Le directeur de campagne Paul Manafort, ici entre Donald Trump et sa fille Ivanka. © REUTERS

Le passé obscur de Paul Manafort, sulfureux directeur de campagne de Trump

Le Vif

Paul Manafort, (ex-)directeur de campagne de Donald Trump montré du doigt cette semaine dans une enquête de corruption politique en Ukraine, a pendant des années travaillé avec des dictateurs et seigneurs de guerre, amassant au passage une fortune considérable. Il est aujourd’hui incité à faire un pas de côté.

En politique américaine, Manafort, 67 ans, est connu comme un formidable stratège républicain ayant travaillé dans les années 70 et 80 pour les campagnes de Gerald Ford et Ronald Reagan, avant de conseiller celles de George Bush père en 1988 et de Bob Dole en 1996. Il était le responsable de la convention républicaine d’investiture de Bob Dole, défait par Bill Clinton.

Après 20 ans d’absence, Donald Trump a fait appel à lui fin mars, pour professionnaliser une campagne amateur, dépassée par le succès de son improbable candidat. Quelques semaines plus tard, l’ancien directeur de campagne Corey Lewandowski était remercié, Manafort prenait le contrôle des opérations.

Puissant lobbyiste international

Toujours impeccablement coiffé et habillé, très critique des médias, Manafort, petit-fils d’immigrant italien, n’a eu de cesse depuis de défendre le candidat républicain à la Maison Blanche et dénigrer ses critiques.

Sa casquette de directeur de campagne en cache une autre, plus incertaine, de puissant lobbyiste international. En 1980, il avait co-fondé Black, Manafort, Stone et Kelly (BMSK), un cabinet de lobbying basé à Washington. En 1985, il compte parmi ses clients le rebelle angolais Jonas Savimbi qu’il réinvente en combattant de la liberté. Jonas Savimbi obtiendra des millions de dollars d’aide des gouvernements Reagan et Bush. Parmi les clients de BMSK figurent aussi à l’époque l’ancien dictateur du Zaïre Mobutu Sese Seko, le gouvernement kényan, le Nigeria, et l’ancien président philippin Ferdinand Marcos.

En 1992, une enquête du « Center for Public Integrity » détaille ces liens et les millions versés pour ce lobbying, dans un rapport intitulé « Le lobby des tortionnaires ». En 1995 BMSK est vendu, Manafort crée un autre cabinet de consultants avec un ancien conseiller de John McCain, Rick Davis, puis en 2012, DMP international, selon le Washington Post.

Cité dans « l’affaire Karachi »

Son nom est aussi apparu en France dans l' »affaire Karachi », deux contrats d’armement signés en 1994 avec le Pakistan et l’Arabie Saoudite, soupçonnés d’avoir donné lieu à des rétrocommissions qui auraient financé la campagne d’Edouard Balladur à l’élection présidentielle de 1995, remportée par Jacques Chirac.

Interrogé en 2013 par les juges français, Paul Manafort a reconnu avoir été payé par un intermédiaire dans les contrats, l’homme d’affaires libano-espagnol Abdul Rahmane El-Assir, pour conseiller Edouard Balladur. Il a aussi affirmé avoir rencontré l’équipe de campagne de Balladur, qui n’aurait pas donné suite. L’enquête a révélé quelque 340.000 dollars de paiements, entre 1994 et 2001 pour Manafort ou son entourage.

Des liens avec les pro-russes ?

Son travail plus récent pour l’ancien président ukrainien pro-russe Victor Ianoukovitch, dont il avait aussi contribué à transformer l’image, a refait la une cette semaine aux Etats-Unis, une publicité dont se serait bien passée la campagne Trump.

Car Donald Trump est déjà critiqué pour ses déclarations admiratives sur Vladimir Poutine, ses propos sur la Crimée, et celles appelant les Russes à pirater les emails d’Hillary Clinton. Sa rivale démocrate a immédiatement appelé le candidat à révéler « les liens » de Manafort et ses autres employés de campagne « avec les entités russes ou pro-Kremlin ».

Selon Artem Sytnyk, qui dirige la nouvelle agence anti-corruption d’Ukraine, le nom de Manafort figurait sur une « liste noire » du parti de l’ancien président Victor Ianoukovitch, destitué en 2014, avec plus de 12 millions de dollars affectés pour paiement à Manafort, sans que l’on sache avec certitude s’il a touché cet argent.

Selon le New York Times, qui parle de paiements en cash destinés à M. Manafort de 2007 à 2012, M. Ianoukovitch et son Parti des régions s’étaient appuyés fortement sur les conseils de M. Manafort et de son cabinet de consultants, qui les ont aidés à gagner plusieurs élections. Paul Manafort a réfuté tout paiement illégal en cash, et dénoncé lundi dans un communiqué des accusations « infondées et stupides ». Il a affirmé n’avoir jamais travaillé pour les gouvernements russe ou ukrainien.

Un pas de côté ?

Donald Trump, à la traîne dans les sondages, a de nouveau remanié son équipe de campagne.

Stephen Bannon, à la tête du site d’informations conservateur Breitbart News, est promu directeur général. Le communiqué souligne qu’il fut qualifié dans un article de « consultant politique le plus dangereux d’Amérique ».

Kellyanne Conway, une sondeuse républicaine connue, devient quant à elle directrice de campagne. En pratique, au-delà des titres, ces deux personnes deviennent les nouveaux personnages dominants de l’équipe Trump.

Paul Manafort, qui s’est retrouvé sous les projecteurs ces derniers jours pour ses liens avec l’ex-président ukrainien pro-russe, Viktor Ianoukovitch, conserve son titre de « président » de l’organisation de campagne, mais sa marginalisation est établie. Il était lui-même devenu l’homme fort de l’équipe en juin, quand Donald Trump s’était séparé de son premier directeur de campagne, Corey Lewandowski.

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