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Poutine se « berlusconise »-t-il ?

L’élection présidentielle a lieu dimanche en Russie. Pas de suspense, Vladimir Poutine va revenir au Kremlin. Erotisation, chirurgie esthétique, soupçons de corruption… Il fait de plus en plus penser à son ami Silvio Berlusconi. Ce qui les rapproche, et ce qui les sépare.

« Donc nous serons Premier ministre jusqu’à 120 ans? », plaisantait Vladimir Poutine en recevant son ami Silvio Berlusconi en septembre 2010. La réponse est non. Le Cavaliere a finalement été désarçonné par la crise économique. Quant au leader russe, ce poste ne lui suffit plus: il espère retrouver la présidence de la Fédération de Russie dès le premier tour de l’élection prévue ce dimanche 4 mars. Amis unis par le même rêve d’immortalité politique, voyons ce qui rapproche ou distingue ces deux hommes.

Une campagne érotisée

« Ce sera par amour et sans tricherie », répond une diseuse de bonne aventure à une jeune femme russe, stressée par sa « première fois ». Le destin se manifeste par les cartes et le portrait de Poutine sort. « C’est lui! », s’exclame la jolie blonde, comblée de perdre sa virginité (politique) avec le Premier ministre.

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Ce spot électoral répond à l’opposition qui dénonce les résultats entachés de fraudes des élections en décembre dernier. Mais, surtout, il poursuit le travail d’érotisation de la campagne électorale de Poutine, déjà entamé lors des législatives, rappelle Le Monde. Une autre vidéo associait alors le fait de voter avec l’acte sexuel, en montrant un jeune couple très impatient d’entrer dans l’isoloir et de « le faire ensemble ».

Associer la politique au sexe, Berlusconi le fait aussi, mais différemment. Pas pour conquérir le pouvoir, mais plutôt pour l’exercer. Ses soirées bunga bunga et son folklore particulier ne sont plus un secret, par exemple. Dans l’une des affaires à laquelle il est mêlé, d’ailleurs, est apparu le fameux « lit de Poutine », un cadeau offert par le Premier ministre russe à son ami italien. Berlusconi s’en est amusé jusqu’à ce que la justice s’intéresse de trop près à ces histoires, notamment à celle de Ruby, une mineure.
Les femmes

La nouvelle armée de Poutine est féminine. Il s’appuie toujours sur les Nashis (jeunesses poutiniennes) masculins et musclés, qui mobilisent les troupes pro-Poutine sur Internet. Mais ce sont bien des femmes qui sont mises en scène dans d’autres vidéos, pour lui chanter un bon anniversaire. Ou pour lui offrir leur coeur pour la Saint Valentin, littéralement. Souvenez-vous aussi de ce groupe de jeunes femmes qui chantaient: « Je veux un homme comme Poutine, plein de force et qui ne boit pas ». On pense aux jeunes femmes que Berlusconi a fait passer du statut de starlettes de télévision à celui de candidate de son parti… ou de ministre.
Quand on en vient au domaine privé, cependant, Poutine se distingue de Berlusconi. Si celui-ci joue des informations lui prêtant telle ou telle relation, rebondissant d’un nauséabond « mieux vaut aimer les belles femmes qu’être gay », Poutine choisit une autre stratégie. Le contrôle et la menace. Quand un journal moscovite assure en 2008 qu’il a divorcé pour épouser une gymnaste d’une vingtaine d’années, il « mime un tir de mitraillette en direction du journaliste russe. Tout un symbole… », raconte Slate. L’épouse de Poutine est réapparue à son bras fin 2011 après deux ans et demi d’absence face aux caméras, comme pour couper court aux rumeurs avant la reconquête de la présidence.

Le culte du corps

Avec Berlusconi, « on a affaire à la manifestation d’un narcissisme débordant » et l’objectif du photographe devient « un miroir lui permettant de se contempler », écrit le chroniqueur Marco Belpoliti, dans son essai sur Berlusconi, le corps du chef (ed. Lignes). Le corps de Poutine, lui, n’en est peut-être pas encore là. Mais « l’homme sans visage », si l’on reprend le titre d’une récente biographie non autorisée signée Masha Gessen (ed. Fayard), sait jouer des muscles quand il le faut pour incarner une sorte de super héros conquérant et protecteur, l’homme qu’il faut pour assurer la stabilité d’un pays rude comme la Russie.
La chirurgie esthétique ou qu’est-il arrivé au visage de Poutine?
Poutine utilise-t-il du Botox? En décembre dernier, lors d’une émission télévisée de questions-réponses, c’est LA question qui brûlait les doigts des internautes russes présents sur Twitter. Le hashtag (en cyrillique) qui dominait alors n’était pas #poutine ou #russie, mais #botox, souligne le Guardian. Front lisse, difficultés à sourire, pattes d’oie gommées… Tous les symptômes sont là.
Mais il est loin d’avoir battu Berlusconi sur son propre terrain, celui de la chirurgie esthétique qui a fini par figer complètement le visage du Cavaliere. Selon Umberto Eco, par « la transformation progressive de ses traits naturels, la transplantation capillaire » ou encore les liftings, Berlusconi cherche à « livrer une image minéralisée qui se voudrait sans âge ». Non, vraiment, l’élève n’a pas (encore) dépassé le maître.

L’unité de la patrie

Quand Poutine promet la « victoire » à ses partisans le 23 février, « jour des défenseurs de la patrie », ce n’est pas un hasard. Et quand ses supporters parlent de lui, ils voient en lui le chef qui assure la stabilité du pays, en dehors duquel il n’y a point de salut. « Qui d’autre? », s’interrogent-ils, face à l’opposition, dont aucun leader naturel et rassembleur n’émerge. Le parti de Poutine, Russie Unie, se rassemble derrière lui et certainement pas derrière un Dmitri Medvedev qui n’a jamais su s’imposer en quatre ans de présidence. D’intérim plutôt.
Avant sa chute en 2011, la même ligne se retrouvait chez les pro-Berlusconi. « Berlusconi incarne l’unité italienne », résumait Marc Lazar, spécialiste de l’Italie, en 2009. Avec son parti Forza Italia, il savait mettre à profit la corde patriotique. Jusqu’à ce que la crise ait raison de lui.

Un clan industriel

La holding Fininvest de Berlusconi plonge ses ramifications dans les médias, l’édition, l’assurance ou le football. Depuis qu’il a commencé dans le secteur du bâtiment dans la région de Milan, bien avant toute prétention politique, le Cavaliere a construit un véritable empire dans lequel il a placé ses proches: sa famille possède 96% de Fininvest et ses enfants occupent des postes stratégiques. Et Poutine? Le passé de cet ancien agent du KGB est lié au monde du secret et du renseignement, plus qu’à celui de l’industrie. C’est une fois parvenu dans la sphère politique, à la mairie de Saint-Pétersbourg puis au Kremlin, qu’il a pu ériger son propre empire industriel. À l’inverse d’un Berlusconi.
C’est peut-être pour cela qu’il ne s’en vante pas. Dans un rapport publié en avril 2011, Boris Nemtsov, ex-Premier ministre d’Eltsine devenu l’une des figures de l’opposition anti-Poutine, revient sur le groupe nommé « Datcha du lac » (Ozero Datcha) et ses possessions. En 1996, Poutine arrive à Moscou mais veut garder des liens avec ses amis de Saint-Pétersbourg, son premier ancrage politique. Avec sept d’entre eux, il crée ce groupe qui va progressivement mettre la main sur une banque, AKB Rossia, à qui le géant énergétique Gazprom va céder des entreprises ou des parts dans des entreprises de l’assurance (Sogaz, dont un cousin de Poutine est vice-président), de la banque (Gazprombank) ou des médias (NTV, Izvestia).

Une fortune personnelle

Les documents rendus publics par WikiLeaks en novembre 2010 assurent que cet empire industriel a permis à Poutine d’amasser une véritable fortune. Des notes font référence à une société pétrolière basée en Suisse, Gunvor, via laquelle Poutine aurait mis en sécurité une coquette somme amassée de façon douteuse pendant sa présidence, de l’ordre de 30 milliards d’euros. À l’époque, Gunvor et le Kremlin niaient tout en bloc. En 2007, le Telegraph britannique évoquait déjà un trésor de 40 milliards de dollars, « caché sur des fonds offshore ». Ce qui faisait de lui « l’homme le plus riche d’Europe ». Cette somme a été mentionnée par un analyste russe Stanislav Belkovski dans la presse britannique et allemande. De quoi faire rougir d’envie un Berlusconi à la tête d’une fortune estimée à 13 milliards d’euros selon Forbes… avant la crise. Plus faible… Mais moins opaque.

Les soupçons de corruption et les liens supposés avec la mafia

Le rapport de Boris Nemtsov, cité plus haut, porte le titre limpide de « Poutine. Corruption ». Outre les manoeuvres frauduleuses décrites, l’État russe lui-même est gangréné par la corruption à tous les étages, comme sont venues le confirmer les notes diplomatiques révélées par WikiLeaks en 2010. La Russie est devenue un « État mafieux », une « autocratie corrompue ». Et le gouvernement n’hésiterait pas à recourir à des méthodes expéditives pour se débarrasser d’éléments gênants: l’empoisonnement de l’ex-agent russe Alexandre Litvinenko à Londres en 2006 a ainsi été attribué à Andreï Lougovoï, lui-même ex-officier du KGB.

Côté italien, la justice s’est penchée sur le cas de Marcello Dell’Utri, un sénateur proche de Berlusconi et ex-dirigeant de Publitalia, la régie publicitaire des télévisions de Berlusconi. Cet intermédiaire aurait servi de « canal de liaison » entre Fininvest et Cosa Nostra, la mafia sicilienne. Et permettrait de mieux comprendre le « mystère » sur l’origine de la fortune du Cavaliere. Condamné en première instance à neuf ans de prison pour complicité d’association mafieuse en 2004, il a vu sa peine réduite à sept ans en 2010.

Le contrôle de la télévision

Poutine dispose d’un outil imparable pour faire campagne dans un pays qui s’étale sur 11 fuseaux horaires: la télévision, sous contrôle de l’État. Récemment un débat a été organisé sur NTV pour envisager « qui pourrait mener la Russie si ce n’est pas Poutine? ». Commentaire éclairant de Boris Nemtsov qui participait à l’émission: « C’est la première fois en cinq ans que je suis dans les studios de la chaîne! » Il ne faudrait cependant pas donner trop d’audience à l’opposition, la chaîne humaine de dimanche n’a donc quasiment pas été mentionnée.

Récemment, l’obsession de Poutine a cependant dépassé les bords du petit écran pour gagner la radio et le web, où s’expriment les voix indépendantes. Il a accusé la radio Echo de Moscou de le « couvrir de merde » et le site de web-tv Dojd est soupçonné par le pouvoir de recevoir des financements de l’étranger, une façon de faire pression sur elle comme sur les manifestants. Récemment le journal d’opposition Novaïa Gazeta a aussi fait état de problèmes de liquidités.

Cette obsession des médias, les deux hommes la partagent. Quand il menait encore le gouvernement italien, Berlusconi cumulait le contrôle sur ses chaînes privées et sur les chaînes publiques. Il s’invitait régulièrement sur les plateaux, comme dans l’émission Porta a Porta, ou se réservait le droit d’intervenir par téléphone lors des débats.

Un certain talent musical

Une note plus légère pour terminer ce comparatif non exhaustif. Le jeune Silvio animait des croisières à Rimini, une station balnéaire notoire de la côte Adriatique, en chantant. Un disque de chansons d’amour a été évoqué récemment. Vladimir, lui, donne plutôt dans les standards du jazz comme Blueberry Hill dont sa reprise a fait sensation fin 2010.

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Marie Simon , L’Express

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