Sans elle, Donald Trump n'aurait probablement pas rattrapé son retard, notamment auprès des électrices. 58 % des femmes blanches ont voté pour lui. © GETTY IMAGES/AFP

Kellyanne Conway, la femme fatale de Trump

Femme d’affaires et républicaine décomplexée, Kellyanne Conway, conseillère du futur président, a su polir l’image du candidat à la Maison-Blanche. Une performance.

 » Kellyanne Conway, vous êtes désormais la personne la plus importante du monde, car vous êtes la seule capable de dompter Donald Trump !  » lance l’humoriste Bill Maher à la directrice de campagne du nouveau président américain, qui se trouve être, aussi, une amie (naguère, elle participait régulièrement à son programme en qualité de commentatrice politique).  » Come on, Bill (Allons, allons, Bill) ! « , réplique mollement l’intéressée, dont le sourire radieux indique qu’elle boit du petit-lait. En direct et en une phrase, l’animateur du talk-show nocturne de la chaîne HBO a tapé dans le mille : l’influence de cette directrice d’institut de sondages auprès du 45e président des Etats-Unis est telle qu’à Washington certains la surnomment  » l’arme secrète de Donald Trump  » ; d’autres,  » la femme qui murmure à l’oreille de Trump  » ; d’autres encore  » Magic Kellyanne « .

La révélation féminine de la présidentielle 2016, c’est elle.  » Un plafond de verre a bel et bien été crevé le 8 novembre dernier « , s’enthousiasme le journal tabloïd le New York Post, qui apporte aussitôt cette correction :  » Mais pas par Hillary Clinton.  » Ce jour-là, Kellyanne Conway est en effet devenue la première femme de l’histoire américaine à avoir mené une campagne victorieuse pour la Maison-Blanche. Avant Trump, seul le candidat démocrate Al Gore s’était adjoint, en 2000, les services d’une femme au poste de directeur de campagne. Mais il avait perdu face à George W. Bush.

Or, sans cette conservatrice blonde à la voix sucrée et au sourire impeccable, il est probable que Donald Trump, distancé dans les sondages pendant l’été, n’aurait pas rattrapé son retard à l’automne, pour parvenir à battre son adversaire démocrate au finish. Si 58 % des femmes blanches ont voté Trump malgré la vidéo scandale où le candidat républicain parlait d' » attraper des femmes par la chatte « , c’est en grande partie grâce à cette pro de la communication de crise. En moins de trois mois – un vrai blitzkrieg -, la rayonnante Kellyanne est en effet parvenue à redresser l’image de son patron auprès de l’électorat féminin.

Nombreux sont ceux qui l’ont sous-estimée ou prise pour la blonde de service. Grave erreur ! C’est une rhétoricienne redoutable »

Tout commence le 17 août 2016, lorsque la présidente de l’institut de sondages The Polling Company, Inc./ WomanTrend, qu’elle a fondé en 1995, spécialisé dans les messages à destination des femmes, rejoint l’équipe du milliardaire new-yorkais, dont la dynamique est grippée. Coup sur coup, deux directeurs de campagne viennent d’être congédiés : l’un, Corey Lewandowski, en raison de son caractère rugueux incompatible avec le clan Trump et à cause d’un accrochage avec une journaliste qu’il a bousculée pendant un meeting ; l’autre, Paul Manafort, du fait de ses liens d’affaires avec l’ancien président ukrainien Viktor Ianoukovitch (notoirement corrompu, renversé en 2014 et aujourd’hui réfugié en Russie).

Au bruit médiatique négatif engendré par ses prédécesseurs, Kellyanne Conway oppose méthode, discipline, clarté des messages, courtoisie à l’égard des journalistes. A la télévision, où elle apparaît quotidiennement en tant que porte-parole, sa force consiste à ne jamais se départir de son calme et de son sourire, de rester concentrée sur son message, même lorsque des adversaires l’attaquent de front. En coulisse, son tact fait également merveille. Pour commencer, elle convainc Donald Trump de recourir à des téléprompteurs, afin de lire des discours écrits plutôt que de compter sur son seul talent d’improvisateur, source de dérapages. Deuxième conseil : elle le persuade de distiller une poignée de messages positifs en direction du public latino-américain, échaudé par ses sorties sur les Mexicains, assimilés à des violeurs patentés. Et ça marche : le 8 novembre, 1 Latino sur 3 a voté Trump…

Figure clé de l'équipe de transition de Trump,
Figure clé de l’équipe de transition de Trump, « Magic Kellyanne » devrait logiquement occuper un poste de conseillère à la Maison-Blanche.© DREW ANGERER/GETTY IMAGES

Ce n’est pas tout. La conseillère encourage aussi le candidat à abandonner l’insulte, l’outrance et le dénigrement, notamment à l’égard des femmes.  » Tout ce qui empêche Donald Trump d’être son pire ennemi constitue un plus, observe alors, confraternel, le sondeur Frank Luntz, également républicain. De ce point de vue, elle mérite la note maximale : 20 sur 20.  » Cerise sur le gâteau, Kellyanne Conway inculque à Donald Trump les bonnes manières. Lorsque Hillary Clinton fait un malaise en marge des commémorations du 11-Septembre, son adversaire lui adresse un message de prompt rétablissement, sachant que l’électorat féminin sera sensible à sa délicatesse. Et quand, lors du premier débat télévisé, Trump rate sa prestation, sa directrice de campagne l’améliore après coup :  » J’aime le fait qu’il ait été dans la retenue et qu’il se soit comporté comme un gentleman avec Mme Clinton, plaide-t-elle le lendemain matin. Il aurait pu l’attaquer sur Bill Clinton et les femmes, mais il ne l’a pas fait. La retenue est certainement une vertu présidentielle « , glisse-t-elle, faussement ingénue. Conclusion du célèbre présentateur de radio Thom Hartmann, un démocrate tendance Bernie Sanders :  » Nombreux sont ceux qui l’ont sous-estimée ou prise pour la blonde de service. Grave erreur ! dit-il au Vif/L’Express. Kellyanne Conway, c’est au contraire un esprit brillant, une professionnelle expérimentée, une rhétoricienne redoutable.  »

Self-made-woman, la spécialiste des sondages est, par-dessus le marché, un pur produit de la méritocratie. Née en 1967 dans le sud de l’Etat du New Jersey, Kellyanne grandit dans un milieu modeste où cohabitent sa mère, caissière dans un casino, deux tantes et une grand-mère, toutes d’origine italienne. Elle n’a que 2 ans lorsque son père abandonne le domicile. Il se mariera quatre fois (une de plus que Donald Trump). Lauréate d’un concours de beauté, l’adolescente est aussi une élève studieuse qui, plus tard, étudie le droit et décroche un diplôme d’avocate à l’université George Washington, dans la capitale américaine. Dès l’âge de 26 ans, elle fonde l’institut de sondages qu’elle dirige aujourd’hui. La firme American Express et la chaîne de télévision ABC comptent parmi ses clients, ainsi que de nombreux politiciens conservateurs – tels Newt Gingrich, alors opposant farouche de Bill Clinton, Ted Cruz, candidat à la primaire républicaine battu par Donald Trump, ou encore le gouverneur de l’lndiana Mike Pence, aujourd’hui élu vice-président. La spécialité de la Polling Company ? Définir des messages taillés sur mesure pour la gent féminine. Une mission parfois difficile, surtout quand, en 2012, un client de Kellyanne Conway, Todd Akin, élu républicain du Missouri, explique que les femmes victimes d’un  » viol légitime (sic)  » n’ont pas grand-chose à craindre, puisque,  » à la suite d’une agression de ce genre, leur système reproductif se met en veille « …

Mariée avec un juriste en 2001, avec qui elle a quatre enfants (trois filles, un garçon), la sondeuse s’installe en famille dans un vaste appartement de la Trump World Tower, à Manhattan, face au siège des Nations unies. Active au sein du conseil syndical des copropriétaires, elle y croise Donald Trump, qui, selon elle, s’intéresse de près à la gestion de ses gratte-ciel.  » Au fil du temps, il s’est mis à me demander mon avis sur des questions politiques « , confie-t-elle au magazine le New Yorker. Depuis, les Conway ont déménagé à Alpine, une banlieue ultrachic à 20 kilomètres au nord de New York, sur une rive de l’Hudson.

Tenante de la droite décomplexée, Conway n’a aucun mal à rejoindre, en 2016, l’équipe Trump, où sa fonction de directrice de campagne la place sous les ordres de l’ultradroitier Stephen Bannon (voir l’encadré ci-contre). Lorsque Donald Trump, au cours du troisième débat contre Hillary Clinton, se lance dans une dénonciation imagée de l’interruption volontaire de grossesse, parlant d' » aller jusqu’au fond pour déchirer le bébé « , Conway applaudit.  » La plupart des républicains se cachent sous la table, mais là, enfin, pour la première fois depuis vingt ans, quelqu’un se livre à une défense vibrante de la vie devant des millions de téléspectateurs. Quel bonheur !  »

En ce moment, la porte-parole est sur un nuage. Cela se lit sur son visage, à chaque intervention télévisée, c’est-à-dire tous les jours. Hyperactive, aussi, sur Twitter, elle distille ses formules qui ressemblent à des slogans hollywoodiens :  » C’est lui qui a compris l’Amérique. Il a séduit l’Amérique. Maintenant, il va gouverner l’Amérique.  » La prochaine étape ?  » Un poste à la Maison-Blanche paraît logique, mais peut-être privilégiera-t-elle son business privé « , commente Sarah Rosier, de Ballotpedia.org, une organisation non partisane, basée dans le Wisconsin, qui scrute la vie politique à la façon d’une encyclopédie. Que Donald Trump décide de se passer d’un tel talent paraît toutefois improbable. D’autant qu’elle-même s’est déclarée disponible pour continuer l’aventure. Le 20 janvier prochain, jour de l’investiture du président, elle fêtera – coïncidence ! – ses 50 ans tout ronds.

Par Axel Gyldén.

A LA DROITE DE TRUMP

La nomination de Stephen Bannon, le 15 novembre, comme « stratège en chef » et conseiller spécial auprès du président, a fait l’effet d’une bombe. Accusé d’être le promoteur en chef du racisme et de la misogynie, cet ex-officier de l’US Navy, ancien banquier à Wall Street et producteur de films, est en effet un des fondateurs du site Breitbart News. Créé en 2007, ce média politique conservateur agrège des contenus en y ajoutant sa patte, ses titres et (parfois) des informations (pas toujours vraies), de manière à orienter le débat. Objectif : dénigrer le camp démocrate, la famille Clinton et les tenants du « politiquement correct « . Pendant la campagne, l’ultradroitier Bannon, 62 ans, personnage aussi brillant que sulfureux, était le superviseur de Kellyanne Conway.

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