Avec la princesse Astrid en Arabie saoudite en 2014 : ne pas fâcher d'aussi bons clients. © BENOIT DOPPAGNE/Belgaimage

Y a-t-il encore une diplomatie belge ?

L’affaire saoudienne a notoirement affaibli Didier Reynders, qui jusque-là s’affichait en chef diplomate détestant les vagues.

« J’ai été induit en erreur  » : cette phrase, Didier Reynders l’a prononcée à propos de l’Arabie saoudite. Récemment ? Non, en 2012. Lors d’une mission commerciale avec la princesse Astrid, il avait posé tout sourire avec un prince saoudien condamné à dix ans de prison en France pour trafic de cocaïne. Tout en se défaussant sur ses diplomates, et sans se poser la question de sa propre imprudence, Reynders s’était déclaré  » impressionné par le militantisme  » du prince et de son frère,  » en contact direct par satellite avec l’opposition syrienne « . La guerre en Syrie venait de commencer.

Cinq ans plus tard, et toujours à propos de l’Arabie saoudite, le ministre se voit à nouveau forcé de faire amende honorable. En cause : le feu vert de la Belgique en faveur de l’adhésion de cet Etat rétrograde à la commission des Nations unies censée promouvoir la condition des femmes. Doublé par Charles Michel qui a parlé d' » erreur  » sur fond d’un malheureux concours de circonstances. Didier Reynders a présenté ses excuses, tout en prétendant n’avoir pas été informé du vote en préparation. Or, un courriel interne qu’il a signé prouve que le ministre était au courant, ou était censé l’être.

Benoit Hellings (Ecolo):
Benoit Hellings (Ecolo):  » Nous avons salué son attitude sur le Congo. « © Christophe Licoppe/Photo News

Négligence ou aveuglement ?  » C’est quand Reynders est le dos au mur qu’il réagit, mais c’est souvent trop tard « , observe le député Georges Dallemagne (CDH), qui rappelle que le Parlement a voté en 2015 une résolution appelant à revoir nos relations avec le royaume saoudien, à cause notamment de son rôle dans la propagation du salafisme.  » Mais Reynders n’en a rien fait, pas le moindre mot, rien.  » Son axe ? Se faire le moins d’ennemis possibles. Surtout s’ils sont des alliés stratégiques des Occidentaux, doublés d’excellents clients.  » Sa façon d’éviter les difficultés pour rester en bons termes avec tous ne fait pas avancer les dossiers « , reproche Dallemagne.

Au début des années 2000, c’était Louis Michel qui dirigeait la diplomatie belge, et de façon bien plus volontariste. Notre politique étrangère n’était pas encore calfeutrée sous le parapluie européen.  » Louis Michel voulait faire avancer les grands principes comme la compétence universelle et, de là, faire rayonner la Belgique. Avec Reynders, c’est le pragmatisme et la diplomatie économique qui dominent « , compare le député Benoit Hellings (Ecolo). Lors d’une mission commerciale à Abu Dhabi, fin mars 2016, le ministre avait tracé un parallèle entre  » le climat de coopération et de confiance créé par les contacts d’affaires  » et les progrès en matière de droits de l’homme.  » Reynders évoque les droits humains avec tous ses interlocuteurs, c’est vrai, mais s’il pense que les missions commerciales peuvent les faire évoluer, il se trompe « , analyse l’écolo.

Alliances toxiques

Georges Dallemagne (CDH):
Georges Dallemagne (CDH):  » Rester en bons termes avec tous ne fait pas avancer les dossiers. « © JEAN-MARC QUINET/reporters

Ce fut manifeste avec la Turquie, invitée d’honneur du festival Europalia en 2015. Le commissaire général n’était autre que Luc Bertrand, à l’époque président du comité exécutif d’Ackermans et van Haaren, groupe spécialisé dans le dragage des ports. Celui-ci s’était félicité de l' » intensité des échanges  » entre les deux pays. 2015, c’était aussi l’année de la commémoration du 100e anniversaire du génocide arménien. Le ministre s’était aligné sur la ligne turque, évitant par exemple de se rendre à Erevan pour la commémoration des massacres. Une résolution à ce sujet avait été finalement votée au Parlement belge, mais qui disculpe la Turquie… Quand, deux ans plus tard, Erdogan s’est mis à traiter les dirigeants allemands et néerlandais de nazis et de fascistes, l’élu MR s’est contenté d’appeler Ankara à  » éviter les propos outranciers et insultants « .

Prisonnière d’alliances toxiques, la Belgique s’est retrouvée dans le même camp que la Turquie et l’Arabie saoudite, pays liberticides, pour réclamer… la démocratie en Syrie, et soutenir la rébellion. Six ans plus tard, Reynders campe sur une ligne  » ni Bachar ni Daech « , qui cache difficilement la mise hors jeu de la politique européenne pour mettre fin au conflit. Si nos F-16 participent à la coalition contre Daech,  » la Belgique n’est nulle part dans le screening des activités commerciales belges en Syrie « , pointe Benoit Hellings, qui évoque le cas d’une cimenterie du groupe français Lafarge qui faisait du business avec les djihadistes.  » Le SPF Economie n’a même pas de liste d’entreprises belges qui étaient actives dans ce pays. Or, il faut veiller à ce qu’elles ne contribuent ni directement ni indirectement au fonctionnement du terrorisme.  »

Sur le Burundi, il prétend que notre pays a été pionnier alors qu’il n’a fait que suivre le train

Poids lourd au niveau européen, Didier Reynders peut se prévaloir d’un réseau sans pareil. Il côtoie avec la même aisance le chef de la diplomatie russe Sergueï Lavrov et le président des îles Fidji, où il a passé le réveillon,  » une visite très importante pour notre candidature au Conseil de sécurité de l’ONU « . Mais c’est sur d’autres dossiers que le volontarisme belge est attendu. Sur le Burundi, par exemple.  » Il a tardé à se prononcer contre le troisième mandat du président Nkurunziza, et il a attendu que l’Union européenne sorte une déclaration critique pour lui emboîter le pas, déplore le politologue Emmanuel Klimis (université Saint-Louis). Il prétend que notre pays a été pionnier alors qu’il n’a fait que suivre le train.  »

Le Congo reste le seul pays où l’expertise belge est réellement écoutée. En avril dernier, Reynders avait critiqué la nomination au poste de Premier ministre de Bruno Tshibala, un transfuge de l’opposition. Kinshasa a parlé d’un communiqué  » désobligeant  » et a décidé de suspendre sa coopération militaire avec la Belgique.  » Au Parlement, la majorité et l’opposition ont été unanimes pour saluer l’attitude de Reynders « , reconnaît Benoit Hellings. Quant à Israël, l’absence de consensus européen  » empêche souvent la Belgique de prendre des décisions plus courageuses « , note un diplomate. Si le ministre condamne ouvertement la politique israélienne de colonisation, on est encore loin d’une reconnaissance de la Palestine.

A son manque d’audace, Reynders peut opposer d’autres qualités :  » C’est le ministre le plus intelligent que j’ai côtoyé jusqu’à présent, déclare Benoit Hellings. Il est brillant, même quand il n’est pas préparé, avec un remarquable sens de la formule.  » Son esprit de synthèse, sa modernisation du département et son cadrage des instructions plaisent aux diplomates. Le négociateur de l’ONU sur la Syrie Staffan de Mistura ne tarit pas d’éloges sur le sens politique de Reynders. La médiation de conflits, voilà qui plaît bien au ministre. Le jour de la Saint-Valentin, il organisait une grande conférence sur le sujet au palais d’Egmont. Face à ce monde qui joue avec des allumettes, la diplomatie belge aurait-elle enfin retrouvé une piste où marquer sa plus-value ?

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