Les terroristes Amedy Coulibaly, Saïd et Chérif Kouachi © capture d'écran BFMTV

« Les tueurs ont probablement choisi seuls leurs cibles »

Même s’ils ont clamé leur affiliation à Al-Qaïda et au groupe Etat islamique, les tueurs des attentats de Paris ont probablement agi de façon autonome, choisissant seuls leurs cibles et leurs moyens d’action, estiment officiels et spécialistes.

Ils ont en cela obéi aux consignes données depuis des années par le mouvement jihadiste global, qui sont: « Passez à l’action, à vous de voir comment, nous revendiquerons ensuite ». « Ce qui s’est passé résulte des appels de l’Etat islamique à passer à l’action, de l’expansion de l’Etat islamique qui fait que certains qui se voulaient d’Al-Qaïda ont voulu se manifester et reprendre le flambeau », assure un responsable de la lutte antiterroriste. « Les frères Kouachi se revendiquent très clairement d’Al-Qaïda dans la péninsule arabique (ndlr, Aqpa). Tout cela est à mon avis très confus dans leurs têtes et je ne pense pas qu’ils obéissent à quelque ordre que ce soit. Ils obéissent avant tout à ce que j’appellerais un effet d’entraînement », ajoute-t-il.

Dans des vidéos, des discours, des textes mis en ligne, Al-Qaïda, ses différentes organisations affiliées et, plus récemment, le groupe Etat islamique, appellent des volontaires dans les pays occidentaux à « frapper les mécréants ». Dans son cyber-magazine en anglais, « Inspire », Aqpa, dont se sont réclamés les frères Kouachi, demande: « Et vous, les loups solitaires, qu’attendez-vous ? « . « Quand il est allé au Yémen, Chérif Kouachi a dû rencontrer (l’islamiste américano-yéménite) Anwar al-Awlaki, qui lui a sans doute donné un peu d’argent pour réfléchir à une cible en Europe, et puis après les deux frères ont choisi Charlie Hebdo », estime Romain Caillet, expert des mouvements jihadistes, joint au téléphone depuis Beyrouth.

Dans son testament et sa revendication vidéo, mise en ligne dimanche, Amédy Coulibaly déclare, à propos des frères Kouachi: « On a fait les choses un peu ensemble, un peu séparées, pour que ça ait plus d’impact. Je les ai aidés dans leur projet en leur donnant quelques milliers d’euros pour qu’ils finissent de boucler ce qu’ils avaient à acheter ». « S’ils avaient été financés par Aqpa, je ne pense pas qu’ils auraient été à quelques milliers d’euros près », ajoute Romain Caillet. « Aqpa a revendiqué l’action des frères Kouachi, parce qu’ils ont voulu le faire avant que l’Etat islamique ne le fasse. Mais l’EI avait son joker, la vidéo de Coulibaly, disant qu’il avait financé les autres ». « Les relations entre l’EI et Al-Qaïda, c’est compliqué. En Syrie, par endroits ils se combattent jusqu’à la mort et ailleurs ils font des opérations communes. Cela dépend des personnes, des enjeux locaux. En France, ça dépend plutôt des égos de chacun », ajoute-t-il. Inciter de petites cellules, souvent familiales comme à Paris ou à Boston avec les frères Tsarnaïev, auteurs de l’attentat contre le marathon, à passer à l’action sans les diriger à distance, se contenter de les motiver avant et les louer après comme martyrs de la cause, est la garantie pour Al-Qaïda ou l’EI de disposer de groupes difficilement détectables, qui ne vont pas communiquer, recevoir de l’argent ou des instructions, ce qui serait autant d’occasions de se faire repérer.

« Cela dit, tous ceux qui font allégeance à l’Etat islamique ne vont pas commettre des attentats » ajoute Romain Caillet. « Ce sont d’abord des sympathisants. Je dirais qu’il y a un maximum de 5.000 jihadistes, à tout casser, en France, dont l’écrasante majorité n’ira pas en Syrie ou ne commettra pas d’attentat. Ce qu’ils font c’est d’abord se défouler sur internet. Sur ce chiffre, plusieurs centaines de personnes sont susceptibles de passer à l’action, soit en Syrie soit en France. Et sur ces centaines, quelques dizaines sont effectivement dangereuses ». Dans un rapport publié lundi, le think-tank new-yorkais Soufan Group estime que désormais « l’affiliation à un groupe spécifique a été supplantée par l’affiliation à une idéologie », alimentant une « tactique dite de +la meute de loups+, qui est bien adaptée aux actions menées par de petites équipes, qui demandent pour réussir de la planification mais des compétences limitées ».

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