L'UCL (photo) et les Facultés Saint-Louis rapprochées : la résurgence d'un pilier chrétien ? © CHISTOPHE VANDERCAM/PHOTO NEWS

La résilience du pilier chrétien

Découplé officiellement d’un parti-relais, l’ensemble hétéroclite des institutions catholiques se maintient, malgré des oppositions.

L’identité catholique reste le fond de sauce de la Belgique francophone, sa base sociologique, qui l’eût cru ? Avec 5 % de pratiquants,  » Les cathos vont disparaître « , prédisait Le Vif/L’Express en avril 2007. Que nenni. En 2016, un sondage Ipsos pour l’ULB/Le Soir/ RTBF démentait cette prédiction : 63 % des Belges francophones – 40 % à Bruxelles, 68 % en Wallonie – se définissent comme catholiques. Si ce sentiment d’appartenance est découplé des performances du CDH, héritier du Parti social-chrétien (PSC), il en subsiste sans doute quelque chose à travers les multiples institutions (enseignement, mutualité, syndicat, secteur associatif…) qui forment le  » pilier chrétien « . La question de l’étiquetage n’est pas tranchée. Les scouts francophones de Belgique ont abandonné leur  » c « , mais pas les guides. Pas plus que la CSC, la Mutualité chrétienne ou le Secrétariat général de l’enseignement catholique (Segec), des poids lourds dans leur domaine, capables de lobbying, via plusieurs canaux politiques.

Malgré ses frontières floues, l’existence d’un monde catholique est une donnée qui intrigue et suscite encore de fortes mobilisations. Dans ses mémoires, l’éditorialiste du Laatste Nieuws, Luc Van der Kelen, raconte qu’au moment du scandale de pédophilie dans l’Eglise, il avait reçu un coup de téléphone d’un  » magistrat bruxellois  » lui demandant de soutenir l’  » opération Calice  » qui allait permettre d’en finir avec l’ennemi héréditaire (Koning Albert II en zijn vijf premiers, Manteau, 2013). Telle était l’ambiance de l’époque, en 2010, avec ses perquisitions spectaculaires à l’archevêché de Malines-Bruxelles. L’enquête a tourné court en raison de ses excès et de la prescription des faits.  » Le Parlement et l’Eglise se sont mis d’accord sur un centre d’arbitrage pour les victimes mineures au moment de l’abus, dont un millier ont été indemnisées à hauteur de 3,9 millions d’euros. Sa mission s’est terminée en juin dernier, à la satisfaction de tout le monde « , résume Louis-Léon Christians, professeur de droit des religions et responsable de l’Observatoire juridique du fait religieux en Belgique (UCL).

« Les communautés musulmanes n’ont pas plus envie d’être laïques que catholiques »

Sept ans plus tard, interrogé sur la possibilité d’un  » réveil catho  » en dehors d’une Eglise affaiblie par ce scandale, Etienne Michel, ancien patron du centre d’études du CDH (Cepess) et actuel directeur général du Segec, la coupole de l’enseignement catholique, se veut prudent :  » Les institutions chrétiennes n’ont pas cessé d’être vivantes. L’enseignement catholique a toujours fait des projets à partir du modèle qui est le sien et qu’une grande partie de l’opinion publique et des parents apprécient.  » Pourtant, les communiqués acides du Centre d’action laïque et l’interminable controverse sur les cours de religion, de morale laïque et de citoyenneté donnent l’impression d’une guerre de tranchées.  » Le vrai débat porte sur la laïcité que l’on souhaite promouvoir, lance Etienne Michel. Est-elle synonyme d’un vrai pluralisme ou bien se confond-elle avec le projet d’éradiquer de notre culture commune des fondements convictionnels qui sont aussi situés du côté du christianisme ?  » Malgré la sécularisation, la religion ne s’évapore pas.  » L’idée laïque de repousser le religieux dans la sphère privée est dépassée dans les faits, pose-t-il. La tradition chrétienne de l’éducation montre qu’il est pertinent de conjuguer religion et citoyenneté plutôt que de les opposer. Si on veut faire société, on ne va pas y arriver en s’appuyant seulement sur les droits de l’homme de 1948. La culture commune de nos pays, en Europe, est structurée par la rencontre historique entre la tradition chrétienne et les Lumières. On ne peut pas penser notre avenir en faisant table rase de ce passé et sans travailler sur la réactualisation de ces références.  »

Autre sujet sensible dans le domaine de l’enseignement : le rapprochement entre l’UCL et les Facultés Saint-Louis de Bruxelles. Yvon Englert, recteur de l’université concurrente, l’ULB, y a vu la résurgence d’un  » pilier chrétien « .  » Qu’il y ait des affinités historiques et de projets entre ces deux institutions libres, ce n’est pas une information. De telles affinités de projets existent aussi dans le monde socialiste « , renvoie le patron du Segec.

Les propos sont feutrés, le choc de plaques tectoniques laïques et catholiques n’en est pas moins bien réel.  » Avec la suppression d’une heure de religion dans l’enseignement officiel et son remplacement par un cours de citoyenneté, tous les ingrédients d’une guerre scolaire étaient réunis, observe le professeur Christians. Elle n’a pas éclaté parce que les deux camps sont divisés avec, au milieu de tout cela, le vrai enjeu, un islam qui risque sans cesse l’instrumentalisation. Les communautés musulmanes n’ont pas plus envie d’être laïques que catholiques. S’il n’y avait pas des milliers d’emplois à la clé, ce serait tragicomique de voir s’accumuler tant d’arguments paradoxaux et de contre-feux divers.  »

En dehors d’un positionnement identitaire et de quelques points de fixation, dont l’enseignement ou la défense des coopérateurs d’Arco (bras financier du Mouvement ouvrier chrétien en Flandre), le  » réveil catho  » laisse dubitatif le professeur de droit.  » Où est le courage des intellectuels catholiques ? provoque-t-il. Je ne parle pas des acteurs incontournables comme les Mutualités ou le Segec. Ils ont le courage de leur pouvoir. Mais, aujourd’hui, peu d’intellectuels se disent catholiques alors qu’il est devenu banal de se présenter comme libre-exaministe ou franc-maçon.  »

La question de l’identité collective est omniprésente. Les catholiques n’y échappent pas, devenus  » zombies « , l’ombre d’eux-mêmes, selon l’expression du sociologue français Emmanuel Todd.  » La société ne sait plus qui elle est, enchaîne Louis-Léon Christians. Identité et cohésion s’effacent. A-t-on oublié l’ampleur des dispositifs d’antan, qu’il s’agisse du service militaire ou des offices religieux hebdomadaires ? Quand tous les habitants d’un village ou d’un quartier se faisaient prêcher, tous ensemble, chaque dimanche, leur cohésion n’avait rien de spontané. Aujourd’hui, la diversité des valeurs appelle de nouveaux dispositifs de dialogue. Doit-on se borner à occulter la part d’échec de la sécularisation et de l’individualisation, sans construire des remèdes qui ne soient pas ceuxdes extrémistes ?  » Une certitude : l’avenir n’est pas écrit.

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