Yoweri Museveni © AFP

Ouganda : Museveni, le « dictateur en costard »

Le Vif

Au pouvoir depuis 30 ans, le président Yoweri Museveni a une mainmise absolue sur le pouvoir en Ouganda comme en témoigne sa réélection la semaine passée, mais selon des analystes, son autoritarisme est de plus en plus mal accepté par ses concitoyens. Portrait.

Arrivé au pouvoir en 1986, en renversant le régime despotique de Milton Obote, après avoir déjà contribué sept ans plus tôt à la chute du sanguinaire Idi Amin Dada, Museveni est depuis devenu un « dictateur raffiné en costard », résume l’avocat et poète ougandais Kabumba Busingye.

« Par le passé vous pouviez vous en tirer en jetant en prison ou en tuant tout le monde » mais « il est aujourd’hui plus difficile d’être un dictateur », poursuit M. Busingye.

Yoweri Museveni, 71 ans, l’a emporté avec 60,62% des voix à la présidentielle du 18 février, loin devant son principal opposant Kizza Besigye (35,61%), chef du Forum pour le changement démocratique (FDC).

‘Question de légitimité’

Ce dernier, battu au premier tour lors des trois dernières présidentielles, a dénoncé un scrutin « frauduleux » et demandé aux Ougandais et à la communauté internationale d’en rejeter les résultats.

Des observateurs internationaux ont mis en cause l’indépendance de la commission électorale ainsi que « l’atmosphère d’intimidation » imposée par le régime, qui a muselé tous les opposants pendant et après le scrutin.

« Dans le passé, on dirigeait par décrets, en abolissant les tribunaux et le Parlement. Maintenant on les garde, on tient des élections tous les cinq ans mais on s’assure que le système ira toujours dans votre sens », juge M. Busingye.

Le président Museveni avait employé les mêmes méthodes lors des élections précédentes pour écarter la menace représentée par Kizza Besigye, très populaire dans la capitale Kampala et auprès de la jeunesse.

Mais cette fois-ci, la pilule pourrait avoir plus de mal à passer, aussi bien pour une grande partie des Ougandais qui ont perdu toute illusion que pour les donateurs étrangers, inquiets de la tournure prise par les événements.

Le jour du scrutin et dans les heures qui ont suivi, le régime s’est livré à une démonstration de force, garnissant les rues de Kampala de nombreux policiers et militaires, et arrêtant plusieurs fois M. Besigye, désormais assigné à résidence.

« La question de la légitimité va devenir importante pour le prochain gouvernement », avertit Livingstone Sewanyana, président d’un réseau citoyen d’observateurs des élections (CEON-U).

« Il y a un sentiment général que l’ensemble du processus n’a pas été transparent et que les résultats ne reflètent pas la volonté du peuple », ajoute-t-il.

Pendant ses trois décennies au pouvoir, Museveni a sciemment entremêlé son parti, le Mouvement de résistance nationale (NRM), avec l’État, et soumis à sa volonté les institutions judiciaires ou sécuritaires.

« Museveni contrôle chaque aspect de notre vie », constate M. Sewanyana.

‘Extrêmement intelligent’

Le chef d’État ougandais s’est assuré une certaine tranquillité vis-à-vis de la communauté internationale – qui pourrait ne pas durer éternellement – en contribuant largement à la force de l’Union africaine en Somalie (Amisom), qui lutte contre les insurgés shebab affiliés à Al-Qaïda.

« L’Ouganda fait plus que sa part dans la région en terme de sécurité, et de nombreux pays de la région et d’ailleurs aimeraient bien que cela continue », constate M. Busingye. « Museveni a très intelligemment intégré ça à ses calculs. »

Même ses critiques ne cachent pas une réelle admiration. « Il est extrêmement intelligent », admet M. Busingye.

Mais, poursuit-il « un dictateur, qu’il soit un rustre comme Amin, ou qu’il soit raffiné comme Museveni, peut seulement aller aussi loin que son peuple le lui permet ».

Selon lui, après le déroulement de la dernière présidentielle, la question n’est plus de savoir « si » mais « quand » les Ougandais vont en avoir assez.

Pour Ladislaus Rwakafuzi, l’avocat de M. Besigye, ce moment pourrait ne pas tarder à arriver car « Museveni a épuisé toute la bonne volonté du peuple ».

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