Donald Trump, pas encore président, invité de Jimmy Fallon dans son Tonight Show, en janvier 2016. © DOUGLAS GORENSTEIN/NBC/GETTY IMAGES

Jimmy Fallon : amuser, c’est « Trumper » ?

Le Vif

La star des talk-shows américains rit jaune. Les critiques enflent envers l’amuseur public n°1 et patron du Tonight Show. Le bon Jimmy négligerait le devoir d’impertinence du talk culte de NBC. Tout bénéfice pour ses concurrents. Ainsi que pour un certain Donald…

Aux Etats-Unis, le talk show de seconde partie de soirée, c’est sacré ! Et, son roi actuel, audiences faisant foi, s’appelle Jimmy Fallon, à la tête du Tonight Show de NBC depuis le 17 février 2014. Fallon ? Mais oui, vous voyez bien ce brun poupin, sympa et si coool ! qui le 16 septembre 2016 prouvait au monde entier que Donald Trump, encore candidat à la présidence, ne portait pas de moumoute en lui ébouriffant vigoureusement sa tignasse jaunâtre avec son consentement. La démise en pli fit instantanément le tour des réseaux sociaux. Comme une masse d’autres facéties à l’actif de l’animateur nouvelle génération. Mais cette audace calculée fait-elle pour autant de lui l’arme médiatique anti-Trump à laquelle aspire une partie du public ? Rien n’est moins sûr car Fallon a reformaté le rituel télévisuel historique, son ton et son niveau d’impertinence.

Successeur de Jay Leno, le quadra a modernisé le talk culte créé en 1954 et l’a retaillé aux mensurations de sa personnalité. Celle du fan de talk show formé au stand-up. Celle de l’artiste complet sautillant avec aisance du chant à la comédie, de l’imitation à la danse. Celle du  » nice guy  » gentil et bien élevé qu’il a toujours été. Monté progressivement en puissance, l’énergique Jimmy a d’abord réalisé, de 1998 à 2004, et déjà sur NBC, son rêve d’enfant : intégrer le Saturday Night Live du week-end. Ses parodies de JT et ses imitations de personnalités font mouche et lui valent de décrocher en 2009 son propre show, le Late Night autour de minuit, antichambre du Tonight Show qui le précède, obtenu en 2014.

Au gré de cette irrésistible ascension, Fallon a imposé une mue aux codes de l’infotainment américain. Moins de punch journalistique mais plus d’entertainment. Moins de talk, plus de show, de paillettes. Dans la coquille immuable du talk-show derrière un bureau sur fond de skyline urbaine new-yorkaise, il a inscrit le pur divertissement en tête du modèle éditorial de son Tonight Show suivi aujourd’hui chaque soir par quelque 3 millions d’Américains.  » Ils veulent juste que quelqu’un les fasse marrer… c’est mon job ! « , résume l’animateur.

 Amuser la galerie, seule prétention de l'animateur vedette.
Amuser la galerie, seule prétention de l’animateur vedette.© NBC/ISOPIX

Fallon Touch 2.0

Et pour le show, Fallon excelle à travers des sketches, imitations et joutes ludiques où les stars invitées sont systématiquement mises en scène et jouent le jeu. Une battle de breakdance avec Brad Pitt, un duel de playback avec Emma Stone, des duos hip-hop avec Justin Timberlake ou même la trouvaille préférée de l’animateur : le  » slow jam the news « , un rap slamé avec une personnalité sur son actu. En juin 2016, le président Barack Obama himself se plia à l’exercice en  » rappant  » son bilan présidentiel, de l’Obamacare à sa politique de l’emploi… Autant d’innombrables moments de télévision que l’animateur 2.0 s’est, dès le début, empressé d’exploiter via les nouveaux tuyaux de l’ère numérique. Un site, des apps dédiées, des jeux interactifs, une chaîne YouTube à 13 millions d’abonnés, un compte Twitter fort de 33 millions de followers répandent sur la planète la  » Fallon Touch  » qui clique sur l’air du temps numérique.

Cependant, l’incontestable succès du showman fait de moins en moins l’unanimité. Des rangs de ceux qui regrettent les fondamentaux des talk-shows purs et durs, corrosifs et piquants, fleurissent de plus en plus de critiques sur Jimmy le  » gentillet « , le  » consensuel « , le  » roi du normcore « , cet art de l’alliance d’un look élégant et d’une légèreté à toutes épreuves.

En cela, James Thomas Fallon Jr ne triche pas. C’est son caractère, forgé dans le cocon familial  » surprotecteur  » qui le voit naître à Brooklyn puis grandir dans la petite ville ouvrière de Saugerties, Etat de New York. Dans ce bastion catholique irlandais (une de ses origines familiales, les autres étant germano-norvégiennes), le petit Jimmy vivra une jeunesse qu’il décrit comme  » idyllique  » et bercée d’une obsession : les shows que distillent la radio et la télé. Chaque nuit, il enregistre le programme radio The Dr. Demento Show, un mélange de comédie et de musique. A l’adolescence, sa fixette se concentre sur le Saturday Night Live de NBC. Il s’essaie sérieusement à l’imitation, à la comédie, apprend à jouer de la guitare et participe à des concours. Il se rode au stand-up et au jeu d’acteur puis va frapper à la porte de la NBC. Après quelques refus, le bon gars de 23 ans, affamé d’antenne, est admis dans le saint des saints des networks américains.

Fallon et Trump : trop de complaisance aux yeux d'une partie du public.
Fallon et Trump : trop de complaisance aux yeux d’une partie du public.© DOUGLAS GORENSTEIN/NBC/GETTY IMAGES

Comme plus tôt à l’école, il n’a de prétention que de faire le clown pour amuser la galerie. Il se retrouve finalement, lui qui enfant voulait devenir prêtre, à confesser dans un grand éclat de rire tout le gratin people du show-bizz et de la politique. Avec comme pénitence pour les invités de devoir réciter avec lui sketches et parodies écrites sur mesure. Tous ces  » pécheurs  » savent, de De Niro à Cameron Diaz, de Lady Gaga à Tom Cruise, de Céline Dion à Michelle Obama, de Bono à Will Smith que s’asseoir dans le fauteuil à la droite de Jimmy Fallon ne comporte que peu de prise de risques. Mais rapporte gros en impact et valorisation médiatique.

Donald Trump, bête médiatique, ne s’y est pas non plus trompé… Ce sont d’ailleurs ses passages au Tonight Show qui aujourd’hui cristallisent les critiques, jusque-là plus diffuses, envers le style Fallon. C’est à ce dernier que Trump offre, le 14 septembre 2015, sa première apparition télé en tant que candidat surprise du camp républicain à l’élection présidentielle américaine. Trump et Fallon (grimé en Trump) se retrouvent face à face en effet miroir dans un décor de table de maquillage. Les dialogues préécrits font mouche et l’animateur livre une excellente imitation de son  » modèle  » ne négligeant ni ses  » duckface « , ni ses tics gestuels, ni sa mine autobronzée, ni son autosatisfaction crasse. Mais côté causticité, on repassera. Tout bénéfice pour le capital sympathie du déjà contesté futur président.

Quand l’impossible Donald revient un an plus tard, le 16 septembre 2016, se faire décoiffer le toupet par le gentil et farceur Jimmy, la séquence du Tonight Show a le don d’ulcérer tant les observateurs qu’un paquet de citoyens américains. Cette fois, l’animateur n’est-il pas trop allé dans le sens du poil du milliardaire mégalo ? Certains vont aujourd’hui jusqu’à accuser Fallon d’avoir, par maladresse irresponsable, pesé sur l’élection de l’infernal Donald en le montrant sous un jour plus humain, plus humble, capable d’autodérision. Alors que, sorti du studio de la Rockfeller Tower, siège de NBC et du Tonight Show, les déclarations et les meetings du tribun écument sans désemparer de violence et d’intolérance.

Stephen Colbert, le challenger qui pilote le Late Show de CBS.
Stephen Colbert, le challenger qui pilote le Late Show de CBS.© TIMOTHY KURATEK/CBS/GETTY IMAGES

Jimmy « Falot » ou, pire, Jimmy « Fayot » ?

Où est en effet passée l’impertinence originelle de l’émission culte ? La difficulté de répondre à cette question indispose de plus en plus de monde. Les prestations remarquées de Donald Trump dans le Tonight Show devenu trop bienveillant n’ont fait qu’amplifier questionnement et irritation. Et la bonne étoile de l’animateur, roi de la coolitude, de pâlir. Jimmy Fallon serait-il finalement Jimmy  » Falot  » ou, pire, Jimmy  » Fayot  » ? Voilà la star en porte-à-faux entre sa vocation trop inoffensive de pur amuseur et un vrai sursaut critique réclamé par une partie de son public excédé par une aseptisation du traitement des invités, symbolisée par le cas Trump.

Le 8 janvier dernier, lors de la dernière remise des Golden Globes qu’il animait, Jimmy Fallon a bien tenté de donner des gages d’indépendance par quelques piques sur l’encombrant occupant du bureau ovale mais ses feintes, si peu acérées en regard de la diatribe anti-Trump de Meryl Streep, sont tombées à plat. Dans ce contexte, ce n’est sans doute pas un hasard si le 30 janvier, l’animateur se sentait obligé de pasticher une nouvelle fois Trump, assis à son bureau de la Maison-Blanche, à côté d’une  » Huge wheel of decisions « . Une  » grande roue des décisions  » qui dicterait ses choix et expliquerait leur nature erratique et farfelue. Une imitation nickel et amusante mais sans réelle portée satirique.

Plus grave pour le boss du Tonight Show, le ressenti et l’attente déçue d’une partie du public commencent à se traduire dans les chiffres. Dans la dernière semaine de janvier 2017 et pour la première fois depuis 2015, le Tonight Show s’est fait très légèrement dépasser par le Late Show de CBS piloté par Stephen Colbert, le successeur de David Letterman… au ton résolument anti-Trump. 2,77 millions de téléspectateurs ont fait confiance au challenger. Un vrai signal. Et sans réel effet car, depuis, le Tonight Show a encore été dépassé par le Late Show, ce dernier allant jusqu’à se hisser à 2,96 millions de fidèles. La tendance des audiences en février et mars maintient d’ailleurs la pression sur le sémillant Jimmy dont l’audience a chuté de 12 %. Le résultat souligne aussi une érosion constante du talk du Tonight Show dont la moyenne de l’année 2015 était de 3,8 millions de téléspectateurs !

Barrack Obama au Tonight Show, en juin 2016, a
Barrack Obama au Tonight Show, en juin 2016, a  » slammé  » le bilan de sa présidence. © ANDREW LIPOVSKY/NBC/GETTY IMAGES

Jimmy Fallon va-t-il redresser la barre critique pour se remettre en ligne avec les attentes du public historique du Tonight Show et surfer sur la vague anti-Trump ? Ou, en amuseur finalement très conventionnel, va-t-il faire le gros dos en attendant que la vague passe ? Le dilemme a de quoi pousser l’animateur à écumer les bars à la mode de New York, activité qu’il affectionne tout autant que de s’occuper de sa femme productrice de cinéma et de ses deux filles. Car Fallon est un homme très rangé, un adulte réalisant son rêve d’ado de jouer avant tout la comédie dans le rectangle des télés et de faire marrer un public qui n’exige pas plus. Pour ce job et sa popularité médiatique, NBC a déjà prolongé son contrat jusqu’en 2021 avec un salaire annuel autour de 12 millions de dollars. Un contrat très rassurant qui n’invite à prendre des risques ni dans un sens, ni dans un autre. Il n’est donc pas sûr que ce félin du divertissement, roi de la pirouette, soit près de chuter ( » to fall « ) mais plutôt d’une fois encore  » fall on one’s feet « , retomber agilement sur ses pattes de chat de la nuit télé américaine.

Par Fernand Letist.

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