ étude dans les entreprises américaines montre surtout que c’est la lumière naturelle du matin qui semble être particulièrement salutaire. Les employés qui étaient exposés à un fort stimulus entre 8h00 et 12h00 prenaient en moyenne 18 minutes pour s’endormir la nuit, contre 45 minutes dans le groupe de stimulation faible. Et ils ont dormi pendant 20 minutes de plus et mieux. Une idée encore renforcée par les travaux des chercheurs de la Charité Universitätsmedizin de Berlin qui mettent, eux aussi, en avant l’importance de la lumière au matin. Ils ont découvert que les effets énergisants de la lumière acquis à ce moment perduraient durant le reste de la journée et amortissaient l’effet négatif des lumières artificielles du soir sur l’horloge biologique. « Les effets de la lumière en soirée dépendent fortement de la lumière à laquelle vous avez été exposé le matin », explique en effet Dieter Kunz, qui a participé à l’étude. L’important ne serait donc pas de passer nos soirées dans l’obscurité complète ou de ne plus toucher à nos appareils high-tech en journée, mais bien d’être suffisamment de temps en contact avec la lumière naturelle en matinée. De quoi redonner toute sa saveur à la promenade matinale.

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