Le mouvement Nuit Debout, moins homogène que ce que l'on voudrait bien croire? © REUTERS

Les participants au mouvement « Nuit Debout » sont-ils tous des « bobos sectaires » ?

Stagiaire Le Vif

Le rassemblement « Nuit Debout » est souvent décrit comme uniforme. En dressant le profil de 600 participants du mouvement citoyen, des chercheurs en sciences humaines démontrent que le mouvement né à Paris il y a quelques semaines est en fait plus diversifié que ce que l’on pourrait croire. Explications.

Cela fait maintenant plus d’un mois et demi que le mouvement « Nuit Debout » est né à Paris, dans la foulée d’une manifestation contre la réforme du Code du Travail poussée par la Ministre El Khomri. Les projecteurs médiatiques, braqués frontalement sur le mouvement à sa naissance, commencent un peu à se détourner de la Place de la République. Dimanche soir, 2.500 personnes y étaient pourtant encore regroupées à l’occasion d’une nuit de mobilisation internationale appelée « Global Debout ». Preuve que s’il peine encore à se définir, le mouvement « Nuit Debout » continue de rassembler.

Depuis les débuts du mouvement, tout et son contraire a été dit à son sujet, et beaucoup d’énergie a été dépensée pour définir l’identité de ses participants. Le côté « non-formel » du rassemblement le rend d’autant plus difficile à cerner, ce qui encourage parfois les raccourcis hâtifs. A l’image de l’ancien président de l’UMP, Jean-François Copé, qui voit en eux des jeunes « tellement déconnectés de la réalité  » (sic). Ses accusations se perdent dans une masse de critiques parfois virulentes, décrivant un mouvement constitué de « jeunes bobos blancs et aisés « . Même François Ruffin, réalisateur irrévérencieux du film « Merci Patron ! » et acteur important de la genèse de « Nuit Debout », insistait en avril dernier sur l’importance d’ouvrir le mouvement à tous pour « sortir de l’entre-soi ».

Mais qui sont réellement les participants au mouvement Nuit Debout ? Et que veulent-ils ? Une trentaine de chercheurs en sciences sociales ont tenté de répondre à ces interrogations en effectuant un travail de recherche assidu sur le profil des participants. Du 8 avril au 13 mai dernier, près de 600 entretiens sociologiques ont été menés Place de la République. L’analyse des 328 premiers profils permet déjà aux chercheurs de relever certaines pré-conclusions de l’enquête, révélées dans une lettre publiée dans le « quotidien de l’écologie » en ligne Reporterre. Déjà, quelques observations remettent en perspective certaines choses qui ont été dites sur les « nuitdeboutistes » :

D’abord, il y a la notion de jeunesse. Souvent décrit comme un rassemblement d’étudiants et de jeunes adultes dont l’âge moyen serait de 25 ans, « Nuit Debout » serait en réalité bien plus mixte sur le plan générationnel. Ce que l’enquête révèle pour l’instant, c’est que l’âge des participants varie aussi en fonction des heures de la journée. Entre 18H et 18H30, par exemple, la mobilisation serait en effet composée majoritairement de personnes âgées de plus de 33 ans. Les chercheurs ajoutent ensuite qu’une personne sur cinq aurait plus de cinquante ans.

Une cuillère d’argent dans la bouche?

Au niveau de la mixité de genre, l’enquête révèle que le mouvement est encore loin d’atteindre la parité. Deux tiers des participants à « Nuit Debout » sont des hommes, et cela serait en parti dû à la configuration spatio-temporelle des rassemblements, explique les chercheurs. En effet, les espaces publics ne sont pas toujours considérés comme des lieux sûrs pour les femmes, surtout la nuit. De plus, les horaires tardifs des rassemblements peuvent être un frein à l’engagement des femmes, que la pression sociale peut pousser à donner la priorité aux engagements familiaux. Les chercheurs constatent tout de même que la question de la non-parité actuelle fait l’objet de débats et d’action au sein du mouvement.

Dans une opinion publiée sur le Figaro, l’économiste Bertrand Chokrane disait ceci des participants de Nuit Debout : « ces zadistes d’un nouveau genre ne connaissent des quartiers sensibles et de la misère sociale que ce qu’ils ont vu dans le film La loi du marché avec Vincent Lindon ». Cet avis selon lequel « Nuit Debout » ne serait qu’un vaste rassemblement de « bobos sectaires » a bonne presse. Alors, tous nés avec une cuillère d’argent dans la bouche, les « nuitdeboutistes »? A priori, certains chiffres peuvent pousser à le croire. Car 61% des participants à Nuit Debout seraient des diplômés du cycle supérieur de type long. C’est beaucoup, en comparaison avec la moyenne française qui n’était que de 14,3% en 2014 selon l’INSEE. Mais d’autres données contrebalancent cette tendance. Par exemple, le fait que 20% des interrogés seraient actuellement au chômage. Soit le double de la moyenne nationale française. Histoire de rappeler qu’aujourd’hui, le fait de posséder un diplôme n’exclut pas complètement les risques de se retrouver dans la précarité. Autres chiffres interpellants : 16% des participants questionnés seraient des ouvriers, soit un taux presque équivalent à la proportion totale d’ouvriers en Ile-de-France.

Par A.S. (stg)

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