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Obama et la Syrie: les dessous d’une valse-hésitation

Le Vif

Après avoir fait monter la pression sur le régime syrien, Barack Obama a surpris ce week-end en faisant marche arrière. Que signifie ce recul et quelles peuvent en être les conséquences? Eléments d’analyse.

Mais que veut vraiment Barack Obama? Après des déclarations très fermes du président américain et de son secrétaire d’Etat John Kerry, puis le déploiement d’une demi-douzaine de bâtiments de guerre équipés de missiles de croisière qui semblaient indiquer l’imminence de frappes en réaction à l’attaque à l’arme chimique du 21 août imputée au régime syrien, un nouveau coup de théâtre s’est produit samedi à la Maison-Blanche. Barack Obama a annoncé vouloir demander au Congrès d’autoriser un recours à la force. Ce qui repousse toute décision de près de deux semaines puisque la Chambre des représentants et le Sénat américains sont en vacances jusqu’au 9 septembre.

Pourquoi Obama hésite-t-il?

Le président américain sait l’opinion publique hostile à toute intervention en Syrie, « parce qu’elle est fatiguée des guerres du Moyen-Orient », explique dans Sud-Ouest André Kaspi, spécialiste de l’histoire des États-Unis. Les Américains « sont aujourd’hui davantage soucieux de la reprise économique que de la politique extérieure ». En outre, « Obama constate qu’il n’a pas réuni de coalition internationale derrière lui, complète l’historien. La Ligue arabe ne veut pas de l’intervention. Le Canada, la Grande-Bretagne non plus. Le Conseil de sécurité est bloqué par les vetos russe et chinois ». Pour de nombreux Américains, les événements de Syrie ne représentent pas une menace pour leur pays et ne les concerne pas. Enfin, une partie de la classe politique fait valoir que l’administration Obama n’a pas défini de stratégie claire après ces éventuelles frappes.

Habileté ou erreur politique?

En mettant le Congrès dans la boucle, Obama joue finement en termes de politique intérieure, estime Max Fisher du Washington Post: le chef de l’Etat américain met les élus devant leurs responsabilités, les obligeant à assumer leurs choix de politique étrangère « ou à se taire »; ils « ne peuvent plus se contenter de critiquer Obama et vont devoir jouer un rôle dans le processus de prise de décision ».

C’est également une bonne chose pour la constitution américaine, pense le blogueur. On a longtemps critiqué la « présidence impériale »: depuis le 11 septembre 2001, l’exécutif avait une forte propension à engager des opérations militaires extérieures et des politiques agressives en matière de sécurité nationale. Le président américain n’a pourtant pas eu de tels scrupules dans l’usage de drones au Yémen ou au Pakistan.

« Obama place la décision dans les mains d’un Congrès qui, depuis son arrivée au pouvoir, a bloqué toutes ses propositions législatives », juge en revanche Michael Shear dans le New York Times : l’assurance santé, le contrôle des armes à feu, la réforme de l’immigration, les mesures contre le changement climatique, les investissements dans les infrastructures ou le budget fédéral.
Le débat au Congrès pourrait d’ailleurs aggraver les divisions au sein du parti républicain: les uns, comme le sénateur John McCain, demandent que les Etats-Unis ne se contentent pas de « punir » Assad, et plaident pour un changement de régime -ce que Obama refuse d’envisager; les autres rejettent toute intervention, à l’instar de Rand Paul qui va jusqu’à déclarer que Bachar el-Assad est somme toute l’homme qui convient à la Syrie, assurant la « défense des chrétiens » contre des « rebelles islamistes alignés sur Al Qaïda ».

Quelles conséquences pour la Syrie ?

La fermeté de ton adoptée dans un premier temps par le président américain après l’attaque du 21 août avait amené Damas à autoriser la visite des observateurs de l’ONU dans la zone frappée par les armes chimiques, alors qu’il avait fallu près de cinq mois pour l’autorisation précédente.

Pour plusieurs observateurs, une action rapide contre des cibles syriennes n’aurait pas forcément entraîné de réaction de Damas. « Assad n’aime pas prendre des risques, assurait Michael Eisenstadt, directeur des études militaires du Washington Institute for Near East Policy, interrogé par Le Monde. Les Israéliens ont attaqué à cinq reprises des cibles en Syrie, ces dernières années. Il n’a jamais riposté. Il ne veut pas ouvrir un deuxième front avec Israël. »

Mais la reculade d’Obama envoie un message rassurant à Bachar el-Assad. Elle confirme l’impression que la Maison-Blanche ne veut pas de changement de régime en Syrie, et peut donner au régime l’impression qu’il ne risque pas grand-chose à utiliser des armes chimiques. Thomas Pierret, spécialiste de la Syrie, faisait part à L’Express de ses craintes, quelques jours après l’attaque contre la Ghouta: « S’il n’y a pas d’intervention cette fois-ci, il y aura d’autres attaques à l’arme chimique à plus grande échelle. »

Même si elle devait finalement avoir lieu, un tel délai avant le déclenchement d’une éventuelle attaque aura permis au régime de se prémunir: Liz Sly et Ahmed Ramadan, correspondants du Washington Post basés à Beyrouth, rapportent que depuis les annonces américaines, le régime syrien a déjà déplacé ses troupes et une partie de son arsenal hors des bases militaires et les a installés au milieu de zones résidentielles civiles.
Dans ces conditions, observe Emile Hokayem, analyste de l’International Institute for Strategic Studies, des frappes américaines « ne permettraient la destruction que de quelques bâtisses ».

Par Catherine Gouëset

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