© Reuters

Michel Rocard, le socialiste réformiste qui n’est pas devenu président de la France

Le Vif

Adepte d’un socialisme réformiste, Michel Rocard, mort samedi à 85 ans, a vécu une tumultueuse carrière politique qui l’a laissé loin de son rêve, la présidence française, où ira son grand rival François Mitterrand dont il fut Premier ministre de 1988 à 1991.

Se qualifiant de « social-démocrate de dialogue », il entendait incarner une vision rénovée de la gauche, portée par une forte exigence morale, prenant en compte « les contraintes de l’économie mondialisée » sans « renoncer aux ambitions sociales ». Il fut, selon ses amis, le premier à gauche à introduire la notion de rigueur financière.

Ce porte-drapeau du « parler-vrai » avait inscrit son parcours en parallèle, puis en opposition, à François Mitterrand, à tel point qu’on a parlé entre eux de « haine tranquille »: « le mépris profond que je porte à son absence d’éthique est compatible avec l’admiration totale que j’ai pour sa puissance tactique », disait Michel Rocard.

Il a été longtemps structuré par l’inébranlable conviction d’être un jour président. Mais François Mitterrand, et ses maladresses, l’en ont empêché.

De petite taille – moins d’1m70 – ce grand fumeur de Gauloises sans filtre donnait une image de fragilité, démentie par beaucoup d’énergie et de pugnacité. S’il a failli périr en 2007 après une hémorragie cérébrale en Inde, cinq ans plus tard, alors ambassadeur de la France pour les régions polaires, il était le premier octogénaire à se rendre aux deux pôles géographiques du globe.

L’oeil pétillant dans un visage nerveux, le débit rapide, cet homme pressé à l’allure de Tintin aimait avant tout le travail des dossiers et la négociation. C’était un formidable pédagogue, entre emphase et bonhomie, langage techno et vocabulaire relâché, qui rendait intelligents ceux qui l’écoutaient même s’il fallait s’accrocher pour suivre ses raisonnements.

Mais il ne savait pas « chauffer » le public des meetings, était mal à l’aise dans les bains de foule et les banquets politiques. Peinant à se débarrasser d’une certaine froideur, il détestait la familiarité et le clientélisme.

Sa personnalité s’est formée à partir de la rigueur paternelle, un des savants à l’origine de la bombe atomique française, le protestantisme (par sa mère), le choc de la barbarie nazie (quand, scout, il accueillait les rescapés des camps), le travail à l’usine pendant deux ans: « Vous secouez tout ça et vous avez un socialiste! ».

Il a aimé être maire d’une petite commune de banlieue parisienne, « la plus belle fonction politique » (de 1977 à 1994), s’est plu au ministère de l’Agriculture (1983-85) mais a détesté l’Hôtel Matignon, bureau du Premier ministre: En partant, « j’ai quitté ma femme. Peut-être aurais-je divorcé sans Matignon mais cela a accéléré les choses ».

Né près de Paris en août 1930, son totem chez les scouts était « Hamster érudit », surnom qui lui collera à la peau.

Hostile à la guerre d’Algérie, il dirige de 1967 à 1973 le Parti socialiste unifié (PSU), « laboratoire d’idées » pour la gauche. Candidat à la présidentielle de 1969, le jeune loup recueille 3,6% des suffrages.

Il rejoint le Parti socialiste en 1974, trois ans après sa fondation. « Erreur majeure! », admettra-t-il car les mitterrandistes lui reprocheront d’avoir « pris le train en marche ».

Chouchou des sondages, il défie M. Mitterrand auquel il reproche son « archaïsme ». La guerre est déclarée. Fin 1980, il s’avance pour représenter le PS à la présidentielle à venir mais son intervention est ratée. Il doit s’effacer devant celui qui défend une ligne d’union de la gauche avec les communistes.

Leur concurrence sans merci aboutit à une cohabitation conflictuelle quand M. Mitterrand le nomme chef du gouvernement en mai 1988. En dépit de réussites, comme la paix en Nouvelle-Calédonie ou l’instauration d’un Revenu minimum pour les personnes sans ressources, il est « viré » trois ans plus tard, selon son expression.

« J’ai fait le plus passionnant des métiers », assurait ce père de quatre enfants, issus de trois mariages, de plus en plus réceptif en vieillissant aux idées écologistes, qui a su garder jusqu’au bout une immense curiosité.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire