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Tunisie : dur, dur, la démocratie

La moitié des électeurs se sont inscrits sur les listes. A deux mois du premier scrutin libre, la plupart ne savent pas pour qui voter. Et se méfient des politiciens, nouveaux ou anciens.

Invités à s’inscrire sur les listes électorales avant le 14 août en vue de l’élection de l’Assemblée constituante du 23 octobre, les Tunisiens ne se sont pas bousculés au portillon. Seuls 3,7 millions des 7, 5 millions d’électeurs potentiels ont effectué cette démarche, soit environ 1 sur 2. Du coup, l’Instance supérieure indépendante pour les élections, chargée d’orchestrer l’ensemble du processus électoral, a dû se résoudre à compléter ses listes en utilisant celles constituées par l’ancien régime.

Pourquoi ce premier scrutin libre ne suscite-t-il pas davantage d’ardeur républicaine ? La torpeur estivale et la communication parfois défaillante des organisateurs n’expliquent pas tout. « On demande aux gens de s’inscrire alors qu’ils ne connaissent pas encore les candidats. Du coup, pour beaucoup d’entre eux, l’élection reste virtuelle », analyse Sofiene Belhaj, l’un des facebookers de la révolution, devenu membre de la Haute Instance, l’assemblée qui pilote la transition.

Des figures de l’ancien régime soupçonnées d’agir en coulisse

Autre facteur : l’émiettement de la classe politique. Plus de 100 partis ont aujourd’hui pignon sur rue. Quelques-uns s’efforçaient déjà du temps de la dictature de faire entendre leur différence. Mais la plupart d’entre eux se sont constitués au lendemain de la révolution. « Confrontés à cette offre pléthorique, les Tunisiens n’arrivent pas à faire leur choix », souligne Mounir Kchaou, professeur de sciences politiques à l’université de Tunis. Beaucoup d’électeurs et d’observateurs soupçonnent aussi quelques figures de l’ancien régime de parrainer en coulisse une partie de ces groupusculesà Chez les plus jeunes, assoiffés de changement, la défiance s’étend aux partis plus anciens. « Cela fait presque trente ans qu’ils font partie du paysage, en votant pour eux j’aurais l’impression de voter pour l’ancien régime ! » confie Sonia Zid, une étudiante de 24 ans, qui a choisi de s’abstenir. Le climat de précampagne n’arrange pas les choses. Les querelles de personnes, les chamailleries au sein de la Haute Instance, censée fixer les règles du jeu, les surenchères de certains partis, prompts à s’ériger en gardiens de la révolution dès qu’ils sont mis en minorité, brouillent le message. A en croire les sondages, 2 Tunisiens sur 3 ne savent pas pour qui ils iront voter en octobre.

La désillusion concerne aussi le gouvernement de transition, dont le capital de confiance s’est émoussé au fil des mois. En cause, l’insécurité et le chômage, mais aussi le fonctionnement de l’appareil judiciaire, loin de répondre aux attentes d’une opinion qui ne veut plus de l’impunité. « Les autorités manquent de détermination pour entamer les poursuites, la justice ne punit pas comme elle le devrait, les procès n’abordent pas les questions de fond. Tout cela contribue à alimenter un climat de défiance », analyse Mustapha ben Jaafar, secrétaire général du Forum démocratique pour le travail et les libertés et vieux militant de la démocratie. « Beaucoup de gens sont dégoûtés à cause de la corruption, qui est toujours là, et du fonctionnement de la justice, qui n’a pas changé même si quelques juges ont été mutés », renchérit Sofiene, l’internaute. De l’issue du scrutin dépendront pourtant les choix institutionnels du pays. D’abord peu motivée pour s’inscrire sur les listes, Hana Malek, une jeune comptable de 27 ans, a décidé de franchir le pas. « Certains disent que ce sont les islamistes qui vont l’emporter. Cela m’a réveillée. Pour la première fois de ma vie, j’irai voter. Pour leur barrer la route. »

DOMINIQUE LAGARDE AVEC SIHEM HASSAINI À TUNIS

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