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Syrie: 6 questions sur l’attitude de la communauté internationale

Le Vif

Pourquoi la situation est-elle bloquée en Syrie? Quel rôle jouent les Pays occidentaux et l’Arabie saoudite dans cet imbroglio? Peut-on espérer une inflexion de la position russe? LeVif.be a interrogé Thomas Pierret et Peter Harling, spécialistes de la Syrie, alors que se tient à Rome une conférence internationale des « Amis de la Syrie ».

Où en est la position des pays occidentaux?

Depuis le début de la crise, les pays occidentaux tergiversent face à la situation en Syrie. Thomas Pierret, maître de conférences en Islam contemporain à l’Université d’Édimbourg, y voit « un mélange d’erreur d’analyse et un moyen de masquer leur impuissance. Certains occidentaux continuent d’envisager le régime syrien comme si c’était un régime normal, alors qu’il ne s’agit plus aujourd’hui que d’une milice confessionnelle surarmée ». Ils pensent encore qu’il est possible d’infléchir la Russie, soutien indéfectible du régime syrien, ajoute le chercheur. Impression confirmée par les déclarations de François Hollande à Moscou ce jeudi: la France et la Russie ont « progressé » sur le dossier syrien et partagent « le même objectif », un dialogue politique en vue de mettre fin au conflit.

Pour les Américains, « le conflit syrien n’est pas considéré comme suffisamment préoccupant ni prioritaire » pour justifier une intervention qui s’avérerait donc inutilement coûteuse, explique Thomas Pierret. L’Europe est sans doute plus consciente du péril que fait peser la crise syrienne sur la région, mais elle est impuissante et elle « camoufle cette impuissance derrière le processus diplomatique ».

Quelle aide à l’opposition syrienne?

Les Etats-Unis viennent de promettre, à Rome, qu’ils apporteraient 60 millions de dollars au Conseil suprême militaire syrien qui chapeaute les rebelles de l’Armée syrienne libre sous forme d’aide non létale et d’aide médicale ainsi qu’en nourriture. Ce qui représente une somme assez modeste. Les Etats-Unis ont également débloqué au total depuis près de deux ans 385 millions de dollars d’aide humanitaire pour les déplacés syriens dans leur pays et les réfugiés dans les pays frontaliers, via les agences internationales et l’ONU.
Ils n’ont cependant pas réussi à empêcher certaines livraisons d’armes par leurs alliés récemment, en provenance notamment d’ex-Yougoslavie. Alors que Barack Obama s’est opposé à la livraison d’armes aux rebelles syriens, la position plus souple de l’axe franco-britannique a vraisemblablement permis aux Saoudiens et aux Qataris de financer ces cargaisons. Ces dernières restent toutefois très insuffisantes pour inverser le rapport de force, toujours très favorable à Bachar el-Assad, approvisionné en armes par la Russie. Les rebelles manquent notamment de moyens anti-aériens.

Quelle est la position de l’Arabie saoudite?

L’aide militaire saoudienne est surtout livrée, selon Thomas Pierret, à des groupes d’anciens militaires déserteurs, comme le Conseil militaire révolutionnaire, dirigé par le colonel Abdel Jabbar al-Oqaidi, à Alep. Contrairement à une idée répandue, « c’est moins aux groupes djihadistes tel Jabhat al-Nusra qu’à ces groupes de militaires qui ont fait défection au cours ces deux dernières années que l’Arabie saoudite apporte son aide. Ce sont eux que les Saoudiens rêvent de voir prendre le pouvoir », estime Thomas Pierret.

Le dialogue inter-Syrien est-il possible?

Les offres de dialogue semblent vouées à l’échec pour la plupart des observateurs. « Le régime a offert de dialoguer tout en définissant un cadre de négociation qui réduit tout accord de l’opposition à une capitulation, explique Peter Harling, de l’International Crisis Group. Les adversaires du régime en concluent qu’ils doivent faire davantage pour changer le rapport de force sur le terrain pour parvenir à un processus politique plus crédible. Ce qui a changé, c’est beaucoup et peu à la fois: l’objectif est d’enclencher des négociations sérieuses menant à la chute du régime, au lieu de simplement attendre que celui-ci ne tombe comme un fruit mur », complète le chercheur.

Comment expliquer l’offre de Moaz el Khatib, chef de l’opposition?

Le chef de la Coalition nationale syrienne sait que le régime ne négociera pas son suicide. Mais « il n’était pas en mesure de résister aux pressions diplomatiques des grandes puissances », juge Thomas Pierret. Il l’a fait aussi pour des raisons intérieures. Il s’agit de savoir qui, dans l’opposition, remporte le soutien de la rue: « faucons » du Conseil National Syrien ou les « colombes » comme Moaz al-Khatib. En l’occurrence, « la proposition de ce dernier a été bien reçue par une grande partie de la population, qui est si désespérée de la situation sur le terrain, qu’elle est prête à s’accrocher à l’illusion d’une négociation, même si celle-ci n’est pas réaliste », explique Thomas Pierret.

Pour lui, le dialogue n’a aucune chance d’aboutir et n’est même pas le signe, comme certains aimeraient le croire, que le régime est aux abois. Par le passé, et avant cette crise, rappelle-t-il, le régime a plusieurs fois lancé des propositions de dialogue avec l’opposition alors interdite, n’aboutissant à chaque fois qu’à diviser les opposants entre ceux qui acceptent de négocier et les autres, tout en faisant l’économie d’offrir une quelconque avancée en matière de droits.

Peut-on espérer une évolution de la Russie?

« Les Russes n’ont jamais envisagé sérieusement la négociation. Ils ont d’abord cru que le régime de Bachar el-Assad règlerait le problème comme eux l’ont fait en Tchétchénie: en écrasant la rébellion sous les bombes », explique Thomas Pierret. Le résultat est en deçà de leurs espérances, même s’ils s’emploient avec détermination à bombarder le pays. La situation a tellement dégénéré que le régime ne pourra pas reprendre le dessus. « Il est désormais trop tard pour un ravalement du régime qui permettrait à Moscou de sauvegarder ses intérêts en Syrie. Quelles que soient les forces qui prendront le pouvoir dans l’après-Bachar, elles seront anti-russes, estime le chercheur. Moscou a donc tout intérêt à la poursuite du conflit. Cela lui permet de voir John Kerry ou François Hollande venir mendier un soutien ou une plus grande neutralité.

« Malgré les hésitations occidentales, les Russes n’ont donné aucun signe tangible de vouloir exercer des pressions sur Damas, précise Peter Harling. Ils veulent à tout prix que les parties se rencontrent, de préférence sous leurs auspices, de façon à jouer un rôle de médiateur entre un régime dont ils ne veulent pas la chute et une opposition qui, selon eux, doit tout simplement se rendre à la raison. Si les Occidentaux s’engagent davantage, les Russes seront simplement plus à l’aise pour les accuser de tous les maux. »

Par Catherine Gouëset

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