Ali Khamenei © AFP

Le guide suprême accuse les « ennemis » de l’Iran de fomenter les troubles

Le Vif

Le guide suprême iranien, l’ayatollah Ali Khamenei, a brisé son silence mardi et accusé les « ennemis » de l’Iran de s’unir pour porter atteinte au régime, au sixième jour d’un mouvement de contestation sans équivalent depuis 2009 et marqué par des violences.

Le président américain Donald Trump s’est réjoui que « les Iraniens agissent enfin contre le régime iranien brutal et corrompu », dans le dernier des nombreux tweets qu’il a déjà rédigés sur ces manifestations et qui lui ont valu les foudres des autorités iraniennes.

Au total, 21 personnes -dont 9 dans la nuit de lundi à mardi – ont été tuées depuis le début le 28 décembre à Machhad (nord-est) des rassemblements contre les difficultés économiques et le pouvoir, qui se sont rapidement propagés à l’ensemble de l’Iran.

Les autorités ont déployé des forces de sécurité supplémentaires pour faire face à ce mouvement antigouvernemental, qui ne paraît pas être particulièrement structuré, notamment à sa tête.

Dans sa première déclaration depuis le début des « événements », l’ayatollah Khamenei a assuré à la télévision d’Etat que « les ennemis (de l’Iran) s’étaient unis en utilisant leurs moyens, leur argent, leurs armes (…) et leurs services de sécurité pour créer des problèmes au régime islamique ».

Ils n’attendent qu' »une occasion pour s’infiltrer et porter des coups au peuple iranien », a-t-il dit, sans élaborer sur ces « ennemis ».

Pour Donald Trump, qui s’en prend régulièrement à l’Iran, bête noire de Washington, les Iraniens ont « faim de nourriture et de liberté » et leurs protestations montrent que « le temps du changement » est venu dans le pays.

« Au lieu de perdre son temps en envoyant des tweets inutiles et insultants, (M. Trump) ferait mieux de s’occuper des problèmes intérieurs de son pays, notamment (…) ses millions de sans-abri et d’affamés », a réagi mardi un porte-parole du ministère iranien des Affaires étrangères, cité par les médias.

– ‘Crime grave’ –

Selon la télévision d’Etat, neuf personnes ont été tuées dans la nuit de lundi à mardi dans la province d’Ispahan (centre), dont six manifestants qui tentaient de prendre d’assaut un poste de police à Qahderijan.

A Khomeinyshahr, un enfant de 11 ans a été tué et son père blessé par des tirs de manifestants alors qu’ils passaient près d’un rassemblement.

Un membre des Gardiens de la révolution a par ailleurs été tué par des tirs de fusil à Kahriz Sang, ainsi qu’un policier à Najafabad, également tué par balles.

Une centaine de personnes ont été arrêtées lundi soir dans la province d’Ispahan, toujours selon la télévision d’Etat.

Si Téhéran est globalement moins touchée par les protestations que les villes petites et moyennes, 450 personnes y ont été arrêtées depuis samedi, a indiqué le sous-préfet de la capitale Ali-Asghar Nasserbakht à l’agence Ilna, proche des réformateurs.

Pour le chef du tribunal révolutionnaire de Téhéran, Moussa Ghazanfarabadi, cité par l’agence Tasnim, « le crime des personnes arrêtées devient chaque jour plus grave et leur punition sera plus lourde ».

« Nous ne les considérons plus comme des protestataires qui réclament leurs droits mais comme des gens qui visent le régime », a-t-il prévenu.

– ‘Contre-révolutionnaires’ –

Les autorités accusent des « fauteurs de troubles » armés de s’infiltrer parmi les manifestants et certains dirigeants ont pointé du doigt le rôle présumé de « contre-révolutionnaires » basés à l’étranger.

Le général Rassoul Sanaïrad, l’adjoint politique du chef des Gardiens de la révolution, a ainsi affirmé que les Moudjahidines du peuple « avaient été chargés par les Al-Saoud (la famille qui règne sur l’Arabie saoudite, grand rival régional de l’Iran) et certains pays européens de créer de l’insécurité », selon l’agence Tasnim.

Le vice-ministre iranien de l’Intérieur, Hossein Zolfaghari, s’est voulu optimiste.

« Dans la plupart des régions du pays, les gens coopèrent avec les forces chargées du maintien de l’ordre et de la sécurité. Les récents troubles provoqués dans certains endroits vont finir très vite », a-t-il déclaré selon plusieurs médias.

Les rassemblements antigouvernementaux, qui se poursuivent en dépit du blocage de réseaux sociaux utilisés pour appeler à manifester, sont les plus importants depuis le mouvement de 2009 contre la réélection du président ultraconservateur Mahmoud Ahmadinejad.

Accusant une « petite minorité » de « fauteurs de troubles », l’actuel président Hassan Rohani a assuré que « le peuple allait leur répondre » tout en ajoutant que le gouvernement était déterminé à « régler les problèmes de la population », en particulier le chômage (12% de la population active).

Elu pour un second mandat en mai, M. Rohani a permis à l’Iran de sortir de son isolement avec la levée de sanctions internationales liées aux activités nucléaires de Téhéran, qui avait fait espérer aux Iraniens une amélioration de la situation économique.

Mais cette levée des sanctions, conséquence de la signature en 2015 d’un accord nucléaire historique avec les grandes puissances, tarde à porter ses fruits.

La contestation en Iran depuis jeudi

Au total, 21 personnes –dont 16 manifestants– ont été tuées dans des violences liées à ces rassemblements, les plus importants depuis le mouvement de contestation, violemment réprimé, contre la réélection de l’ex-président ultraconservateur Mahmoud Ahmadinejad en 2009.

– Machhad –

Le 28 décembre, des centaines de personnes manifestent à Machhad (nord-est), deuxième ville du pays, ainsi que dans d’autres cités contre la hausse des prix, le chômage et le gouvernement.

Selon des images vidéo diffusées par un média réformateur, les protestataires ont scandé « mort à Rohani », attaquant ainsi le président Hassan Rohani, et critiqué les engagements du gouvernement dans d’autres causes régionales plutôt que sur le front domestique.

– Washington condamne –

Le 29 décembre, des centaines de personnes manifestent à Qom (nord), scandant notamment « Mort au dictateur » ou encore « Libérez les prisonniers politiques », selon des vidéos sur les réseaux sociaux.

Le premier vice-président Eshaq Jahanguiri accuse des opposants d’être derrière la protestation.

« Les dirigeants iraniens ont transformé un pays prospère (…) en un Etat voyou à la dérive », affirme la diplomatie américaine.

– ‘Rassemblements illégaux’ –

Le 30 décembre, le pouvoir mobilise des dizaines de milliers de personnes dans les rues pour marquer l’anniversaire du grand rassemblement prorégime qui avait sonné en 2009 la fin de la contestation contre la réélection d’Ahmadinejad.

Le ministre de l’Intérieur demande à la population de ne pas participer à des « rassemblements illégaux ».

Des dizaines d’étudiants rassemblés devant l’entrée principale de l’université de Téhéran sont dispersés par les forces de l’ordre avec des gaz lacrymogènes. Puis des centaines d’étudiants prorégime prennent le contrôle du lieu.

Le président américain Donald Trump affirme que « les régimes oppresseurs ne peuvent perdurer à jamais ».

Dans la nuit, des vidéos montrent des milliers de personnes défilant à travers l’Iran.

– Manifestants tués –

Le 31 décembre, le ministre de l’Intérieur met en garde ceux qui « utilisent la violence ». Ils « doivent répondre de leurs actes et payer le prix », déclare-t-il.

L’accès aux réseaux sociaux Telegram et Instagram sur les téléphones portables est de nouveau restreint. Les autorités accusent des groupes « contre-révolutionnaires » basés à l’étranger d’utiliser ces réseaux pour appeler les gens à manifester.

Le président Rohani reconnaît que l’Iran doit fournir « un espace » pour que la population puisse exprimer ses « inquiétudes quotidiennes », mais condamne les violences.

Dans la soirée, des manifestants attaquent et parfois incendient, dans plusieurs villes, des bâtiments publics, des centres religieux, des banques et des voitures de police. Huit manifestants sont tués dans l’Ouest. A Doroud, deux passagers périssent quand leur véhicule est percuté par un camion de pompiers volé par des manifestants. Deux manifestants avaient été tués dans cette ville la veille.

– ‘Fauteurs de troubles’ –

Le 1er janvier 2018, le président Rohani déclare que le peuple iranien répondra aux « fauteurs de troubles et hors-la-loi », qualifiant les protestataires de « petite minorité ». Le ministère du Renseignement prévient que « les émeutiers et les instigateurs » ont été identifiés et que « bientôt on s’occupera sérieusement d’eux ».

Le secrétaire du Conseil suprême de sécurité nationale affirme que « les hashtags et les messages à propos de la situation (…) proviennent des États-Unis, du Royaume-Uni et de l’Arabie saoudite ».

Le président Trump affirme que « le temps du changement » est venu. Moscou estime qu' »il s’agit d’une affaire intérieure iranienne ». L’Union européenne dit « espérer » que le droit de manifester sera « garanti ».

Dans la nuit, neuf personnes sont tuées dans plusieurs villes de la province d’Ispahan (centre), dont six manifestants dans des affrontements avec les forces de l’ordre alors qu’ils tentent de prendre d’assaut un poste de police.

– ‘Ennemis’ de l’Iran –

Le 2 janvier, le sous-préfet de Téhéran, ville moins touchée, annonce que quelque 450 personnes y ont été arrêtées depuis samedi.

Le guide suprême, l’ayatollah Ali Khamenei, accuse les « ennemis » de l’Iran d’être derrière les troubles.

La Turquie, « inquiète », met en garde contre une « escalade » et des « provocations ».

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire