Thierry Fiorilli

« L’excuse entre dans l’arsenal d’avilissement massif »

Thierry Fiorilli Journaliste

Juste par curiosité : tapez « s’excuse » dans votre moteur de recherche. Et parcourez les résultats, sans forcément vous farcir les 580 000 occurences (au jour et à l’heure de rédiger ces lignes). Si vous avez la flemme, voici un résumé (hors règles de conjugaison et traductions), ne reprenant que les occurrences 2018.

– Volkswagen s’excuse pour avoir forcé des singes à inhaler des gaz d’échappement.

–  » Pays de merde  » : Donald Trump s’excuse auprès des dirigeants africains.

– Vietjet Airlines s’excuse après avoir envoyé des femmes dénudées dans un avion de jeunes footballeurs.

– Tennis : Tennys Sandgren s’excuse après les soupçons d’accointance avec l’extrême droite.

– Steve Bannon présente ses excuses pour avoir accusé de  » trahison  » le fils de Trump.

– Football : le joueur de West Ham Masuaku s’excuse après son crachat en FA Cup.

– Le pape s’excuse pour ses propos sur la pédophilie.

– Affaire Théo : le champion antillais de boxe thaï Patrice Quarteron s’excuse auprès des policiers d’Aulnay-sous-Bois pour  » avoir crié avec les loups « .

– Trump s’excuse d’avoir relayé des vidéos antimusulmans.

– Accrochage  » misogyne  » à l’Assemblée nationale française, le député Les Républicains Robin Reda s’excuse.

– Le chanteur Yonathan Geffen s’excuse pour la comparaison entre Anne Frank et l’activiste palestinienne Ahed Tamimi.

– H&M s’excuse pour sa pub jugée raciste.

– Le youtubeur Logan Paul s’excuse pour s’être mis en scène avec un cadavre.

– Le député britannique conservateur Ben Bradley a présenté ses excuses pour avoir écrit que les hommes recevant des prestations sociales et ne travaillant pas devaient subir une vasectomie, précisant que celles-ci étaient  » gratuites « …

Le mea culpa n’est plus qu’une étape d’un dispositif de communication pervers

Rien que depuis le début de l’année (1), on a aussi eu droit aux excuses, entre autres, de Matt Damon, du Snapchatteur et animateur télé Jeremstar, de miss Cameroun, de Leboncoin.fr et, comme recensé en page 52, de la RTBF, de Gérard Deprez, d’un arbitre de foot français, de Pascal Smet, Radja Nainggolan, Catherine Deneuve, Brigitte Lahaie…

C’est peu dire donc que le mea culpa est la valeur refuge du moment, 2017 lui ayant déjà été très favorable sur les vastes marchés de la communication.

Du sport aux médias, du politique au business, du Vatican à la Maison-Blanche, de Bruxelles à Hanoï, on a désormais parfaitement intégré les règles de politesse. On multiplie les excuses, ces  » paroles ou écrits exprimant le regret d’avoir offensé ou contrarié quelqu’un, de s’être mis dans son tort « , comme le rappelle le Larousse. Il faut donc s’en réjouir : aujourd’hui, la plupart des figures publiques (individus, groupes, institutions, enseignes, etc.) comprennent très vite qu’elles n’auraient pas dû dire ou commettre ce qu’elles ont dit ou commis et il ne leur faut plus quarante ans pour faire amende honorable.

Reste que… On y constate aussi que beaucoup disent et font beaucoup de choses qu’il n’aurait pas fallu dire ou faire. Et que leurs propos ou leurs actes relèvent presque systématiquement du racisme, des discriminations, des mauvais traitements, comportements déplacés, pratiques dégradantes, aveuglements volontaires et obstinés… En regard, souvent, leurs excuses ne pèsent plus guère. Et se révèlent étape prévue d’un dispositif de communication pervers. Derrière les mines contrites donc, les messages passent et circulent, comme le venin dans le sang après la morsure. Avec un effet redoutable : il ne tue pas, pas tout de suite en tout cas ; il avilit. En masse.

(1) Ce qui exclut de l’inventaire Theo Francken, dans tous les cas considéré hors compétition.

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