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Les Pays-Bas, un état de narcotrafiquants ?

Muriel Lefevre

Les policiers néerlandais trouvent que leur pays est en passe de se transformer en « narco-état ». Peut-on vraiment comparer nos voisins à un pays digne de Narcos ?

Lors des trois dernières décennies, les Pays-Bas se seraient transformés en un état de narcotrafiquants. « Ce qu’on ne voit pas, n’existe pas. Mais dans l’ombre, ça n’a jamais cessé de proliférer. » Dans une brochure publiée cette semaine par le syndicat des forces de l’ordre néerlandaises (NPB), la police tire la sonnette d’alarme: elle n’a pas assez de ressource pour lutter efficacement contre le crime organisé qui a désormais pratiquement le champ libre.

Toujours selon le rapport du syndicat, quatre affaires de drogues sur cinq seraient non résolues. Toute l’attention des forces de police va aux meurtres, aux vols et aux crimes violents. La criminalité liée à la drogue n’est pas du tout la priorité, pourtant le nombre de crimes lié à la drogue a doublé l’année dernière au point qu’on se retrouve dans un pic similaire à celui très violent des années 1990. Par exemple, engager un tueur à gages coutait encore 50 000 euros il y a cinq ans. Aujourd’hui c’est déjà possible pour 5 000.

« Les Pays-Bas rencontrent en effet de nombreuses caractéristiques d’un narco-état. Les enquêteurs constatent que les petits criminels deviennent de riches entrepreneurs qui s’implantent dans l’hôtellerie, le marché du logement, la classe moyenne, les agences de voyages », relève le rapport. « Avec les ressources actuelles, on ne peut se pencher que sur 1 organisation criminelle sur 9 ». Même les plaintes ont baissé de 20%, car on fait de moins en moins confiance à la police. Au-delà d’un manque de moyen et d’effectif, c’est aussi la manière de travailler qui pose question. Toujours selon le syndicat, on perd trop de temps en réunion et analyse.

Leur constat semble des plus alarmistes, mais est-ce vraiment le cas? Les chiffres de la criminalité sont en effet en baisse ces dernières années. On est passé de 1,3 million de délits enregistrés à 928.000 en dix ans. En parallèle , les arrestations sont en baisse de 45%. Ça, c’est pour les chiffres, car ces dernières années nos voisins ont aussi été ébranlés par quelques importants règlements de compte dans le milieu de la drogue dans les grandes villes comme Amsterdam et Rotterdam, mais aussi (et surtout) dans la région frontalière avec la Belgique.

Dans le Brabant, si le nombre de délits a diminué, on a constaté une hausse du nombre d’enquêtes lié à la drogue. Celles-ci ont même doublé entre 2014 et 2016, laissant les autorités locales démunies face au problème. En septembre de l’année dernière, les bourgmestres des cinq plus grandes villes du Brabant, dont Breda, Tilburg et Eindhoven, ont interpelé le gouvernement à ce sujet et demandé un subside d’au moins 150 millions d’euros.

Une réforme très critiquée

Un peu surprenant lorsqu’on sait que la police néerlandaise vient de subir une importante réforme. Pour rendre l’appareil plus performant, les 25 forces de police régionales ont été fusionnées en 2013 en une « police nationale », avec un commissaire en chef. Ce regroupement des forces et une unité de commandement unique devaient rendre la police plus efficace sur le terrain. Sauf que, dans les faits, ce ne fut pas une franche réussite. Dès 2015, le syndicat pointait déjà du doigt de nombreux manquement. Tout cela ressemblait plus à un tour de passe-passe politique, car la qualité des enquêtes ne s’était guère améliorée. « En cause, un manque de savoir-faire, un équipement médiocre et une incapacité à se mettre à jour face aux innovations technologiques. » A l’époque, ce constat va entraîner une polémique qui va s’essouffler rapidement et ne va donner aucune mesure concrète. De quoi entretenir la grogne des policiers qui mettent aujourd’hui de nouvelles revendications sur la table. Ils exigent le recrutement dans les plus brefs délais de 2 000 enquêteurs, des formations et des investissements supplémentaires dans le domaine informatique.

Une lutte inégale

Cependant, même avec davantage de moyens, la lutte semble inégale. Car les agriculteurs de la région se voient offrir beaucoup d’argent pour convertir leurs hangars en laboratoires de drogue. De quoi entremêler deux milieux qui ne se côtoyaient guère. De quoi encore renforcer l’image des Pays-Bas, pays de la drogue, selon Pieter Tops (61 ans), un expert de l’administration. Il souligne les dangers de corruption lorsque le crime est si facile. « Lorsque les gains sont importants et que les chances d’être pris ou gravement puni sont minces, basculer dans le crime devient tentant pour les gens normaux. Le milieu de la drogue peut facilement corrompre les fonctionnaires ou les fermiers. L’ampleur de la production de drogues illicites est énorme. »

Tout comme dans les années 1990, les Turcs et les Hollandais turcs jouent un rôle majeur dans le business de la drogue. Ils contrôlent presque complètement le marché de l’héroïne et jouent un rôle important dans la culture et le commerce du cannabis à Tilburg et dans d’autres villes du Brabant selon Elsevier.

Pour le gouvernement, qui promet des mesures, plus d’argent et d’effectif ne sont pas la seule solution à ce problème très complexe. « La réponse à cette forme de criminalité internationale est la spécialisation, la détection dans les réseaux administratifs et une politique de drogue claire. » De belles paroles que la police néerlandaise attend de voir concrétisées dans les faits.

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