"Pepe" Mujica dans sa maison. © Reuters

« Pepe » Mujica, le fleuriste guérillero devenu président

Stagiaire Le Vif

Fleuriste, recordman, guérillero, prisonnier politique, activiste, parlementaire, ministre, puis président de l’Uruguay. Il est impossible de définir à José Mujica avec un seul mot. Chacun de ces termes a marqué sa personnalité.

« Écoute-moi bien, un jour ce garçon deviendra président », affirme Carmen a son fils en parlant de son copain d’école qui vient souvent déjeuner chez eux après avoir passé la matinée à vendre des fleurs au marché. À l’époque, José Mujica n’imaginait pas que cette femme venait de prédire son avenir.

Après la mort de son père alors qu’il avait huit ans, José « Pepe » Mujica vend des fleurs pour aider sa mère. « Je n’ai jamais eu faim, mais parfois je devais demander de l’argent au boulanger du quartier pour payer mon ticket du bus. Je le remboursais avec l’argent que je gagnais en vendant des fleurs », a-t-il souvent raconté.

Malgré ce contexte difficile, « Pepe » termine ses études primaires. Il passe ses étés avec son grand-père qui lui enseigne la politique et les affaires rurales. En secondaire, il passe énormément de temps à la bibliothèque et est également très actif dans le syndicat estudiantin. Grâce à cela, il développe une bonne culture générale et des dons d’orateur.

La révolution armée échoue

Ces acquis lui ont permis d’être repéré par un dirigeant d’un petit parti de gauche. C’est l’époque de la guerre froide et de la révolution cubaine qui va inspirer les Tupamaros, un mouvement de guérilla urbaine que José Mujica va rejoindre. Les Tupamaros prônent une révolution socialiste, soutenant une démocratie populaire et la gestion ouvrière. Mujica se dit idéologiquement  » plus proche de Marx que de Lénine, parce que je ne pense pas qu’une société pauvre, intellectuellement soumise et sans éducation puisse construire un meilleur avenir ».

Au début, le mouvement orchestrait des braquages de banque ou de grandes entreprises financières. L’argent volé était destiné aux personnes moins aisées. Les Tupamaros étaient appréciés par la société uruguayenne qui faisait alors face à une grande crise économique. « Chez Pepe Mujica on trouve la juste dose de chaleur humaine et un esprit courageux, qui font de lui un leader. Tu te sentais en sécurité à ses côtés », décrit un des guérilleros qui participait avec lui aux différentes activités.

Emprisonné et torturé à plusieurs reprises par les militaires, « Pepe » s’est échappé chaque fois de manière plus ou moins spectaculaire. L’une de ses escapades lui a valu d’intégrer le Guinness Book des records lorsqu’il s’est enfui avec 110 autres prisonniers à travers les canalisations de la prison. En 1973, les forces armées écrasent les Tupamaros et opèrent un coup d’État qui va plongé l’Uruguay dans 12 ans de dictature.

Le « fils de la prison »

Cette fois, José Mujica passe 13 ans en prison, dont deux confiné dans un puits sans autre compagnie que celle des fourmis, dont il croyait entendre les conversations. « Ma manière de penser vient des années que j’ai passées seul en prison. Si je n’avais pas vécu cette expérience, je ne serais pas le même aujourd’hui », a-t-il déclaré dans sa biographie.

Le chemin démocratique pour continuer la lutte

Une fois la démocratie de retour, les anciens combattants ont décidé de reprendre la lutte, mais cette fois par des voies démocratiques, s’intégrant au « Front Large », une coalition des partis de gauche. José Mujica a réalisé un parcours parlementaire fulgurant, sans abandonner son métier de fleuriste. Le temps passé en prison lui a permis de peaufiner sa communication, politiquement incorrecte, directe et dans un jargon populaire. Il est devenu très rapidement l’un des dirigeants politiques le plus populaires de son pays.

Lassé des partis qui gouvernaient le pays jusque 2004, la moitié des électeurs ont voté pour le Front Large, qui a emporté les élections pour la première fois de son histoire avec 50 % des voix. « Pepe » est alors désigné ministre de l’Agriculture. Sa première mesure a été une augmentation de 100 % du salaire des travailleurs ruraux. Grâce à sa popularité, il a mis à l’agenda les sujets liés à l’activité agricole.

Le coup de foudre entre l’électorat et Pepe ne s’arrêta pas là. L’ancien guérillero est devenu président en 2009. Son rôle de ministre de l’Agriculture et d’ancien combattant des Tupamaros explique les atouts de José Mujica : « il est contre les idées préconçues et la formalité. Il pense tout le temps à de nouvelles idées que personne n’a envisagées et essaye de chercher le consensus pour les atteindre. Il touche le coeur des gens ».

Le président qui nage à contre-courant

Pendant son mandat, il a légalisé et étatisé le marché du cannabis. Une nouvelle mondiale dans la lutte contre le trafic de drogues qui est maintenant encouragé par la Commission globale sur les politiques de drogues. Cependant, en Uruguay, pays laïque, mais encore attaché aux bonnes moeurs, 60 % de la population n’est pas d’accord avec cette législation.

Tout au long de son mandat, il a également évité d’utiliser le droit de veto que la Constitution lui octroie. Ce qui a permis au parlement de voter une loi qui autorise l’avortement, une pratique avec laquelle le président n’était pas d’accord.

« La direction et la gestion de l’État ne sont pas un de ses points forts », signale un ancien compagnon Tupamaro. Malgré une cote d’approbation de 49 %, les citoyens affirment qu’il n’a pas été capable d’améliorer le système éducatif défaillant, ni de réduire l’insécurité et la bureaucratie. Des promesses qu’il avait formulées le jour de son ascension.

Âgé de 79 ans, il a déjà annoncé que lorsque son mandat arrivera à échéance, le 1er mars 2015, il parcourra le pays comme il l’a fait pendant toute sa vie : « je ferais de la politique jusqu’à ma mort… et après aussi ».

Nicolas Roche (Stg.)

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