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Russie : pourquoi Poutine a-t-il encore gagné ?

Vladimir Poutine a gagné l’élection présidentielle dès le premier tour, ce dimanche. Certes, mais les Russes font de moins en moins confiance à ce leader qui les empêche de changer de siècle. Chronique.

Voici donc le troisième mandat présidentiel de Vladimir Vladimirovitch Poutine; d’une durée de six ans, cette fois, grâce à une réforme ad hoc de la Constitution. Si ce n’est pas une surprise, malgré près de 64% des suffrages obtenus dès le premier tour, est-ce pour autant une vraie victoire? Rien n’est moins sûr. Car la longévité au pouvoir de cet homme lisse fait précisément de lui une figure du passé, un leader qui empêche son pays de changer de siècle.

Quand ce ne sont pas les manifestations de rue qui montrent, à Moscou, la persévérance des contestataires, c’est l’actualité internationale qui offre, en Syrie, le spectacle révoltant d’un régime sanguinaire soutenu à bout de bras par Poutine. Abrité dans la caricature, auto-entretenue, du « tough guy », le froid dirigeant russe a usé de toutes les combines pour s’octroyer, coûte que coûte, un triomphe électoral dont il avait grand besoin pour effacer une impopularité qui gagne les classes moyennes. Et c’est logiquement les yeux baignés de larmes, comme miraculé, qu’il est apparu à ses partisans, après l’annonce des résultats, sur la Place du Manège.

Pourquoi a-t-il encore gagné alors que son bilan engendre un mécontentement croissant? Certains s’engouffreront dans le piège: le maître du Kremlin jouirait de la ferveur des couches populaires, sensibles à ce chef qui tient la dragée haute à l’Occident, qui dénonce les complots imaginaires ourdis contre la nation, qui vit comme un vrai Russe, qui se montre fidèle à sa patrie, à Dieu, à sa femme, et qui n’est jamais ivre…

Poutine, obligé et maître d’un système bien ancré

Mais il y a une autre explication, un peu plus sérieuse. Ce qui s’est produit le 4 mars ressemble à une élection, mais n’en est pas une. Il s’agit bien davantage d’un emballage électoral que d’un scrutin libre. Dans une logique implacable, Poutine a modelé les lois pour empêcher l’émergence de tout candidat crédible; c’est si vrai que ses challengers sont devenus des professionnels de la défaite, comme s’ils étaient les associés indispensables de sa victoire. En l’absence de toute alternative digne de foi, Vladimir Vladimirovitch apparaît évidemment préférable.

Quant au charisme, il n’en a guère besoin. Il dispose d’un système pyramidal qui contrôle tout et dont il est lui-même à la fois l’obligé et le maître. En Russie, la corruption n’est pas un mal corollaire au pouvoir, elle est le pouvoir. C’est pourquoi la moindre tentative de réforme contient un risque d’explosion du système. Pour tenir et garder les rênes du pays, les castes imbriquées – politiciens, oligarques, responsables de la sécurité, militaires – se tiennent la main dans une distribution des rôles et des bénéfices qui n’a plus rien à voir avec un pays qui s’ouvre inexorablement aux influences étrangères, qui dispose d’un taux de pénétration à Internet de 50% (70% à Moscou), qui exige un Etat et une justice qui soient les mêmes pour tous.

Dmitri Medvedev, l’ex-président, avait pour tâche de canaliser cette pulsion de modernité en usant de gadgets, jusqu’à devenir lui-même un accessoire; or les nouveaux Russes n’acceptent plus d’être enfermés dans un jeu de dupes. L’exigence de nouveaux droits ne relève pas du rêve politique; elle est la rançon des injustices, des malversations et des dérives de la concussion subies quotidiennement par des citoyens. L’impopularité de Poutine est une réalité parmi les retraités, les catégories défavorisées de la population, mais aussi les forces de police, les militaires, et au sein des couches les moins cosmopolites du peuple: selon de récents sondages, 40% des Russes ne lui font plus confiance.

Le tsar du pétrole et du gaz a peut-être réalisé son dernier exploit en se faisant élire dès le premier tour. Il a vidé ses tiroirs en recourant à toute la collection d’artifices empruntée au passé le plus manipulateur. Son mandat sera rude; rien ne dit qu’il se passera bien.

Christian Makarian

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