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Les Tunisiens sceptiques face au nouveau gouvernement

Le nouveau gouvernement tunisien, formé en majeure de ministres de l’ancien gouvernement, risque de ne pas plaire au peuple tunisien avide de changements. Des appels à manifester ont été lancés ce mardi sur la Toile tandis que d’autres appellent au calme pour « donner une chance au nouveau gouvernement ».

Lundi après-midi, Mohammed Ghannouchi, dernier Premier ministre du président déchu, a annoncé qu’il avait formé un gouvernement d’union nationale de 24 membres. Il est composé de trois chefs de l’opposition légale, huit ministres de l’ancien gouvernement et de représentants de la société civile. Le maintien à leur poste de ministres de Ben Ali risque de heurter les aspirations au changement du peuple tunisien.

Des opposants en exil comme de simples citoyens ont d’ores et déjà exprimé leur scepticisme, voire leur colère, face à la composition de ce gouvernement formé trois jours seulement après la chute et le départ en exil en Arabie Saoudite de Ben Ali. Certains pourraient vouloir reprendre les manifestations qui ont conduit à la disgrâce de l’ancien président après 23 ans de pouvoir.

Le ministre de l’Intérieur, Ahmed Friaa, qui fait partie des personnalités reconduites à leur poste, a déclaré à la télévision publique qu’au moins 78 personnes avaient été tuées durant ce mois de contestation dans la rue.

Démission de trois ministres

Les trois ministres appartenant à la centrale syndicale tunisienne UGTT, ont démissionné mardi du gouvernement, à la demande de leur organisation. « Nous nous retirons du gouvernement à l’appel de notre syndicat », a déclaré Houssine Dimassi qui avait été nommé la veille ministre de la Formation et de l’emploi.

Les deux autres ministres démissionnaires, selon M. Dimassi, sont Abdeljelil Bédoui (ministre auprès du Premier ministre) et Anouar Ben Gueddour (secrétaire d’Etat auprès du ministre du Transport et de l’équipement). L’Union générale des travailleurs tunisiens qui a joué un grand rôle dans les manifestations avait demandé dans la matinée à ses trois représentants de quitter le gouvernement.

Des appels à manifester sur le net

Des Tunisiens ont lancé des appels à manifester sur internet contre la formation du nouveau gouvernement. « Le dictateur est tombé, la dictature pas encore! Il faut que les Tunisiens achèvent la mission », écrit un Tunisien sur le réseau social Facebook.

Des messages appelaient à manifester dans la matinée à Tunis mais aussi en province, à Sousse dans la région de l’ex-dictateur et à Sfax, la deuxième ville du pays (centre-est). « Attention au détournement de la révolution », mettait en garde un internaute tunisien.

D’autres messages appelaient toutefois à cesser les manifestations pour donner la possibilité au nouveau gouvernement de rétablir l’ordre et prendre le temps de connaître ses intentions réelles.

« Oui, ils (les membres du Rassemblement constitutionnel démocratique, parti du président déchu, ndlr) ont quelque chose à se reprocher. Mais n’étaient-ils pas aussi complices que nous tous qui, pendant un quart de siècle, avons vu notre argent, les richesses de notre pays, pillés, notre dignité humiliée et violée ? Ne sommes-nous pas tous, finalement, complices ?  » écrivait l’un d’eux.

Des milliers de manifestants en province

Environ 5.000 personnes ont manifesté à Sfax (centre-est) la métropole économique du pays, où l’imposant siège local du RCD, le parti du président Ben Ali, avait été incendié par des manifestants il y a quelques jours, a rapporté un témoin.

Une autre marche de protestation ayant rassemblé un millier de personnes s’est produite à Regueb, à 37 km de Sidi Bouzid, selon un autre correspondant.

Enfin, un rassemblement de 500 personnes, regroupant notamment des avocats et des syndicalistes, s’est tenu à Kasserine, autre bastion de la « Révolution du jasmin ».

Les ministres maintenus ont « les mains propres »

Le Premier ministre Mohamed Ghannouchi, en poste depuis 1999, a promis la libération de tous les prisonniers politiques et une enquête contre toutes les personnes soupçonnées de corruption.
Les ministres de la Défense, de l’Intérieur, des Finances et des Affaires étrangères conservent leurs attributions dans le nouveau gouvernement. « Nous sommes résolus à accroître nos efforts pour rétablir le calme et la paix dans le coeur de tous les Tunisiens. Notre priorité, c’est la sécurité, ainsi que les réformes politiques et économiques », a expliqué le Premier ministre au cours d’une conférence de presse.

Les ministres maintenus dans le gouvernement tunisien ont « les mains propres » et ont toujours agi pour « préserver l’intérêt national », a déclaré sur la radio française Europe 1 le Premier ministre Mohammed Ghannouchi.

« Ils ont gardé leur portefeuille parce que nous avons besoin d’eux dans cette phase » de construction démocratique, avec la préparation d’élections dans les six mois, a affirmé le chef du gouvernement, soulignant le « grand enjeu de la sécurité » dans cette période de transition.

« Tous ont les mains propres, doublées d’une grande compétence. Ils ont du mérite. Grâce à leur dévouement, ils ont réussi à réduire la capacité de nuisance de certains. Ils ont manoeuvré, tergiversé, gagné du temps pour préserver l’intérêt national », a-t-il insisté, répondant aux critiques d’une partie de l’opposition.

Evoquant le processus électoral, Mohammed Ghannouchi a assuré que « tous les partis politiques seront autorisés à participer aux élections, à égalité de chances ».

Mais le chef du mouvement islamiste Ennahdha (interdit sous Ben Ali) Rached Ghannouchi, en exil à Londres, ne pourra retourner en Tunisie que « s’il y a une loi d’amnistie » effaçant sa lourde condamnation à la prison à vie datant de 1991, a-t-il précisé.

Environ un millier de personnes ont manifesté lundi à Tunis pour dénoncer le maintien au pouvoir de la « vieille garde » du Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD), le parti de Ben Ali.

Les forces de sécurité ont utilisé des canons à eau et des grenades lacrymogènes et elles ont effectué des tirs de sommation pour disperser ce rassemblement.

Le gouverneur de la Banque centrale limogé

Le gouvernement de transition, à peine formé, a annoncé le limogeage du gouverneur de la Banque centrale de Tunisie (BCT). Thoufi Baccar, a été remplacé par Mustapha Kamel Nabli, ancien économiste en chef du département Moyen-Orient de la Banque Mondiale (BM). Le gouvernement n’a pas fourni d’explication officielle à ce changement.

Le journal français Le Monde, qui cite des sources à la présidence française, avait rapporté lundi que la famille du président déchu Zine El Abidine Ben Ali se serait enfuie de Tunisie avec 1,5 tonne d’or (45 millions d’euros). Cette information avait été démentie lundi matin par la Banque centrale de Tunisie (BCT). « Les réserves d’or de la Banque centrale de Tunisie n’ont pas été touchées ces derniers jours », avait déclaré une source officielle à la BCT.

Le Vif.be, avec L’Express.fr et Belga

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