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Syrie: pourquoi la crise s’étend

Le Conseil de sécurité de l’ONU s’est saisi de la crise syrienne. Sur place, la résistance s’intensifie, en même temps que grandit la répression. Qui sont les opposants? Qui soutient encore Bachar el-Assad? Quelles répercussions sur la région? LeVif.be fait le point.

Quels sont les points communs avec les autres pays touchés par les révoltes arabes ?

D’abord, l’autoritarisme du régime: la Syrie dirigée par le clan Bachar el-Assad esu aussi autoritaire que l’étaient la Libye de Kadhafi et la Tunisie de Ben Ali. La loi d’exception y est restée en vigueur sans discontinuer jusqu’en avril dernier, et sa levée n’a rien changé aux pratiques du régime qui peut se permettre « d’emprisonner, de torturer, voire de faire disparaître ses opposants sans aucune véritable contrainte légale », comme l’explique à LeVif François Burgat, politologue, qui a longtemps vécu à Damas. La liberté d’expression y est aussi totalement absente. Les autorités prétendent certes gouverner « au nom d’une légitimité populaire et révolutionnaire », mais elles ne rendent en fait de compte « devant aucune instance populaire, électorale ou juridictionnelle », ajoute le chercheur.

Il s’agit bien d’un régime policier: « au-dessus des appareils gouvernementaux et parlementaires et la fiction de la représentation populaire », c’est un dispositif policier qui prévaut, avec ses structures para-institutionnelles et une culture propre de l’impunité », complète François Burgat qui compare l’appareil d’Etat syrien à celui qui règne en Algérie. Il rappelle que « cinq appareils policiers parfois concurrents, mais le plus souvent complémentaires constituent le véritable socle du pouvoir ». Le redoutable quadrillage policier de la société syrienne explique sans doute en partie la plus faible mobilisation dans les villes de Damas et d’Alep. Autre point commun avec la Tunisie de Ben Ali et l’Egypte de Moubarak, la corruption et le clientélisme: une minorité de proches du pouvoir détourne une bonne part des richesses nationales.

Le régime dispose-t-il encore de soutiens?

Oui. Il s’appuie sur les minorités religieuses (alaouites, chrétiens principalement, mais aussi les druzes). Celles-ci « ont toujours été réservées face à la majorité démographique que représentent les sunnites », souligne François Burgat. Et le régime, « à grand renfort de désinformation et, souvent, de manipulations, est parvenu à conforter et à exploiter assez habilement ces craintes ».
La communauté alaouite (10 % de la population) est la plus inquiète, dans la mesure où la charpente de l’appareil sécuritaire, honni de la population, en est issu: « les membres de cette communauté ont effectivement plus lieu de craindre des formes de représailles, notamment des membres de la communauté sunnite, statistiquement plus touchés par la répression », observe le chercheur. Autre point d’appui, la bourgeoisie commerçante sunnite « que le régime avait réussi à se concilier, notamment en l’associant aux profits de l’ouverture économique, au milieu des années 2000 ». Mais la détérioration de l’économie « pourrait amener ce groupe à se désolidariser du régime ».

Les tensions communautaires comportent-elles un risque d’aboutir à une guerre civile?

Le régime de Bachar el-Assad s’est « autoproclamé unique garant de l’unité nationale », mais en réalité, la coexistence communautaire actuelle est autant le fruit de l’autoritarisme du régime que de ses proclamations d’attachement à la laïcité » , souligne François Burgat. Il tente logiquement de présenter les violences en cours « comme un affrontement entre ‘laïcs’ (musulmans ou chrétiens) et opposants ‘radicaux islamistes’ issus de la communauté sunnite ». Pourtant, les opposants proviennent de toutes les communautés. « Les manifestants veillent systématiquement à user des mots d’ordre qui dépassent les divisions sectaires (‘le peuple syrien est un, un, un!’) » ajoute le chercheur, précisant qu’il existe en fait des postures fondamentalistes dans tous les camps, et que « les chrétiens (8% de la population) ne sont pas en reste dans ce domaine ». Mais la violence toujours plus extrême du régime, qui a entraîné une militarisation d’une partie de l’opposition, permet au régime de « rejeter toute distinction entre manifestants et ‘terroristes’, selon Peter Harling de l’International Crisis group, interrogé par RFI. Et la survie du régime se traduit, selon lui, par l’érosion des institutions étatiques, l’apparition d’une culture milicienne (…) et l’expansion de la criminalité ».

Quel est le poids des islamistes chez les opposants?

Comme les autres régimes autoritaires, voire plus, le régime syrien a empêché « l’émergence d’un leadership alternatif » ce qui explique que l’opposition syrienne soit encore peu assez structurée. « Sur le terrain en revanche, les comités de coordination sont remarquablement efficaces en matière d’entraide médicale, sociale et financière », remarque François Burgat. Pour ce qui est des islamistes, il faut rappeler que les Frères musulmans, interdits à partir de l’arrivée au pouvoir du parti Baas en 1963 sont restés présents et actifs dans une semi-clandestinité. Mais à partir de 1980, le gouvernement syrien a promulgué une loi prévoyant la peine de mort pour toute personne appartenant à cette organisation. « Depuis cette date, les Frères musulmans n’ont pas de réelle présence organisationnelle en Syrie », explique, dans la revue Diplomatie, Thomas Pierret, auteur de Baas et Islam en Syrie. Ils sont néanmoins actifs dans la diaspora et dans les organisations de l’opposition en exil. Selon Thomas Pierret, il n’y a pas actuellement de groupes djihadistes structurés en Syrie. Mais à mesure que la violence du régime augmente et que le chaos s’accroît, il y a un risque certain de voir apparaître, à l’instar de l’Irak en 2004-2005, des volontaires djihadistes étrangers, comme le relève Peter Harling.

En quoi la diplomatie syrienne apportait-elle à Bachar-el-Assad, jusqu’à présent une légitimité régionale?

Le président Bachar el-Assad a eu sur la scène du conflit israélo-arabe une position et des alliances (Hezbollah, Hamas, Iran) plus populaires, dans la « rue arabe » que celles qu’avaient les régimes égyptien et tunisien, considérés comme inféodés à l’Occident. « Damas joue aussi sur le fait que le soutien apporté par les pays occidentaux à la démocratie syrienne a lieu au nom d’une poussée humaniste aussi soudaine qu’elle est sélective », fait remarquer François Burgat.

Par ailleurs, depuis la fin des années 1990, la Syrie a accueilli la direction des principales factions palestiniennes. En outre, « près d’un demi-million de réfugiés palestiniens sont présents en Syrie » où ils bénéficient de droits sociaux bien supérieurs à ceux dont ils jouissent au Liban, explique le chercheur Nicolas Dot-Pouillard dans la revue Diplomatie. Cette donne entraîne d’ailleurs les Palestiniens à une certaine prudence. Ils tentent de ne pas « s’aliéner le régime en évitant de prendre langue avec l’opposition, sans pour autant apparaître comme un des soutiens structuraux de Bachar el-Assad ». Ils tirent aussi peut-être la leçon de l’expulsion des Palestiniens du Koweït en 1991, après le soutien de l’OLP à Saddam Hussein et des années de guerre civile libanaise où l’OLP s’était vue noyée dans le conflit interlibanais, complète le chercheur.

Toutefois, le départ de Damas d’une partie de la direction du Hamas ces dernières semaines illustre peut-être une prise de distance accélérée de ce mouvement vis-à-vis de la politique répressive du régime de Bachar el-Assad.

Comment expliquer la position de la Russie et de la Chine ?

La Russie ne cesse de réaffirmer son opposition à une résolution qui appellerait au départ de Bachar el-Assad. L’une des raisons de cette opposition provient du précédent libyen: « La Russie et la Chine qui avaient soutenus la création d’une ‘no fly zone’ ont été agacés de voir que l’Otan avait fait de l’objectif de protection des civils une interprétation extrêmement large », analyse François Burgat. Il y a sans doute aussi « une certaine posture populiste de Vladimir Poutine qui fait face à l’Occident dans un scénario qui rappelle la guerre froide », estime Peter Harling. Et les Russes ont peur des « apprentis sorciers occidentaux » qui, dans une région extrêmement instable, font un forcing au même moment sur les dossiers syrien, iranien et libanais, ajoute le chercheur. Or, « la régionalisation insidieuse du conflit enclenche une dynamique dangereuse en soi. Elle ouvrirait la porte à une implication croissante de l’Iran et du Hezbollah, dont le soutien au régime est resté jusqu’à ce jour bien en deçà de leurs capacités », avertit Peter Harling dans une tribune publiée dans Le Figaro.

… et celles des voisins arabes et de la Turquie?

Il faut souligner la position très ambiguë de l’Arabie saoudite qui, après avoir aidé à écraser les contestataires de Bahreïn au printemps dernier, soutient la révolte en Syrie: elle cherche surtout à « affaiblir un régime identifié avant tout par ses alliances régionales avec Téhéran ou le Hezbollah », observe François Burgat. Côté turc, depuis 2009, les relations d’Ankara avec Damas étaient au beau fixe. On peut voir deux raisons dans le changement d’attitude du gouvernement Erdogan à partir du printemps 2011: tout d’abord, « les élites au pouvoir ont elles-même mené un long combat contre un régime militaire qui masquait sa politique de répression et de manipulation sous un même étendard de ‘défense de la laïcité’; et par ailleurs, l’AKP au pouvoir « ne veut pas compromettre la spectaculaire percée de sa diplomatie dans le monde arabe », à l’heure ou les partis islamistes qui ont le vent en poupe se réclament de son modèle.

Quelles sont les perspectives pour les suites de cette crise?

Parmi les scénarios envisageables, on peut imaginer « un ravalement de façade à l’Egyptienne, que pourraient opérer des officiers de haut rang de toutes confessions, qui présideraient à une période de transition vers un régime pluraliste », estime François Burgat qui souligne que « c’est aujourd’hui la dynamique des défections des membres de l’armée régulière qui est en passe de devenir décisive sur le terrain ». « La question du désarmement des milices et le rééquilibrage du pouvoir entre les Alaouites et le reste de la population, seront les parmi les questions plus délicates à régler » complète-t-il. Peter Harling prône quant-à lui une résolution onusienne excluant toute option militaire, qui appellerait toutes les parties à un cessez-le-feu et stipulant le déploiement d’observateurs arabes, occidentaux, russes et chinois.

Catherine Gouëset

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